Au Sénégal, 21,5% des enfants sont dépourvus de tout papier administratif. Des naissances non enregistrées qui les privent de leurs droits fondamentaux et hypothèquent leurs chances de réussite et d’intégration dans le pays. Des raisons économiques et sociales expliquent cette situation préoccupante à laquelle l’Etat sénégalais a décidé de remédier. Avec succès.
Sans-papiers dans leur pays… En 2004, selon une enquête réalisée par le ministère de la Femme, de la Famille et du Développement social du Sénégal, le Fonds des Nations Unies pour l’Enfance (UNICEF) et l’organisation non gouvernementale (ONG) Plan Sénégal, 21,5% des naissances n’étaient pas enregistrées au Sénégal. Manque d’hôpitaux, prix du certificat de naissance trop élevé, autant de raisons qui rendaient toute démarche administrative difficile pour les parents.
Pas de nom, pas de droits… Un oubli à la naissance qui est lourd de conséquence pour ces jeunes. Sans certificat de naissance, les enfants se voient privés d’une identité civile. Toutes les portes leur sont fermées et en premier lieu celle de l’école. Résultat, la plupart n’a que la rue pour refuge. L’enregistrement universel des enfants à la naissance est donc devenu une des priorités en matière de protection des droits de l’enfant au Sénégal.
Des raisons pour expliquer cette réticence
La question de l’enregistrement des naissances repose essentiellement sur les parents. Différents facteurs poussent les familles sénégalaises à ne pas entreprendre les formalités nécessaires. Le manque de structures sanitaires, le problème des villages enclavés qui n’ont pas de maternité à proximité (où les enfants sont automatiquement enregistrés) explique, entre autre, cette réalité. « Certaines femmes doivent emprunter une pirogue ou utiliser une charrette pour atteindre un hôpital. A 4 heures du matin, si elles sentent qu’elles perdent les eaux, elles préfèreront accoucher chez elles plutôt que de parcourir un long trajet. De ce fait, elles ne sont pas averties des démarches à engager », explique Moussa Gaye, secrétaire général de l’ONG sénégalaise l’Avenir de l’Enfant. La tradition, ancrée dans certains villages sénégalais, incite aussi les jeunes Sénégalaises à rester chez elles. Chaque village a, part ailleurs, sa matrone (en Afrique, le mot signifie : sage-femme), une femme qui traditionnellement à les compétences requises pour aider à l’accouchement : « Les femmes ne cherchent donc pas à aller ailleurs », souligne Moussa Gaye.
A ces causes sociales se greffent le facteur économique et la pauvreté. « Il y a quelques années, certaines structures médicales faisaient payer le certificat d’accouchement entre 2 500 et 3 000 francs CFA (3,81 ou 4,57 euros). Face à ces prix, les gens pauvres restaient réticents. Il est heureusement gratuit aujourd’hui », indique Moussa Sow, directeur de l’organisation non gouvernementale (ONG) sénégalaise l’Avenir de l’enfant. Et Mamadou Wane, directeur de l’UNICEF au Sénégal d’ajouter : « Les parents ont trois semaines pour déclarer leur enfant gratuitement. Au bout d’un an, il faut aller voir un juge et présenter un certificat de non inscription à l’Etat civil et être accompagné de deux ou trois témoins. Il faut également payer une contribution de 200 francs CFA (0,30 euros). Le prix a été baissé par l’actuel gouvernement en 2004. Avant, il fallait débourser 4 600 francs CFA (7,01 euros). raconte Mamadou Wane.» Une mesure de l’Etat qui vise à inciter les adultes à demander l’enregistrement de leur enfant.
Conséquences fâcheuses
Les enfants, dont les parents n’ont pas entrepris les demandes de reconnaissance civile pour des motifs diverses, se voient ainsi privés de droits essentiels pour exister dans la société. Cet enregistrement constitue la première condition de reconnaissance légale d’une personne, lui garantissant la protection de ses droits individuels et la sanction en cas de leur violation. Ces jeunes n’auront, par exemple, pas accès aux soins de santé ou à l’enseignement et tout système scolaire. Ils sont mis de ce fait sur le banc de la société.
D’autres problèmes se posent. « Sans état civil, ils ne peuvent voter, ni acquérir la nationalité sénégalaise », rapporte un membre du Centre national d’Etat civil, rattaché au ministère de l’Intérieur sénégalais. Autres conséquences problématiques pour ces enfants : « La plupart du temps, ces jeunes se tournent vers le travail informel, car ils n’arrivent pas trouver de boulot puisqu’ils n’ont pas de carte d’identité. Il garde toujours cette frustration de ne pas exister administrativement », confie Moussa Gaye. Celui-ci côtoient quotidiennement ces enfants dans sa structure : « Comme ils ne trouvent pas de travail, la plupart de ces jeunes deviennent des enfants des rues. »
Vulnérables, ils sont soumis à toutes formes d’exploitation, comme le travail des enfants, le mariage précoce et forcé, la traite des enfants et la prostitution. Etre en mesure de prouver son âge dresse également un rempart contre ces abus. Pour obtenir à tout prix leur reconnaissance civil, nombreux sont ceux qui sont même prêts à débourser de l’argent pour se procurer de faux papiers. « Il y a 5-6 ans, les extraits de naissance falsifiés coûtaient à peu près 7 000 francs CFA (10,67 euros). C’est-à-dire à peu près 15% du salaire minimum au Sénégal. C’était tout un trafic. La plupart du temps, ils étaient fournis par des fonctionnaires véreux. Aujourd’hui, ce commerce illégal a tendance à diminuer », déclare Moussa Gaye.
Une campagne de sensibilisation nationale
Cette baisse du trafic de faux papiers découle en partie d’une opération de sensibilisation organisée dans tout le pays. En effet, face à la proportion considérable d’enfants se retrouvant à l’âge adulte démunis de toute existence administrative, le gouvernement a décidé de réagir. Répondant également aux injonction de l’article 7 de la Convention Internationale relative aux droits de l’enfant de 1989 stipulant que « l’enfant doit être enregistré aussitôt sa naissance et a, dès celle-ci, le droit à un nom, le droit d’acquérir une nationalité (…) ».Une grande campagne a ainsi pu voir le jour le 16 juin 2003, à l’occasion de la Journée de L’Enfant africain. Une campagne mise en place par l’Union Africaine et qui commémore le martyr des enfants de Soweto. L’ONG Plan International, l’UNICEF, le ministère de l’Intérieur et de la Justice sénégalais, ainsi que d’autres associations et ONG ont participé activement depuis 3 ans à cette démarche.
Cette opération de sensibilisation a débuté en 2003 suite aux analyses faites concernant l’enregistrement des naissances au Sénégal. « 40% des enfants de 0 à 5 ans n’avaient pas d’état civil en 2000. Les premières mesures de visaient essentiellement les parents afin qu’ils aient le réflexe d’inscrire leur enfant sur le registre administratif, souligne Mamadou Wane. La deuxième mesure était une campagne de rattrapage, organisée pendant 6 mois en 2004 dans tout le pays ». La campagne a porté ses fruits puisque de 2000 à 2004, le taux d’enregistrement des enfants à l’état civil a augmenté de 17, 6 points, passant de 60.9 à 78.5%, rapporte l’étude, publiée en 2005, réalisée par le ministère de la Femme, de la Famille et du Développement social du Sénégal, l’UNICEF et Plan Sénégal.
Avec 21, 5% de Sénégalais sans papier en 2004, le Sénégal fait pourtant relativement figure de bon élève africain. Des chiffres élevés mais qui tranchent avec la moyenne continentale. Chaque année, 55% des nouveaux nés ne sont, en effet, inscrits sur aucun registre en Afrique. Pour obtenir de tels résultats, des audiences foraines ont vu le jour sur le territoire sénégalais. « Elles ont récolté un énorme succès, souligne Mme Déme, directrice du Centre national d’Etat civil, rattaché au ministère de l’Intérieur sénégalais. Entre 300 et 400 personnes s’y présentaient chaque jour ». Une nouveauté : « Depuis la mise en place de ce projet, c’est la Commission des audiences foraines qui se déplace vers les populations et non l’inverse », ajoute Moussa Sow. Pour simplifier la tache des parents, des délégués de quartier ou de village gèrent un cahier qui répertorie les naissances. Ceux-ci transmettent ensuite les informations collectées aux autorités. Une campagne pour changer les habitudes, une campagne pour récupérer son identité… C’est avant tout un espoir pour tous ces jeunes et ces adultes sénégalais de devenir quelqu’un.
Par Louise Simondet