Ces femmes qui militent pour la polygamie au Sénégal


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Plusieurs mains
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Co-épouses par choix, de nombreuses femmes sénégalaises se tournent vers la polygamie. Dans ce pays où l’homme est « roi », ce phénomène semble prendre de l’ampleur. Qu’elles soient journalistes, cadres, informaticiennes, la polygamie touche tous les milieux. Les racines de la tradition sont plus vivaces qu’elles n’y paraissent. Facteurs sociaux, économiques et personnels, autant d’arguments pour expliquer cet état de fait.

« Je suis co-épouse et je défends la polygamie », revendique Siga Ndiour, journaliste et responsable du service culturel, sur la radio municipale de Dakar (Rmd) au Sénégal. Jeune femme indépendante, elle anime une émission quotidienne féminine, nommée « Trucs et Astuces de femmes ».

Seconde épouse, Siga a accepté « par amour » que son mari partage sa vie entre deux maisons et explique posément que ce choix de vie « la comble pleinement ». Stigmatisée en France, la polygamie est reconnue au Sénégal comme régime matrimonial, au même titre que la monogamie. Elle est inscrite dans le code de la famille depuis 1972.

Comme Siga, « elles sont nombreuses au Sénégal à accepter que leur mari prenne plusieurs femmes, rapporte Mamadou Moustapha Wone, sociologue sénégalais, auteur du livre Faudrait-il supprimer la polygamie ?. Cependant on constate que cette pratique est de moins en moins courante en ville mais reste toujours importante en milieu rural ». Une affirmation que dément avec vigueur Siga : « C’est faux, la polygamie est présente en ville. Moi qui présente une émission féminine, qui dialogue avec mes auditrices et qui connaît bien ce sujet, je peux vous affirmer qu’elle est toujours d’actualité ». Une amie de Siga, commerçante à Dakar et monogame, confirme : « Il y a beaucoup de mariages polygames ici ».

Les jeunes femmes de plus en plus tentées par la polygamie

Selon une enquête sur les ménages sénégalais, publiée en 2004 par l’Institut de la statistique et de la démographie du Sénégal, un quart des mariages au Sénégal en 2002 sont polygames (24,6%). Malgré un déclin significatif de la polygamie entre 1994 et 2002, le taux d’union polygame reste conséquent. Selon le rapport, 6,6% des femmes à Dakar en 2002 contractaient ce type d’union. Elles représentaient le double en milieu rural. Mme Mbenge Matel-Bocoum, journaliste à l’hebdomadaire sénégalais Le Témoin précise : « Il y a une diminution en ville. Mais parallèlement les jeunes femmes s’intéressent de plus en plus à ce type d’union. C’est un phénomène qui prend de l’ampleur et que les statistiques de 2004 ne montrent pas ».

Contacté par Afrik.com, M. Sylla, auteur de cette enquête admet : « La tendance actuelle contredit l’étude. Nous pensions que la polygamie allait régresser grâce à l’éducation. Mais il semblerait que la tradition reprenne une place importante. Ainsi, des jeunes filles, qui sont pourtant allées à l’école, reproduisent le modèle familial. De plus, on trouve la polygamie dans des endroits où on ne la soupçonnait pas. Comme par exemple chez les cadres, les journalistes… L’Institut réalise une étude sur la polygamie qui devrait voir le jour d’ici trois ans et démontrera certainement ce phénomène ».

Et Binta, informaticienne à Dakar d’ajouter : « C’est vrai, les jeunes femmes sont de plus en plus attirées par la polygamie. Elle ne trouvent pas de travail et préfèrent épouser un homme plus âgé qui les sécurise ». Binta a reproduit ce schéma. Son mari a vingt-trois ans de plus qu’elle et partage sa vie entre sa première épouse française et sa seconde épouse sénégalaise…. Il n’est pas surprenant au Sénégal de voir des femmes assumer pleinement cette union et plaider en sa faveur. D’après les témoignages recueillis par Afrik.com, les femmes qui défendent la polygamie sont la plupart du temps seconde épouse. Ces dernières sont unanimes : Plus choyées que la première épouse qui est délaissée, elles y trouvent largement leur compte.

Le paradoxe des Sénégalaises : des femmes indépendantes et soumises

« Je préfère savoir mon mari chez son autre épouse, plutôt qu’il me trompe », rapporte la journaliste de Rmd. Infidélités consenties pour se prévenir de l’adultère, c’est l’un des arguments de ces femmes qui revendiquent avec conviction ce choix marital. « C’est notre liberté de pouvoir décider si oui ou non nous souhaitons être co-épouse. Personne ne nous l’impose, c’est une décision personnelle », rapporte une autre Dakaroise qui a souhaité garder l’anonymat.

Appartement personnel, les Sénégalaises sont nombreuses à ne pas partager leur foyer entre épouses. Siga a opté pour cette solution. Elle dispose de sa propre maison et ne rencontre la première femme de son mari que lors des cérémonies familiales. Pour Siga, ce régime matrimonial permet aussi à une femme autonome de garder son indépendance : « La polygamie donne plus de liberté. Avec mon mari, nous nous voyons tous les deux jours. Ce qui me permet, le reste du temps, de vivre ma vie et de vaquer à mes occupations. Et je peux vous assurer que beaucoup de femmes préfèrent cette situation ».

La tradition de « l’homme roi » implantée dans ce pays joue aussi un rôle important. « L’homme est considéré comme un bébé, rapporte Siga. Lorsque mon mari vient à la maison, je délaisse tout pour m’occuper entièrement de lui. Je suis aux petits soins. Je lui coule son bain, je cire ses chaussures, je lui prépare un bon repas, je lui repasse ses habits (…). Notre objectif est d’être des expertes pour pouvoir retenir notre homme le plus longtemps possible à la maison. Les hommes sénégalais sont trop gâtés. Ils sont choyés et ne font rien ». Et d’ajouter : « C’est un grand sacrifice, mais quand on aime, on ne compte pas… C’est dans les coutumes. Et puis, ça me fait plaisir de le cajoler ».

Au Sénégal, ces femmes qui savent bien s’occuper de leur mari sont appelées « mok-pothie ». Habituée à faire les quatre volonté de son homme, une autre Sénégalaise ajoute sereinement : « Tout ce qu’il demande, j’exécute comme une esclave, jusque dans l’intimité. Je suis la pute de mon mari ».

D’autres facteurs explicatifs

D’autres facteurs interviennent pour expliquer le regain du phénomène au Sénégal. Pays musulman à 90%, le Coran autorise l’homme à avoir au maximum quatre femmes. Siga, qui est de confession musulmane, explique que « lors du mariage, un accord est signé. Le mari s’engage à donner autant de temps à ses femmes. Il doit respecter cet accord car sinon dans notre religion c’est ‘Halam’, c’est-à-dire un péché». « Cependant, la polygamie existait au Sénégal bien avant l’Islam », précise M. Wone. Des coutumes, ancrées dans ce pays depuis la nuit des temps que l’Islam a renforcé.

En plus du facteur religieux s’ajoute la conjoncture économique et la pauvreté. « Le travail est accaparé par les hommes. Résultat : les femmes ne peuvent pas subvenir à leurs besoins et préfèrent se marier », explique M. Wone. De surcroît, note Siga : « Il est difficile de trouver un mari. Les dotes sont très élevées (700 000 Fcfa, soit 1 067,14 euros) et la cérémonie est très coûteuse. Elle est payée par le mari, d’où ses réticences pour s’engager ».

Des facteurs sociaux expliquent aussi ce choix. « Nous sommes dans une société où ne pas se marier constitue un véritable drame. Les femmes qui ne trouvent pas de maris après 25-30 ans sont stigmatisées et pointées du doigt. Elles sont considérées comme des « Thaga » (prostituées), des femmes stériles ou porteuses de maladies », rapporte M. Wone. Des qualificatifs qui jouent pour beaucoup sur cette envie, coûte que coûte, de trouver chaussure à son pied. Et quitte à être deuxième ou troisième épouse, la bague en vaut la chandelle.

La place de la femme : entre « légende » et « religion »

Pour comprendre la polygamie au Sénégal, il convient aussi de prendre en considération l’image et la place que l’homme occupe au sein même de la communauté. « C’est une société patriarcale. L’homme tient donc une place prépondérante », explique M. Wone. Cette domination prend aussi ses racines dans des interprétations faussées de la religion qui voudraient que les femmes restent aux foyers. Les mythes relayent, eux aussi, ce préjugé.

« Un conte, très connu au Sénégal raconte que Dieu créa l’homme et la femme. Un jour, il appela l’homme, lui donna un couteau et lui demanda, pour faire preuve de piété, de tuer dans la nuit son épouse. L’homme préféra jeter le couteau. Dieu renouvela l’opération avec la femme. Mais celle-ci, à la différence de l’homme, voulu exécuter l’affaire. Pour la punir, Dieu la condamna à enfanter dans la douleur, à s’occuper des tâches domestiques (…) », raconte M. Wone. Des interprétations anthropologiques expliquent aussi le statut de l’homme dans la société sénégalaise. « La polygamie fait de l’homme, un individu qui appartient à tout le monde. Cela empêche la nucléarisation de la famille », résume le sociologue.

Une situation maritale dénoncée par bon nombre d’associations féminines qui combattent cette pratique qu’elles considèrent comme « une régression ». « La polygamie est une atteinte à la liberté de la femme, à son épanouissement personnel. Il faut la supprimer au Sénégal. Cette pratique n’est ni bonne pour l’homme, ni pour la femme. Les explications de ces femmes qui défendent ce type d’union sont de faux arguments. Comme toutes les femmes, il va de soit qu’elles préfèreraient avoir leur homme pour elles », rapporte Siggil Jigeen, un réseau qui regroupe dix-huit associations féminines au Sénégal. Pour ou contre la polygamie ? Les deux camps restent sur leurs positions. « La polygamie, c’est un choix de vie », souligne Siga. Le cœur a vraiment ses raisons que la raison ne connaît pas…

Par Louise Simondet

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