Depuis tout juste un an, neuf femmes sillonnent Dakar au volant d’un taxi flambant neuf. Intronisées par le président Wade à travers un projet d’entrepreneuriat féminin, ces « Taxi sisters » expérimentent un nouveau métier jusque-là dévolu exclusivement aux hommes. Bilan.
Par Laurence Garavelli N’zaou
Ça tient presque du miracle lorsqu’on en aperçoit une dans le capharnaüm automobile, place de l’Indépendance, à Dakar.
Des hordes de vieux taxis jaune et noir, âgés en moyenne de 15 ans, débouchent des quatre coins de cette artère centrale et crachent des volutes de fumée qui s’évanouissent dans la moiteur de l’air. Quelques scooters teigneux ouvrent une percée dans ce dédale de véhicules, tandis que quelques piétons se fraient courageusement un chemin au milieu de cet enchevêtrement de tôle.
Sélectionnées par le Fonds National pour la Promotion de l’Entrepreneuriat Féminin
C’est dans ce joyeux foutoir automobile qu’une « Taxi sister » surgit pleine de grâce. Aérienne. Apparition presque surréaliste, tant elle détonne avec l’environnement brouillon urbain. C’est une Chery QQ, pimpant petit véhicule chinois d’à peine quatre mètres de long, nouvellement introduit sur le territoire sénégalais. Sa conductrice Mama Sakho n’est pas peu fière. Il faut dire que la vie de cette jeune femme a radicalement changé depuis l’inauguration en grande pompe par la Première dame du Sénégal, Viviane Wade, du projet Taxi Sisters, le 18 septembre 2007. Ses yeux pétillent encore lorsqu’elle se remémore l’événement et quelques dreadlocks espiègles s’agitent autour de son visage : « C’était fort, on était comme des stars. Les gens se penchaient pour s’assurer qu’on était bien des femmes. »
Dans cette aventure, elles sont neuf à avoir été sélectionnées par le Fonds National pour la Promotion de l’Entrepreneuriat Féminin, en partenariat avec le concessionnaire Espace Auto (Groupe CCBM), pour devenir les premières femmes taxis au Sénégal et futures propriétaires de leur véhicule. Avec un but : rembourser en cinq ans le prêt de 7 350 000 FCFA qui leur a été consenti par le fonds, pour acheter leur taxi. Cette initiative soutenue par le Ministère de la famille espère « favoriser l’insertion des femmes dans le tissu socio-économique » précise M. Abdoulaye Seck, chargé de mission auprès du FNPEF.
Formation à la conduite, cours de gestion et même leçons d’auto-défense organisés par le fond et Espace Auto, elles n’ont reculé devant rien pour mettre toutes les chances de leur côté et réussir ce pari. « Je veux prouver à tous les taxis hommes qu’une femme est capable d’être au volant d’un taxi, et d’être son propre patron », ajoute Mama Sakho.
Les confrères des Taxi sisters grincent des dents
Changer les mentalités, améliorer la condition et la perception de l’emploi féminin, c’est aussi ça, le projet Taxi Sisters. Alors qu’est-ce qu’en pensent les hommes ? Pour Aliou N’Diaye, responsable des taxis stationnés devant le Novotel du plateau, « les Taxis sisters nous ont fait perdre la moitié de nos courses car elle bénéficient de places privilégiées devant le hall de la sortie de l’hôtel. Nous, nous sommes derrière la barrière… c’est de la concurrence déloyale ! ».
Ce que ne conteste pas le superviseur d’Espace auto, Monsieur Ousmane qui répond : « Les femmes sont plus vulnérables et nous ne voulions pas les lâcher dans la nature. Alors, nous avons conclu des accords avec quelques grands hôtels de la capitale pour qu’elle puissent exercer leur activité en toute sécurité auprès d’une clientèle ciblée, mais il reste plein d’autres endroits et elles ne sont que neuf ! ».
La colère des taxi sisters
Donc pas de quoi s’inquiéter d’après le concessionnaire. Pourtant, certaines des filles ne décolèrent pas à l’égard d’Espace auto et du FNPEF. Et plusieurs d’entre elles se sont montées en GIE pour faire entendre leur inquiétude.
Tout d’abord, elles reprochent le coût de leur outil de travail et son inadaptabilité. Car problème, les véhicules roulent à l’essence et avec l’envolée du baril de pétrole, le plein a fait un bond olympique à la pompe. Autre reproche : le prix de la maintenance conséquent, et le taux d’intérêt de 5% appliqué à leur prêt qu’elles trouvent exorbitant.
Mais il y a pire. Selon l’une des Taxis Sisters, Sanou Top, et présidente du GIE, « le véhicule nous a été vendu 7 000 000 FCFA et on le trouve en ce moment à 4 500 000 chez Espace auto[[Prix pratiqué au 30/04/08 chez Espace auto]] ! ». Pour Sanou Top, l’explication est simple : « Nous servons de cobaye à Espace auto pour tester les femmes taxis. Et ensuite ils reprendront l’image des Taxis Sisters à leur compte et se débarrasseront de nous en employant des salariées ! Ce n’est pas aider les femmes et encourager l’entrepreneuriat, c’est spéculer sur le dos des femmes ! ». Depuis quelques mois, Sanou Top et quelques autres refusent de régler leurs mensualités de prêt. Elles attendent un geste du Ministère de la femme et de la famille pour diminuer le prix d’acquisition de leur véhicule et se sont faites représenter par l’association Enda Graf.
Quant au concessionnaire Espace auto, il ne nie pas sa volonté de renouveler le parc vieillissant des 15 000 taxis de la capitale. Projet qui a, d’ailleurs, pour but affiché de mettre fin à la libéralisation des prix « à la tête du client », d’organiser la flotte par répartition sectorielle avec des têtes de gondole et de l’équiper de radios et taximètres. « Un peu à l’image des ‘Taxis Bleus’ » explique le superviseur, Monsieur Ousmane. Mais selon lui, « les femmes ont leur place dans ce projet ». Et les Taxis sisters ?