Le sexe se vend bien au Sénégal, plus particulièrement à Dakar. C’est du moins le constat fait après un tour effectué dans la capitale sénégalaise dans la nuit du samedi 16 au dimanche 17 février. Des jeunes femmes âgées de 17 à 30 ans n’hésitent pas à quitter leur quartier d’origine, village, ou encore ville, dans l’unique but de troquer leur sexe pour subvenir aux besoins de leurs familles. Enquête.
(De notre correspondant)
Faire l’amour du matin au soir n’est pas leur but. Elles pratiquent le plus vieux métier du monde uniquement pour empocher le maximum d’argent. Beaucoup de filles rencontrées ont décliné un entretien. «Si je suis là, c’est pour coucher, encaisser et f… le camp», ont-elles lancé pour la plupart, sur un air à la limite arrogant. C’est à croire que c’était pour elles un dégoût de faire autre chose que coucher avec leur interlocuteur. Bien évidemment, un entretien avec un journaliste n’apporte pas grand chose, à part, d’après certaines d’entre elles, le risque de se faire identifier par un proche. Sur une vingtaine de filles abordées, seules trois (3) ont accepté de se confier à Afrik.com.
600 euros pour une nuit
Trouvée aux Almadies (quartier chic de Dakar, non loin de l’aéroport international Léopold Sédar Senghor). Elles sont là, une dizaine, éparpillées le long de la chaussée. Malgré le froid glacial, elles sont habillées mini : jupe, décolleté entre autre. Bref, toutes en petit format. La première que nous avons tenté d’accrocher a décliné l’entretien. Auparavant, elle nous a abordé en ces termes : «vous me donnez 20.000 francs (30 euros) et je vous envoie au 7ème ciel). Sauf que nous n’étions pas là pour ça. Il aura fallu la 8ème tentative pour enfin tomber sur une fille qui accepte de parler, moyennant 5.000 francs (7,5 euros). Son nom, Fama, 22 ans, elle est originaire de la région de Kaolack (environ 140 km de Dakar). Elle n’y est pas allée par quatre chemins. Selon elle, la pauvreté est à l’origine de sa descente dans le milieu. «Vous savez, lorsqu’on est issue d’une famille modeste et qu’on a beaucoup de petits besoins, notamment popote, fringues et sorties dans les boîtes de nuit, on ne peut pas faire autrement que de monnayer son sexe», lance-t-elle.
Quant au choix de ce milieu chic de Dakar, elle le justifie par la qualité de la clientèle qu’elle trouve sur place. «J’ai fait pas mal de localités : à Kaolack-même où j’ai commencé. Ensuite le centre-ville vers Plateau, là-bas ça va encore par rapport à Kaolack, mais ici c’est mille fois mieux. Dans le coin, on a une clientèle assez particulière et qui paye bien». Des Sénégalais comme des étrangers capables de débourser jusqu’à 200.000 francs CFA (environ 300 euros) pour satisfaire leur libido, nous apprend-elle. «Certains clients pingres proposent 10.000 francs (15 euros) la séance d’une heure. D’autres, surtout les Occidentaux et quelques rares Sénégalais, peuvent casquer jusqu’à 200 voire 300.000 francs (458 euros) pour une nuit entière. Je me souviens une fois, un Portugais m’a remis 400 mille francs (600 euros) après une seule nuit passée avec lui. Vous vous rendez compte ! Cela en valait bien la peine. En tout cas, depuis que je suis dans le milieu, je ne me plains plus. Je parviens à subvenir à tous mes besoins. Je parviens même à prendre mes parents en charge». De grands coups certes pour Fama, mais aussi des coups durs parfois. Comme ce fut le cas un soir où un client, après avoir conclu une partie de sexe moyennant 100.000 francs (152 euros) lui sort 5.000 francs (7,5 euros) et brandit le motif d’un malentendu : cinq (5) et non cent (100). «Depuis ce jour, je suis formelle : le client paye d’abord avant qu’on ne passe à l’acte», confie-t-elle.
13 euros la première fois
Après notre «galère» des Almadies, cap sur le centre-ville. Plus précisément à la Place de l’Indépendance, à quelques encablures du Palais présidentiel. Durant le trajet, on pouvait voir quelques rares prostituées parsemées sur le long du trottoir. Aucune d’entre elles n’a voulu se confier. La seule qui a voulu parler et qui a été accrochée sur l’Avenue Blaise Diagne, à hauteur de la Poste, a été dissuadée par une copine sur place.
Arrivés à hauteur de la Place de l’Indépendance, quelques prostituées étaient là à attendre le client idéal. Le décor était plus discret qu’aux Almadies. Les filles se faisaient moins voir. A la limite elles se cachaient même. A peine notre véhicule s’est garé devant la première fille, elle nous a dit attendre une amie pour aller en boîte. Nous prenant pour des flics, elle a préféré se débiner, «faute de carnet sanitaire», nous a-t-elle dit par la suite.
En fait, il leur faut ce carnet pour pouvoir exercer. Après l’avoir rassuré, après 10 longues minutes de conversation, elle pouvait nous ouvrir une partie de son cœur. Son nom Astou, 31 ans, originaire de Pikine (banlieue dakaroise). Elle s’est retrouvée à prendre entièrement en charge ses trois enfants dont le plus grand n’a que 9 ans. «Je suis issue d’une bonne famille et Dieu sait que si mes parents savaient que je me prostituais, ils allaient me tuer», a-t-elle aussitôt lancé pour ensuite justifier sa présence dans le maquis.
«Quand on est mère de famille sans soutien de taille ni revenu, il nous est très facile de dévier. Et c’est mon cas. J’ai perdu mon mari dans un accident de voiture. Il y a 2 ans de cela. Après sa mort, l’argent que j’ai reçu lors des funérailles m’a aidé à survivre pendant quelques temps avec mes enfants. Par la suite, un des amis de mon défunt mari… (Elle s’arrête un peu, semble regretter)… qui m’aidait beaucoup financièrement, m’a convaincu de coucher avec lui. Je n’avais pas trop le choix, surtout que ma belle-famille m’avait abandonnée, m’accusant d’avoir porté malheur à mon défunt mari. Et ça a commencé. On se voyait tous les jours, après que les enfants se soient endormis. J’avais à nouveau pris goût au sexe et aussi à l’argent. Près de deux mois après, il m’a pratiquement lâchée. Au moment où je vous parle, on se voit une ou deux fois le mois. Il ne cesse de me répéter que ses finances ne sont pas au beau fixe. Et voilà que je me suis retrouvée sans un sou. Il me fallait m’occuper de mes enfants et c’est comme ça que c’est parti. La première fois, je me suis promenée au niveau de la Place de l’Indépendance (centre de Dakar) et un homme m’a accrochée. Je lui ai réclamé 15.000 francs (23 euros) et on a discuté pour tomber d’accord sur 8.500 francs (13 euros). Nous sommes allés à l’hôtel. Et c’était parti pour une «carrière» jusqu’à ce jour, comme vous pouvez le constater. Sauf que n’étant pas en règles, je fais dans la cachette».
Visiblement dépitée, elle confie vouloir sortir de ce trou, surtout qu’elle se trouve dans l’illégalité. «Il fut un temps, j’avais encaissé un peu d’argent et j’avais décidé de laisser ce travail pour faire du commerce. En fait, je voulais abandonner le métier qui, j’avoue, n’est pas aussi commode. On voit du tout. (Elle éclate de rire, puis resserre la mine, visiblement gênée). Un jour, un gars m’a sorti un pénis, on aurait dit celui d’un cheval, tellement il était énorme (elle éclate à nouveau de rire). Bon voilà quoi (elle referme sa mine). J’avais commencé à vendre de la bouillie de mil à côté de chez moi. Mais ça ne marchait pas comme le métier (du sexe). J’ai préféré arrêter ce petit commerce».
Violée et battue pour… zéro franc
Le cas de Marème, 26 ans, originaire de Thiès (70 km au nord de Dakar), qui est plus fréquent sur l’Avenue Sarraut (centre ville, non loin de la Place de l’Indépendance), est sans aucun doute à méditer. Cette native de la capitale du Rail pointe un doigt accusateur sur son oncle paternel qui dit-elle, «m’a initié au sexe. J’avais peut-être 13 ou 14 ans. Moyennant de petites sommes d’argent, il avait commencé par des attouchements jusqu’au jour où il a passé à l’acte. Je me rappelle que c’était un soir de Gamou (pèlerinage annuel, à 25 km au nord de Thiès). Alors que j’étais en convalescence, suite à un paludisme, mes parents m’avaient demandé de rester à la maison en compagnie de ma grand-mère, assez âgée. Mon oncle qui revenait d’un court voyage de la Gambie a abusé de moi avant de quitter la maison la même nuit pour se rendre à Tivaouane. Ma convalescence m’avait aidé à camoufler la douleur. Car après son acte, je tenais difficilement sur mes deux jambes. Par la suite, c’était la routine. Il me donnait de l’argent et profitait de moi comme il le voulait. Voilà».
Un ticket d’entrée que lui a donc offert son oncle. Dans l’exercice légal de sa profession, car détentrice d’un carnet de santé, elle aura tout vu, elle aussi. En tout cas, elle aura servi de leçon à toutes ses collègues qui, d’après son témoignage, ont décidé de ne plus traiter avec n’importe qui. Prostituée depuis pratiquement 8 ans, elle a eu des hauts et des bas dans son boulot. Elle nous raconte une de ses mésaventures : « Alors que je croyais pouvoir rouler le gars, c’est lui qui m’a eue», a-t-elle laissé entendre comme pour tout résumer. Elle va cependant plus loin. «En fait il s’agissait d’un ivrogne. D’ailleurs je suis presque sûre que le gras n’était pas ivre. Sûr qu’il avait un peu bu et jouait à l’ivrogne. Bref, je m’étais dit que j’allais le plumer puisqu’il n’était pas lucide. C’est plutôt lui qui a réussi à me piéger. Non seulement le gars, après qu’il ait fini de tirer un coup, n’a pas voulu s’arrêter. Alors que je tentais de lui faire comprendre qu’on était tombé d’accord pour un coup, il n’a rien voulu savoir. Il ne m’écoutait même pas et a changé de préservatif tout en disant : «ne t’en fait pas, tu seras contente à ton tour». J’avais le sentiment que j’étais séquestrée et que je me faisais violer. Je me suis quand-même laissé faire, pour ne pas tout gâcher. Car j’espérais me frotter les mains par la suite. Figurez-vous que le gars a éjaculé trois fois. Une vraie sentence pour moi ce soir-là. Après le troisième coup, il s’est affalé sur le lit. Je me suis levée pour ensuite m’habiller. Pendant que je me regardais dans un petit miroir pour refaire mon visage, je l’ai vu me regarder avec un sourire au coin. C’est au moment de partir et que je lui ai réclamé mon argent (15.000 francs, 23 euros) que j’ai compris le petit sourire cynique. Le gars me dit qu’il n’avait aucun sou. Je pensais qu’il blaguait et j’ai insisté. J’avais même commencé à le menacer. Lorsque j’ai compris qu’il était sérieux, j’ai subtilisé son téléphone portable, un vieil appareil qui ne valait même pas 10.000 francs (15 euros). Il m’a alors couru après. Une véritable course-poursuite qui s’est terminée dans la rue. Dans la nuit noire, non seulement le gars m’a battu, mais il m’a traité de voleuse. En réalité, il avait en partie raison puisque je lui avais pris son téléphone portable. Lorsque je suis venue raconter mon histoire à mes copines, elles ont voulu qu’on aille retrouver le gars pour lui faire payer tout ça. Finalement, certaines qui étaient réticentes ont fini par dissuader le groupe. Mais ça nous a servi de leçon à nous toutes», raconte-t-elle avec un petit sourire.
Le constat est là, même si la plupart des clignotants de l’économie sénégalaise sont au rouge, l’industrie de sexe elle tient encore debout avec de plus en plus d’adeptes. Des Sénégalaises renforcées par une forte communauté malienne récemment déplacée à cause de la guerre au Mali. Sans compter les anglophones (Gambiennes, Libériennes, Ghanéennes, Nigérianes et autres Sierra Léonaises). Lorsqu’on sait que ces travailleuses du sexe peuvent gagner en une seule nuit dix fois le SMIG qui tourne autour de 40.000 francs (61 euros), l’on est sûr que ce n’est pas demain qu’elles vont abandonner l’un des plus vieux métiers du monde.