Sénégal, Karim Wade : échec de la communication numérique publique


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Affaire Karim Wade, ou : comment le Gouvernement sénégalais a raté sa communication digitale! Une tribune originale et pertinente d’Amadou Dieng, Co-CEO de l’agence kilima* (twitter @amadou24), expert en communication digitale.

Vingt-quatre heures après l’annonce de la libération de Karim Wade, l’heure est au bilan sur le plan de la communication, notamment digitale. Le Gouvernement sénégalais, malgré les outils à sa disposition, a brillé par son incapacité à mettre en œuvre une communication digitale efficace qui intègre la notion de crise. Dans un contexte d’instantanéité, des manquements importants ont été constatés. Tour d’horizon des cinq erreurs commises dans la communication digitale du Gouvernement sénégalais en 24h00.

1- Le Président n’annonce pas sa décision
Le compte Twitter et Facebook du Président Macky Sall ne doivent pas servir qu’à annoncer des déplacements ou des inaugurations. Des décisions fortes qui marquent les esprits doivent également y figurer. La libération de Karim Wade par grâce présidentielle est naturellement une initiative relevant du Président. Aucune prise de parole n’est pourtant identifiée sur ses comptes officiels certifiés sur Facebook et Twitter. Pire, on note une absence d’activité depuis le 20 juin sur Twitter et aucune publication sur Facebook depuis le 22 juin. Quand on connait l’importance que revêt une telle décision dans la vie politique sénégalaise et ses conséquences probables dans les jours et mois à venir, il est nécessaire de s’interroger sur un tel manquement.

2- La présidence a tardé à publier son communiqué
Le communiqué annonçant la grâce présidentielle a été publié le vendredi 24 juin à 10h00 sur la page Facebook de la Présidence et à 13h02 sur son compte Twitter, soit plus de 8h00 après la sortie de prison de Karim Wade. A l’heure de la communication instantanée, ce retard a été préjudiciable sur les réseaux sociaux. Il a en effet ouvert la voie à la recrudescence des rumeurs et aux spéculations les plus folles. Le Gouvernement n’a pas maîtrisé sa communication, le très diligent journaliste blogueur Papa Ismaila Dieng s’en est chargé. Il a su apporter des informations fiables et à mis à contribution la twittosphère et sa communauté Facebook dans une série de publications très suivies dès 2h52 du matin. L’erreur de communication est d’autant plus inquiétante que le chef de l’Etat avait fait part de l’éventualité d’une libération 22 jours auparavant sur RFI.

3- La prolifération du hashtag #DribbleLePeupleCommeMacky
Ce hashtag est le fruit de l’inspiration de la twittosphère sénégalaise suite à l’annonce de la libération de Karim Wade. Le hashtag a été utilisé à cette heure dans plus d’un millier de tweets selon l’instrument de mesure des conversations twitonomy. A travers celui-ci, les twittos ont fait part, non sans ironie et à coups de métaphores, de leur émoi. Le hashtag a su profiter du vide causé par l’absence d’informations officielles émanant du Gouvernement sur les réseaux sociaux dans les heures qui ont suivi la libération de Karim Wade.

4- Bad buzz, quand le Ministre El Hadj Hamidou Kasse, conseiller en communication du Président, réagit à son tour
L’intention était louable. Son objectif : interagir avec les twittos pour « rétablir les faits », comme le clame l’intéressé. Une sorte de service après-vente suite à l’annonce de la libération de Karim Wade. Cependant, force est de constater que les échanges houleux avec les twittos n’ont fait qu’empirer le bad buzz. Dans un tel contexte, la démarche la plus appropriée pour le Ministre eut été de garder de la hauteur et de s’en tenir à la version officielle (celle du communiqué). Une telle démarche, même partant d’un bon sentiment, a donc été contreproductive. Ses prises de position ont été vivement critiquées, à en juger à la teneur très négative des tweets diffusés en réaction.

5- L’absence d’une communication digitale du ministère de la Justice.
Au cœur des polémiques, le ministère sénégalais de la Justice a brillé par son absence. Celui-ci ne dispose toujours pas en effet de comptes dédiés sur les réseaux sociaux malgré une forte exposition – notamment à l’international – du fait de dossiers pendants sensibles (procès Habré, affaire Karim Wade et menaces terroristes). Et si un point presse s’est tenu le vendredi 24 juin à 9h00, nulle trace d’une déclaration émanant d’une source officielle sur les réseaux sociaux et sur le site internet
D’une manière générale, le ministère de la Justice ne maîtrise pas encore sa communication sur les réseaux sociaux et sur le web.

Par Amadou Dieng, Co-CEO de l’agence kilima (twitter @amadou24), expert en communication digitale.

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