Il y a cinq ans de cela, les Sénégalais ne connaissaient les cyclomoteurs comme moyen de transport qu’à travers la télé. Notamment les documentaires sur des pays comme l’Inde ou autre Burkina Faso. Mais aujourd’hui, la réalité est autre. Ces motos ont fini d’envahir le pays et elles servent de transport dans bien de régions, notamment Thiès (70 km de Dakar), Pout (55 km de Dakar), Tivaouane (95 km de Dakar) et autre Kaolack (143 km de Dakar). Ces nouvelles motos fabriquées en Chine et communément appelées Jakarta causent cependant beaucoup d’accidents, souvent mortels. Reportage.
(De notre correspondant à Dakar)
Des conducteurs indisciplinés…
Ils sont jeunes, parfois les quatorze années à peine révolues, à conduire ces motos Jakarta. Ces mono-cylindres peuvent atteindre une vitesse de 120km/h (140km/h sur le compteur). De vrais monstres de la vitesse pilotés par des gens inexpérimentés. La conduite de ces véhicules « ne nécessite » aucune pièce, pas même le permis de conduire. Pas de plaque minéralogique, pas de carte grise. Conséquence : aucune possibilité d’identification des motos qui se ressemblent par milliers. C’est le désordre total, surtout à Thiès où il ne passe pas un jour sans que les accidents causés par ces Jakarta ne se comptent par dizaines. Des passages piétons non respectés, des dépassements à droite, des queues de poisson suicidaires, sans compter des injures aux piétons et autres automobilistes. Si ce ne sont des bagarres et batailles rangées avec les taximen du fait de la concurrence. Là où le taxi demande 500 FCFA (0,75 euro), le conducteur de Jakarta réclame lui 250 FCFA (0,38 euro). Le vrai désordre dans le système du transport au Sénégal.
…Face à une police impuissante
Pourtant, la police a tenté de circonscrire ces motos Jakarta, nous dit un officier de police du nom de Mansour Diouf, en service au Commissariat central de Thiès. « Il fut un temps, on avait interpellé une dizaine de conducteurs de motos Jakarta et on les avait déférés. C’était lors de la campagne présidentielle de 2012. Une femme influente, proche de Wade (Abdoulaye Wade, ancien Président du Sénégal), leur avait trouvé un avocat et ces jeunes n’avaient pas fait une semaine de prison. Comment voulez-vous qu’on solutionne ce fléau dans de pareilles circonstances ? », se demande-t-il. Il va plus loin en expliquant que la police est sollicitée 5 à 10 fois par jour pour des cas d’accident impliquant les motos Jakarta. « La plupart des cas, ils s’arrangent pour que la police ne soit pas impliquée dans leur accident, car ils n’ont pas les pièces afférentes à la conduite de ces motos. Il arrive même qu’ils s’enfuient après un accident, laissant les blessés, parfois le passager, sur place. L’autre jour, l’un d’entre eux s’était fracassé le crâne contre un arbre. Vous comprenez qu’il est mort sur le coup. Les conducteurs ne respectent aucune norme de sécurité. Pas de casque, rien. C’est un vrai désastre ces motos », nous explique cet officier de police.
Des sapeurs pompiers débordés…
Des blessés pris en charge de façon partielle par les Sapeurs pompiers qui, selon le témoignage du chef de poste Ibrahima Dabo, manquent de moyens. « Nous sommes débordés par ces accidents causés par les Jakarta. Rien que durant l’année 2012, il a été dénombré environ 1500 cas d’accidents. C’est trop ! », s’exclame-t-il. «La ville de Thiès possédant des voies à grande circulation, notamment la RN1, il arrive que nous enregistrions des cas grave d’accidents causés par ces motos Jakarta. Je pense que cela relève de la concurrence avec les taxis qui ne les ménagent pas d’un côté, mais aussi des cas d’indiscipline notoire. Hier seulement (samedi 30 mars 2013), mes hommes sont intervenus pour un cas de collision entre deux motos Jakarta. C’est inimaginable ! Je pense qu’à ce stade des choses, il faudra conscientiser les gens. Si on ne peut pas interdire les conducteurs de rouler, qu’on fasse comprendre aux populations le danger qu’elles encourent en empruntant ces motos comme moyens de transports. Car, à ce rythme, les populations seront décimées. Avec le peu de moyens dont nous disposons, nous tentons de sauver tous ces blessés. J’avoue que les moyens font défaut. L’ambulance est là-bas (il le désigne du doigt). Elle est en panne un jour sur deux. D’ailleurs elle était au garage depuis hier, les mécaniciens viennent de nous la livrer», confie Dabo.
…Orientés vers un hôpital envahi
Le Groupement national des Sapeurs pompiers, ne disposant pas d’ambulance médicalisée, convoie directement les blessés à l’hôpital. S’il s’agit de la région de Thiès, l’hôpital régional El Hadji Amadou Sakhir Ndiéguène accueille les accidentés. Déjà dans les couloirs, nous avons croisé une dame qui en venait aux nouvelles de son fils qui a fait un accident la veille (samedi soir), à hauteur du quartier Hersent. « Mon enfant est dans le coma, au service réanimation. Je suis complètement désemparée », nous dit-elle. Un tour effectué vers le département chirurgie nous fait constater l’ampleur du désastre. 4 blessés sur 5 sont l’œuvre de ces fameuses Jakarta. « Nous recevons en moyenne 6 à 10 cas par jours, parfois plus », confie Docteur Diouf qui était de garde ce dimanche. Il n’a pas voulu s’épancher car exerçant à Tivaouane et ne fait qu’assurer la garde à Thiès. «J’avoue que lorsque je suis ici, nous sommes débordés à cause de ces accidents de motos. C’est la même situation à Tivaouane où j’exerce de façon officielle. Il y a beaucoup de cas d’accident par ces motos», dit-il.
Solution : interdiction ou assainissement
Le docteur Yves Bâ, trouvé à l’hôpital régional de Thiès se dit conscient de l’ampleur du désastre et en appelle aux autorités. « Le phénomène est là et il faut tenter de le circonscrire. Faute d’emploi, les jeunes se sont rués vers ces Jakarta. Si on leur interdit d’exercer, ils trouveront d’autres moyens de s’en sortir et bonjour les agressions en série. A mon avis, il faut tenter de les organiser. Leur trouver une carte grise, une plaque d’immatriculation et une assurance pouvant garantir la prise en charge et du conducteur et du passager en cas d’accident. Car on est souvent confronté à ces genres de situation où les blessés ne sont pas pris en charge. Et c’est souvent difficile », conclut Dr Bâ. Quant à l’agent de police Mansour Diouf, pour lui, il faut éliminer ces motos du système de transport car, « la porte ouverte à toutes les formes de banditisme. Beaucoup d’agressions sont attribuées à ces motos Jakarta dont les conducteurs sont souvent étrangers dans la région où ils exercent ». Un fléau qui visiblement, sera très difficile à éradiquer surtout que le nombre de ces motos accroît de jour en jour, de façon exponentielle.