Sénégal : la chasse aux mendiants est ouverte


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Travail des enfants dans les mines en RDC
Kunfabo

La capitale sénégalaise compte nombre de mendiants. Parmi eux, des enfants de moins de 12 ans : les talibés, originaires des zones rurales. Le Premier ministre sénégalais, Souleymane Ndéné Ndiaye, a déclaré la semaine dernière, suite à un conseil interministériel consacré à la lutte contre la traite des personnes, que «tout mendiant trouvé dans les rues aura affaire aux forces de l’ordre». La menace sera-t-elle suivie d’effets ?

Le Sénégal veut éradiquer la mendicité. Un conseil interministériel a enregistré, le 24 août dernier, la participation de plusieurs ministres, de représentants d’ambassades accréditées à Dakar, de représentants d’ONG et de l’association des imams et oulémas du Sénégal. Le PM a néanmoins tenu à faire la distinction : « La mendicité est un délit, mais le fait pour un talibé ou toute autre personne d’aller à un lieu de culte et de recevoir l’aumône là-bas n’est pas assimilé à de la mendicité». Il entend ainsi faire respecter la loi 06-2005 qui interdit la mendicité au Sénégal. Mais, s’agit-il d’un effet d’annonce ou d’une réelle volonté des autorités de lutter contre ce fléau, et en particulier contre la mendicité des jeunes enfants ?

En effet, près de 10 000 talibés[[7600 individus, selon une note d’information du Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) publiée samedi à Saly lors d’une réunion de partage et de planification avec les médias publics]] arpentent, sébiles à la main, les rues de la région de Dakar. Leur âge varie de 2 à 11 ans, exclusivement des garçons. Ces enfants généralement issus des régions rurales, ont été envoyés par leurs parents pour apprendre le Coran auprès de marabouts résidant en ville. Les conditions de vie difficiles en milieu rural pourraient expliquer cette solution de facilité adoptée par les parents, car le marabout est également censé prendre en charge gratuitement les talibés.

Enfants martyrs

En réalité, il s’agit d’une pratique pluriséculaire. Dans le passé, et bien avant la colonisation, tous les garçons en âge d’apprendre étaient envoyés auprès de marabouts pour apprendre le Coran et la sagesse. Les talibés faisaient tous les matins la tournée des villages pour recevoir la nourriture nécessaire à leur entretien. Mais aujourd’hui, avec l’urbanisation galopante, ces traditions ont été dévoyées. Les vrais marabouts se font rares, et ces enfants sont généralement contraints par de faux marabouts à faire la manche dans les rues, avec des brimades à la clef s’ils ne ramènent pas assez d’argent. Difficile de faire trois pas à Dakar sans en rencontrer un. Ces enfants sont sous-alimentés, victimes de violence, et cette situation est dénoncée depuis de nombreuses années par les ONG. C’est d’ailleurs sous la pression de ces dernières que le PM a pris cette décision. Selon lui «le Sénégal est sous la menace de ses partenaires qui estiment que le pays de la téranga ne lutte pas de façon efficace contre la traite des personnes ». Car, indique-t-il, «la mendicité organisée par des réseaux qui font mendier des jeunes et qui leur retournent l’argent utilisé à d’autres fins, est assimilée à une traite de personnes ».

Mais s’attaquer aux mendiants et non aux commanditaires, les faux marabouts, revient à lâcher la proie pour l’ombre. Par ailleurs, le problème de fond reste la paupérisation massive des zones rurales, conséquence de la désertification et de la désorganisation de la filière agricole. Cette précarité contraint ainsi de nombreuses familles à envoyer leurs enfants auprès de marabouts douteux pour réduire le nombre de bouches à nourrir. Il est donc manifeste que les autorités ne s’attaquent pas à la racine du problème.
Trois jours après le discours du PM, la police a procédé à des rafles dans les principales artères du centre-ville de Dakar. L’avenir nous dira si ces mesures sont efficaces, mais il est permis d’en douter.

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