Depuis 1988, l’électeur sénégalais récompense son héros ou son martyr par une position enviée sur l’échiquier électoral. De Abdoulaye Wade à Macky Sall, le N° 2 récompense ainsi la volonté de survie et de dignité de celui qui a refusé l’injustice et magnifié la survie dans la dignité et l’honneur.
Tous les « numéros 2 » ont fait allégeance à Macky Sall. Moustapha Niass, Ousmane Tanor Dieng et Idrissa Seck principalement, empressés ou trainant les pieds, avec le sourire ou du bout des lèvres, ont ainsi rempli le serment tenu pendant les négociations « Benno » de marcher séparément d’abord pour frapper tous ensemble et se retrouver ensuite au second tour pour enfin se réunir autour d’un des leurs, le mieux placé face au présumé premier, le candidat Abdoulaye Wade ainsi consacré primus inter pares. Chacun avait pensé être ce « numéro 2 » qui damerait ainsi le pion à tout le reste de la bande, principalement à Macky Sall que personne ne voulait réellement voir comme le suivant immédiat. Ce en quoi ils s’étaient trompés, entraînant certaines interrogations dans leurs rangs quant au respect de ce « ndiguel » politique.
Un certain empirisme aurait dû en effet les amener au résultat du 26 février dernier (annoncé par des études des plus sérieuses) dans un processus de solidarité sociale envers celui que la société présente comme victime de la dictature du pouvoir. Il en est ainsi depuis 1988 lorsque, dans une inspiration digne des grandes dictatures, le Président Abdou Diouf jette en prison ses challengers (Abdoulaye Wade et Amath Dansokho) avant de se proclamer élu lors de la présidentielle de février. L’entropie sociale qui en a résulté engendra cette phrase historique du regretté Président Mamadou Dia, témoin moral du prisonnier Wade : « Monsieur le président, rendez-vous au peuple l’élu, son élu ».
Djibo Kâ goûtera aux mêmes délices en 1998 lorsque, à la surprise générale, il sortira des législatives avec un groupe parlementaire : deux ans auparavant, il s’était opposé avec la dernière énergie au parachutage d’Ousmane Tanor Dieng à la tête d’une formation dont il s’estimait l’héritier présomptif. Moustapha Niass, entré en trublion dans la danse en 2000, modérera les ardeurs du Secrétaire général de l’Union pour le Renouveau démocratique en le reléguant loin derrière : l’électeur venait de retrouver son héritier socialiste, indument combattu depuis 1984 par Jean Colin, d’abord (avec le concours d’un certain…Djibo Kâ), par Abdou Diouf ensuite, dont la main-mise sur le Parti socialiste ne saurait être totale sans la mise à l’écart de l’actuel responsable de l’Alliance des Forces de Progrès (Afp).
L’alternance multipliera les martyrs, véritables héros de la société votante. Ainsi, Idrissa Seck, « actionnaire majoritaire » du Parti démocratique sénégalais dont il a été chassé dans un processus perçu comme volonté d’imposer Karim Wade, sortira major des opposants à Wade en 2007 et sera récompensé dans sa « martyrisation sociale » par un règne sans partage dans sa régionale natale, Thiès. Le demi-dieu tombera de lui-même par son yoyo intéressé envers son tombeur d’hier. Ainsi s’explique sa lourde défaite personnelle du 26 février dernier, lorsque l’électeur préférera et consacrera Macky Sall, dans la galaxie libérale, comme digne héritier d’un courant dont on a voulu le chasser pour avoir osé convoqué un détenteur de fonds publics dont les dépenses ont semblé outrancières poue nécessiter une explication devant la représentation populaire.
Malheureusement, dans ce cas précis de la grande tempête libérale dans un verre d’eau, la densité morale d’une société éveillée capable de dire non quand il faut, et avec les armes qu’il faut, jusqu’au sacrifice suprême (on a dénombré environ une douzaine de morts durant la présente campagne, en dehors de deux suppliciés), cette densité morale donc se heurte aujourd’hui au ramollissement cérébral né des doutes devant le mariage contre-nature de la carpe et du lapin, entre le clivage historique socialistes-libéraux traditionnel qui se retrouve ainsi posé avec les ralliements au rescapé de la seconde manche. Ce ramollissement se double de la difficulté de faire le départ entre les deux candidats libéraux arrivés au second tour, quoi que avec un préjugé plus favorable pour Macky Sall de l’Alliance pour la République (Apr) désigné par le vote du 26 février dernier candidat libéral de facto, sans adversaire au fond, de préférence à Idrissa Seck relégué au dernier rang du groupe des cinq majeurs. L’absence d’idéologie à laquelle s’agripper entre le président sortant et son challenger ajoute une autre difficulté au respect total d’une consigne qu’un certain empirisme enseigne à relativiser quant au suivi strict et total, d’autant que des voix discordantes se sont élevées dès l’abord (« Rewmi » de Idrissa Seck et « Taxaw Temm » de Ibrahima Fall) quant au report automatique. Au demeurant, aucun des candidats arrivés après Macky Sall ne l’a félicité spontanément et rappelé le serment ante de soutien au candidat de l’opposition le mieux placé. En prenant son bâton de pèlerin pour faire le tour de ses anciens amis de « Benno », en commençant par Amadou Moctar Mbow, le leader de l’Apr a atténué la portée sociale et politique de l’appel de ses suivants immédiats à faire voter pour lui.
A l’heure du choix, le 25 mars prochain, des surprises sont possibles : la dégringolade de Tanor a profité plus à Niass qu’à Macky ; la perte du tiers des voix (300.000 vs 400.000 en 2009) a réconforté « le candidat de l’unité et du rassemblement » pour des raisons de fidélité à une union souhaitée par la société depuis 2007 mais trahie par la disperson des énergies « Benno », doublée des difficultés internes aux Socialistes face à leur premier secrétaire. En outre, Macky Sall au coude à coude avec le candidat libéral selon les sondages « sortie des urnes » a réconforté son score grâce à Idrissa Seck dont la désillusion entre 2007 (2ème) et 2012 (5ème) était déjà prévisible en 2009 avec une perte sèche de 300.000 voix de son potentiel initial. Le candidat sortant, enfin, était averti par un boycott du vote libéral (40%), ce qui explique son maintien grâce à son score historique (20%) majoré plus par un bilan sur lequel il n’a pas voulu insister, bien que défendable, que par les 58 formations lilliputiennes des Forces alliées (Fal) 2012
Pathé MBODJE, M. Sc, Journaliste, sociologue