Sénégal-Fodé Sylla : « Macky Sall n’a pas peur de la diaspora »


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Fodé Sylla, nommé par le Président sénégalais Macky Sall Ambassadeur itinérant économique pour défendre le Plan Sénégal émergeant, a donné un entretien exclusif à Afrik.com. Dans la première partie de l’entretien, il se penchait sur la Francophonie, ici, il dit ses ambitions pour le Sénégal et revient sur son parcours atypique.

Afrik.com : Vous avez un parcours atypique. Vous avez présidé SOS Racisme, travailler avec Areva. Comment passe-t-on du militantisme contre le racisme, aux affaires, et maintenant à la politique?

Fodé Sylla :
SOS Racisme est, il est vrai, un mouvement anti-racisme, et de défense des droits de l’Homme. Mais il est avant tout né dans un contexte très politique en France. L’émergence dans les années 80 du Front national, qui remporte les élections dans la ville de Dreux, pour la première fois. SOS Racisme est aussi une réaction par rapport à la naissance sur la scène politique française du premier mouvement d’extrême droite avec des affiches comme : 3 millions d’immigrés égale à trois millions de chômeurs. Certes c’est un mouvement qui veut apporter une approche globale humaniste à l’émergence du Front national, qui est très sectaire, et prône la France aux français, mais nous en face on prônait une France métissée, donc SOS Racisme a toujours été lié aux questions politiques. Après quand j’ai quitté SOS racisme en 1999, j’ai décidé d’accepter la proposition que m’avait faite Robert Hue d’aller sur une liste d’ouverture qui m’a permis de porter la parole anti-raciste au parlement européen. Et mon entrée à AREVA, c’était dans le cadre du label diversité qui récompensait les entreprises qui respectent la parité, accueillent les handicapés, refusent le plafond de verre, notamment ceux issus de la diversité. Pour moi, c’était donc une certaine continuité dans ce que j’ai fait dans le mouvement anti-raciste. Afrik.com a d’ailleurs été le premier média à annoncer que j’ai été nommé chez AREVA. Je me rappelle, vous avoir confié que le plus important pour moi c’est l’accès à l’eau et à l’énergie. Et régulièrement, vous l’avez rappelé lors de la crise malienne, notamment que j’ai de plus en plus un engagement par rapport à mon pays et à mon continent d’origine. Moi, je suis originaire de l’est du Sénégal, Tambacounda. Ma maman est à Tambacounda. Même si j’ai grandi en France dans le Pays de La Loire, il en demeure pas moins que je suis attaché à mes origines et que je suis revenu régulièrement. Pour ma part, après ce parcours-là, arriver à redonner au continent qui m’a vu naître me paraissait important. Je l’ai fait lorsque j’ai demandé à travailler au Niger, et toutes les actions sociales que j’ai essayé d’apporter, j’en garde quelque chose de très fort, et j’avais envie de continuer à le faire. Et le Président Macky Sall me donne l’opportunité de pouvoir prolonger cette volonté que j’ai d’apporté mon savoir faire au continent. Je pense en tous cas, sur ces deux volets qui est la lutte contre le racisme et le refus de toutes formes de discriminations, et d’autre part d’apporter à l’Afrique ce que j’ai apporté à la France et à l’Europe, je trouve mon parcours atypique mais cohérent.

Afrik.com : Vous aviez été élu sur la liste du Parti communiste français à l’Union européenne. Comment passe-t-on du communisme au régime libéral de Macky Sall ?

Fodé Sylla :
Oh non ! Je ne suis pas dans un régime libéral, je suis Fodé Sylla, j’ai des convictions que tout le monde connait. Je suis un homme de gauche, et je serai toujours là où il y a de la discrimination contre qui que ce soit. On m’a appelé un moment donné à prolonger mon combat au Parlement européen. J’ai monté un groupe anti-raciste et égalité des droits, j’ai siégé dans un groupe d’extrême gauche avec Arlette Laguiller, Robert Hue, et les Verts dans les pays du Nord siégeaient dans ce groupe-là. Ce qui ne m’a pas empêché, quand j’étais député européen, de lancer ce que qu’on appelle « Passeport des libertés » avec Marion suarez, Michel Rocart, Alain Madelin, pour réclamer la libération de Mounia Diamane, en prison. Et à l’époque, Alpha Condé était en prison, en Guinée. AREVA c’est encore autre chose. Alors comment je passe de Mounia au business ? Mais je vous l’ai dit que c’est la lutte anti-raciste à l’intérieur d’un grand groupe qui m’a mené à AREVA.

Afrik.com : Vous vous définissez donc comme un électron libre qui ne fait partie d’aucun parti?

Fodé Sylla :
Je suis attaché à des valeurs. Je me définis comme un Mittérandisme parce que c’est l’homme politique qui m’a permis d’être ce que je suis devenu et qui m’a permis de créer SOS Racisme à une période en France, où la question qui était posée était de savoir est-ce que les jeunes Arabes et Noirs nés en France sont Français ou pas. Maintenant, il y a d’autres batailles, pour savoir est-ce qu’on accepte cinq millions d’immigrés d’origine musulmane, alors qu’on a fait un deal, en 1905, entre l’Eglise et l’Etat. Aujourd’hui, a-t-on la capacité de se dire, en France, qu’il y a un islam au visage bien français et qu’il ne faut pas l’amalgamer à ceux à qui recherchent aujourd’hui le grand califat ? Donc il y a tout une série de sujets qui traversent le rêve en tous cas d’un grand califat radical, donc il y a toute une série de fonds que traverse la société française qui mérite réflexion. Voilà, c’est le cas pour la France et les combats qu’on a à mener aujourd’hui. Je suis issu d’une génération qui a démarré avec Mitterrand, je pense qu’on a fait ce qu’on avait à faire avec l’émergence des mouvements qui ont démarré dans les quartiers, les premières radios libres, les grands combats aussi qui ont été remportés par rapport à la peine de mort. Et je suis héritier de cette histoire. Je fais partie de cette génération-là. Et cette génération, aujourd’hui, on la retrouve dans des fonctions d’affaires, c’est le cas d’Harlem Désir, ou encore Juline Dray, Vice-président de la région. Aujourd’hui, il y a deux façons de voir les choses. Soit on est concentré sur le cas d’une minorité en France, qui pense qu’il faut rester entre Blancs catholiques, où se dire il y a 60 millions de Français dans une Europe qui en fait 700 millions, dans un monde qui en fait 7 milliard. Peut-être que si on veut s’en sortir, y compris la façon d’aborder les questions économiques, on doit se demander quels liens on doit entretenir avec le reste du monde, plutôt que de vivre entre Français nostalgiques du passé, enfermés dans une Europe qui a atteint son apogée et dans un monde beaucoup plus global. Depuis plusieurs décennies, ce sont les mêmes personnes qui gardent les mêmes pouvoirs, qui sortent des grandes écoles, issues des grandes familles, et sont toutes dans le même moule. On assiste à une reproduction consanguine des élites. Les dirigeants du monde ont tous fait les mêmes écoles maternelles. La question est tranchée dès le départ. On peut aussi de temps en temps faire péter la matrice pour aller voir les dirigeants qui ne sont peut-être pas forcément issus des grandes familles ou des grandes écoles, qui ont des parcours universitaires, et ont simplement appris à être des énarques de la rue. Moi, à Dakar je suis capable d’être au Terrou-Bi tout comme manger le soir avec des potes dans une dibiterie (gargote où on grille de la viande de mouton, ndr). Et je suis capable, à Paris, d’habiter en Seine-saint Denis comme d’aller travailler dans le 16ème. Et le jour où on réussira à faire qu’il y ait des mouvements de ces populations comme ceux-là, on cassera un peu les codes et on donnera à chacun la possibilité de pouvoir se déplacer. Et on fera la mixité dans le logement, dans l’emploi, et notamment en se servant de la mixité scolaire, je pense que ce jour-là, on aura réussi à avancer un peu plus sur les question d’égalité.

Afrik.com : Quels sont vos liens avec Macky Sall ?

Fodé Sylla :
On est de la même génération, on est arrivé aux affaires jeunes, on a forcément ensemble des références culturelles, on a vu les même films, les mêmes pièces de théâtre, et ça rapproche des hommes. On rit des mêmes choses. Il a un côté très attachant, il a rompu avec le temps des hyper-Présidents très médiatiques qui peuvent rassurer d’une certaine façon, mais je sais aujourd’hui ce que c’est une marque déposée et un produit de marketing. Je pense que Macky Sall travaille sur le fond, et qu’il est en train de faire du Sénégal une marque déposée et non comme un simple produit marketing. Le Sénégal ressemblait beaucoup plus au Mali sur le plan de l’urbanisme. Maintenant, il ressemble beaucoup plus à la Côte d’Ivoire. On ne peut pas remettre en cause ce que Wade a fait en terme d’urbanisme et modernisme. Mais Macky Sall lui est dans une dynamique de fond, c’est moins bling bling comme méthode, moins clinquant, ça sonne peut-être moins bien le soir au journal télévisé, mais le fond, c’est ce qui intéresse les gens. C’est aussi quelqu’un qui n’a pas peur de la diaspora, dont on se méfie parfois en Afrique, surtout celle qui a vécu dans des pays démocratiques. Donc je crois qu’il y a tout pour être séduit.

Afrik.com : Oui mais à part avoir lu les mêmes livres, détenir les mêmes références culturelles, concrètement qu’est-ce qui vous lie à Macky Sall. D’où est partie votre relation?

Fodé Sylla :
On n’a jamais dansé en discothèque ensemble, si c’est ce que voulez savoir. (Rires). Non plus sérieusement, je pense que le Président Wade n’aurait jamais dû demander un troisième mandat. C’était le mandat de trop et les Sénégalais étaient sur la même position puisqu’il n’a pas été réélu. Dans cette période il y avait des hommes comme Youssou Ndour, en passant par le Mouvement Y en a marre, le M23 qui souhaitaient son départ. J’étais à Paris durant cette période, et j’organisais des manifestations pour réclamer l’alternance. Donc voilà, c’est ça le lien avec Macky Sall, né du fait de l’avoir soutenu car il proposait l’alternative. Il a fait appel à nous la diaspora pour qu’on l’aide. Et moi, quand je m’engage, je m’engage. On me propose d’aider à la réussite d’un plan qu’on prolonge sur le long terme pour réduire la pauvreté et pour plus d’équité dans le pays, ce serait quand-même bête de ne pas le faire. Vous avez vu mon parcours, à mon âge après avoir été à la tête de l’association la plus forte des années 80, puis le premier député européen noir. Je voyais des collègues au Conseil économique et social, on finit sa carrière au Conseil économique et social, moi c’est déjà derrière moi. En plus, j’ai eu la chance de passer de l’associatif politique à une entreprise comme AREVA. Voilà je pense qu’une vie ne saurait me suffir. Et là, j’entame une deuxième vie. Et je suis très content de l’entamer avec l’autre partie de ma vie qu’est l’Afrique.

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