Ce vendredi, le Sénégal s’est à nouveau embrasé. Des affrontements ont opposé des jeunes aux forces de l’ordre en plein centre-ville de Dakar jusque tard dans la journée.
La grande prière du vendredi s’achève au quartier du Plateau. En ce début d’après-midi, quelques commerçants inquiets fixent les derniers clous pour protéger les vitrines de leurs commerces avec des panneaux de bois. Pour la quatrième journée consécutive, le M23 a appelé à manifester place de l’Indépendance, épicentre de la capitale sénégalaise. Des policiers anti-émeutes sont massés dans chaque rue donnant sur la place et bloquent tout accès.
Avenue Ponty, artère commerçante remplie de vendeurs et de touristes, une vingtaine de jeunes, mains croisés au-dessus de la tête, s’avance en défiant la police. Une pierre est jetée. Les grenades lacrymogènes tombent sur les manifestants qui disparaissent dans la nature. Le face-à-face se répète quelques minutes plus tard, puis encore une troisième fois avant que les choses ne dégénèrent. Une course-poursuite s’engage alors dans tout le quartier entre les jeunes hostiles au président Wade et les forces de l’ordre. Grenades lacrymogènes et balles en caoutchouc répliquent aux jets de pierre. Des poubelles et des palettes de bois sont incendiées sur la chaussée. Une dizaine de personnes sont blessées au cours des affrontements dont un journaliste, légèrement touché au bras par une balle en caoutchouc.
Souhaitant rejoindre la place de l’Indépendance, Ibrahima Fall, l’un des candidats à l’élection présidentielle, est refoulé au niveau de la Banque centrale des états d’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Cheikh Bamba Dièye, le benjamin des candidats, est lui brièvement interpellé et reconduit par la police vers le siège de son parti. Le chanteur Youssou Ndour fait une apparition avenue Ponty. « La démocratie qui faisait la fierté du Sénégal est par terre, dit-il. Le président est isolé. Il n’est pas au courant de ce qu’il se passe. Il est dans des nuages. Je crois qu’il est temps qu’il se ressaisisse. » Il s’engouffre ensuite dans son 4×4 et roule jusqu’au rond-point du marché Sandaga suivi de nombreux jeunes surchauffés. Le véhicule s’arrête devant un pick-up de la police. « Dégagez-moi ça ! Dégagez-moi ça ! », crie un policier. Des grenades lacrymogènes sont tirées sur la foule qui riposte avec des pierres. Un policier est blessé à la tête. Un autre dégaine son pistolet et ouvre le feu avant de récupérer une douille de 9mm au sol ainsi qu’une balle non percutée.
La communauté tidiane « profanée »
Des éléments du BIP (Brigade d’intervention polyvalente), l’élite de la police sénégalaise généralement chargée d’assurer la protection des hautes personnalités de l’Etat dont le président de la République, arrivent fusil à pompe en main. Une première depuis la validation par le Conseil constitutionnel de la candidature d’Abdoulaye Wade et le début des troubles. La tension retombe peu à peu. Mais, c’est sans compter sur la bêtise d’un policier qui balance délibérément deux grenades lacrymogènes dans la zawiya (mosquée) El Hadj Malick Sy alors que des dizaines de fidèles y sont regroupés, provoquant la colère des fidèles, des jeunes et des badauds qui crient à la police « allahou akhbar » (« Dieu est grand »). « Nous étions à l’intérieur de la mosquée et nous commencions à prier, c’est honteux ! », s’indigne Diamé Diop, l’un des responsables de la mosquée. Voile sur la tête, une femme sort du bâtiment les larmes aux yeux. « Il est tant que le peuple se soulève !, lance-t-elle à la foule. Abdoulaye Wade doit quitter ce pays et nous laisser en paix. » Au milieu du chaos ambiant, les fidèles s’installent autour d’un long drap blanc sur la chaussée et chantent pendant de longues minutes le nom d’Allah. Interrogé par une télévision locale, Mansour Sy Djamil, un dirigeant tidiane membre du M23, accuse le gouvernement d’avoir « profané une des principales mosquées tidianes » et, à travers elle, « toute une communauté » (lire aussi l’article : Sénégal : La course au ndigueul).
La nuit tombe sur Dakar et les accrochages entre agitateurs et forces de l’ordre se poursuivent dans le quartier de la Médina. Vers 21h30, avenue Blaise Diagne, une voiture renversée brûle encore, projetant dans le ciel une épaisse colonne de fumée noire. Des violences éclatent également dans les villes de Thiès, Kaolack, où la nouvelle permanence du Parti démocratique sénégalais (PDS, au pouvoir) a brûlé, et Tivaouane, ville sainte de la confrérie tidiane, où la mairie et le domicile de l’élu PDS ont été incendiés. À huit jours des élections, l’attaque de la mosquée El Hadj Malick Sy a choqué l’opinion sénégalaise et pourrait faire perdre de précieuses voix au candidat Abdoulaye Wade.