A Arafat, quartier populaire de Dakar, la capitale sénégalaise, les habitants prouvent au quotidien que si l’Etat leur fait faux bond, ils peuvent néanmoins subvenir à leurs besoins les plus élémentaires. Le centre de développement communautaire Arafat Excellence s’en assure depuis 2003.
Quand on a appris à pêcher, tout devient alors possible. Le centre de développement communautaire (CDC) Arafat Excellence (Arafex) en est une belle illustration sénégalaise. Arafat est l’un de la dizaine de quartiers que compte la commune de Grand Yoff « qui se trouve au carrefour de la ville de Dakar, aussi bien sur le plan géographique que culturel », explique Assane Awe, le coordonnateur du centre Arafat. Dix mille âmes résident dans ce quartier populaire où se retrouve aussi bien des personnes originaires des campagnes sénégalaises que de la sous-région de l’Afrique de l’Ouest. Leur point commun : la précarité, là où l’absence de l’Etat est flagrante. Pas une seule école publique n’a été construite à Arafat.
« Des synergies pour nous mettre au service de notre quartier »
Mais depuis 2002, les gens du quartier ont appris à se prendre en main. A la fin de cette année-là, le projet de nutrition communautaire (PNC) lancé en 1993 et financé, notamment par la Banque Mondiale, s’achève. Mais les besoins restent patents et les populations sollicitent encore les responsables du programme. «Il fallait donc capitaliser nos expériences et mettre en place une structure pour continuer », explique Assane Awe. Ce professeur de mathématiques, en dépit de son affectation à l’intérieur du pays, a toujours maintenu le contact avec les animateurs du PNC. En 2001, pour des raisons familiales, Assane Awe est obligé de rentrer à Dakar. Son retour coïncide avec la fin du projet de la Banque Mondiale. L’enseignant en est informé par ses amis. La motivation est toute trouvée pour retourner sur les bancs. Assane Awe s’inscrit dans une école de formation en entrepreneuriat. Son projet d’étude porte sur le futur centre de développement communautaire. Les anciens centres de nutrition du PNC fusionnent pour donner naissance en janvier 2003 au CDC Arafex qui fonctionne sur fonds propres.
Le centre communautaire est devenu un palliatif de l’Etat. « L’Etat ne peut pas tout régler pour tous les citoyens, note Assane Awe. Le peuple doit se prendre en charge. Avec le centre de développement communautaire, nous créons des synergies pour nous mettre au service de notre quartier ». Santé, éducation, environnement, le centre essaie de s’attaquer aux problématiques de développement du quartier. « Les femmes enceintes n’ont pas de suivi médical, il faut venir en aide aux jeunes, aux enfants qui doivent être éduqués ». Le centre Arafat organise ainsi chaque année depuis 2005, des consultations gratuites dans tous les domaines pour les enfants de 0 à 6 ans, des sessions de formation pour les femmes et les jeunes afin de leur permettre d’accéder à un emploi ou au microcrédit. De même, une école a été mise sur pied. Elle dispose de tous les niveaux compris entre le préscolaire et la troisième. Au total, 350 élèves y sont scolarisés. Financée par des inscriptions forfaitaires, 7 000 francs pour le primaire contre 13 000 au minimum dans la ville de Dakar, les enseignants, sept dans l’élémentaire (dont deux stagiaires), perçoivent des indemnités, « le minimum pour entretenir leur foyer », précise Assane Awe. Le centre propose également des cours d’alphabétisation tous les soirs de 19h à 21h aux adultes.
En matière d’environnement, l’assainissement du cadre de vie est une priorité pour le centre. Arafat a été sélectionné pour participer au projet d’assainissement des quartiers périurbains de Dakar (Paqpud) soutenu par la Banque mondiale. Au programme, construction de fosses sceptiques, de bacs à laver, d’installation de conduits d’évacuation et sensibilisation. « Les femmes renversent souvent, relève Assane Awe, leurs déchets ménagers dans les conduits d’évacuation des eaux usées. »
Sans subvention ni aide du gouvernement
Sur le plan culturel, le CDC Arafex anime les vacances de jeunes souvent désœuvrés. « Nous encadrons le Xalam Star (groupe) qui va bientôt sortir un album », indique avec fierté Assane Awe. A l’instar du concours Harubuntu qui valorise les potentiels africains et dont il a été l’un des coups de cœurs en 2009, le centre a décidé de distinguer les individus qui œuvrent activement au bien-être de leur quartier dans la commune de Grand Yoff. La première journée de l’Excellence a eu lieu en 2008 en présence du ministre sénégalais de l’Environnement et de son collègue de la Jeunesse. Un geste de l’Etat auquel ont été sensibles les responsables du CDC qui déplorent que « tous (leurs) efforts pour intéresser (l’Etat) aux initiatives (de la base) », porteuses de développement, sont vains.
Ce qui n’empêche pas le cœur d’Arafat, le CDC, de battre. Toutes les associations du quartier y ont leur sièges, toutes les religions, tous les sexes, toutes les générations s’y croisent et adhèrent à son ambition. Celle, rappelle Assane Awe, de « mobiliser les populations autour des besoins prioritaires qui se posent en matière de développement et de protection de l’environnement ». Le centre fonctionne sur un modèle d’organisation horizontale où « la décision est toujours collective ». Le CDC, c’est aussi vingt-cinq emplois permanents, une dizaine indirects, un budget d’environ 2,7 millions de F CFA en 2008 « sans subvention ni aide du gouvernement », aime-t-on à préciser au CDC. « Ce budget ne cesse d’évoluer chaque année », souligne Assane Awe. « Nous ne focalisons pas sur l’argent, nous mettons à contribution des ressources humaines. Il y a une communauté de moyens et de ressources humaines, de gens qui se battent parce qu’il est important de s’unir pour régler tous ces problèmes ». Une philosophie qui s’applique au-delà du quartier. Arafat et Ngor, la mairie lauréate du premier prix Harubuntu – Autorité locale échangent, par exemple, leurs expériences en termes de mobilisation des populations autour d’un projet.
« Au lieu de tenter le voyage vers l’Espagne, conclut Assane Awe. On peut rester chez nous et trouver nos propres solutions. Si tout le monde part, qui va construire le pays ? Notre nouveau local a été inauguré en 2006. Nous considérons que ce bâtiment est notre bateau à nous. Il exprime notre vision de l’avenir, redonne confiance aux gens et leur crie qu’ils peuvent rester ». Surtout s’ils sont portés par une aspiration commune incarnée.
Lire aussi : les autres coups de cœur de l’édition 2009 du concours Harubuntu
Côte d’Ivoire : villages pour petits citoyens modèles
RDC : devoir d’élu