Un reportage du dossier spécial proposé par Afrik.com sur la région de Kédougou. Depuis quelques années, la région de Kédougou, riche en or, à la frontière entre le Sénégal et le Mali, est devenue le nouvel eldorado de nombreux Africains originaires de tous le continent. Sur le site minier de Kharakéna, ils n’hésitent pas à braver les dangers liés à l’orpaillage traditionnel pour survivre et subvenir aux besoins de leur famille.
A Kégoudou
La chaleur est suffocante au site minier de Kharakéna. Entouré de hautes montagnes et décorée par de nombreux arbustes, il se situe à 90 kilomètres de Kédougou, et à 20 kilomètres du Mali, qu’on peut d’ailleurs apercevoir au loin, au-delà des montagnes majestueuses, en cette fin de matinée. Comme les gardiennes d’un temple devenu sacré, elles encerclent le site, où les activités d’orpaillages traditionnelles font vivre des centaines de personnes. Dès l’entrée dans la zone, à la terre orange, fourmillant de petits cailloux, on constate les effets de l’orpaillage massif, qui a entraîné la naissance d’une véritable ville, où s’entassent les orpailleurs. Des baraques par-ci, de petites cases par là, y sont construites à perte de vue. Elles abritent, la nuit venue, les orpailleurs venus de tous le continent : Mali, Burkina Faso, Guinée, Ghana…
Naissance d’une ville, dégradation de l’environnement
Un entassement dans un périmètre restreint qui n’est pas sans effet. Des ordures composées de sacs en plastique, de bouteilles d’alcool, sont jetées un peu partout, tout au long du chemin. Ce qui témoigne de la population qui s’accumule sur le site. N’ayant pas de latrines, elle est contrainte de faire ses besoins à l’air libre. La nature souffre aussi de la recherche d’or qui nécessite qu’on coupe les arbres pour sonder les sols. Les arbres déracinés, tombés raides morts sur le sol, se multiplient à mesure qu’on pénètre à l’intérieur du site. Mais on ne peut pas passer à côté des immenses trous de plusieurs mètres de profondeur, creusés par les orpailleurs avides d’or. Seulement, ils ne sont pas rebouchés, et il n’est pas rare que des personnes tombent dedans et y restent piégées.
Tout au long du chemin, on croise plusieurs dizaines d’orpailleurs, aux visages fatigués par leur dur labeur, les vêtements noircis par la poussière et la terre, dégoulinant de sueur. Ils sont de tous âges, des hommes, femmes, jeunes filles comme enfants, portant des sacs lourds remplis de terre sur le dos, espérant qu’ils contiennent des pépites d’or. Ils descendent la petite colline qui masque la zone où l’extraction de l’or s’effectue massivement. C’est le cœur-même du site. Leurs allées et venues entre cet endroit jusqu’à leur village se fait fréquemment, durant leur journée. D’autres ont la chance de transporter ce lourd fardeau à l’aide de mobylettes, motos, ou de gros véhicules, qui passent à longueur de journée sur cette route étroite. Sur les abords de cette même route, plusieurs petits commerçants et marchands ambulants tentent de vendre aux orpailleurs de l’eau en sachet, des fruits, des sandwichs, des choses à grignoter. La recherche d’or a finalement permis aussi de créer des besoins, donc des emplois, permettant à beaucoup d’en vivre.
« Il y a des sacrifices humains pour augmenter la quantité d’or »
Les femmes sont aussi particulièrement actives et nombreuses dans le rude labeur de l’orpaillage. On les croise partout sur le site. Elles sont de tous âges : jeunes, âgées, même les petites filles ne manquent pas à l’appel. Le dos courbé, elles creusent de toutes leurs forces, à la recherche d’or. Difficile de croire que l’une d’elle est même en état de grossesse très avancée. Toutes prennent une quantité suffisante de terre qu’elles amassent pour la reverser dans leurs seaux avant de travailler le tout pour en extraire l’or. A quelques mètre d’elles, la stupeur ! Quatre grosses tombes creusées à la va vite juste au bord de la route menant au cœur du site font froid dans le dos. « C’est sans doute des personnes décédées après un éboulement, ou une bagarre ou peut-être même après avoir été tuées », lance ce gendarme, de taille menue, qui mène régulièrement des rondes ici pour surveiller la zone. « Ce genre de tombe longeant la route n’est pas rare ici, on en trouve un peu partout. Parfois, des personnes disparaissent du jour au lendemain, sans que l’on sache où elles se trouvent alors qu’elles sont décédées ou ont été tuées », précise-t-il. « La question de l’or est très sensible, l’insécurité est grandissante ici. Il se passe toutes sortes de choses. Il y a parfois même des sacrifices humains, car certains orpailleurs pensent que cela leur permettra de trouver encore plus d’or », renchérit-il. Les œufs cassés, en guise de sacrifice, sont régulièrement visibles tout au long du chemin. « Des têtes coupées d’être humains également en guise de sacrifice ont été retrouvées sur le site », ajoute le gendarme, esquissant un sourire.
« Ici, grâce à l’or, on gagne beaucoup plus d’argent qu’en Europe »
Qui dit or, dit danger. Une situation qui a poussé l’Etat sénégalais à fermer le site en août dernier, y interdisant toute activité pour en reprendre le contrôle, avant de le rouvrir, il y a trois semaines. Mais en imposant cette fois-ci des règles strictes pour les orpailleurs, déployant des gendarmes pour surveiller le site et les allées et venues. L’insécurité est pour autant toujours de mise. L’Etat peine encore à contrôler ce qui se passe réellement sur le site. Éboulements, bagarres, meurtres y sont fréquents. La zone reste très dangereuse. Selon un dernier rapport des autorités locales, il y aurait trois meurtres par jour sur tout l’ensemble des sites miniers de Kégoudou.
Bien que tous les orpailleurs soient conscients des dangers de la recherche d’or, ils croient dur comme fer en cet eldorado qui leur permet de survivre. C’est le cas de ce Sénégalais de 33 ans. Appelons-le Aboubacar Wade, car il a voulu garder l’anonymat, par mesure de sécurité. Lui, c’est un colosse d’au moins un mètre 78, qui a su tirer profit du site minier de Kharakéna. Malgré la chaleur, et la rudesse du climat de la zone, ce natif de Dakar garde le sourire à toute épreuve. Vêtu d’un jean et tee-shirt jaunis par la poussière, il est propriétaire de 10 diouras, traduisez par 10 petits sites, pour creuser et chercher de l’or. Au moins une dizaines d’employés travaillent sous sa coupe. Ils sont originaires de toute la sous-région, Mali, Burkina Faso, Guinée, Ghana.
« On peut gagner en une journée 7 millions de FCFA »
Assis près d’une fosse à côté de trois de ses employés, Aboubacar Wade, qui ne descend plus à l’intérieur des djouras, supervise les activités de sa voix rauque. « Kharakéna est devenu notre nouvelle Europe. Ici on gagne beaucoup plus d’argent que si nous étions en Europe », affirme-t-il dans un grand éclat de rire. Il faut savoir que le site de Kharakéna a la meilleure qualité d’or, dans toute la sous-région. Il est au moins de 24 carats. Ici, l’or ce n’est pas une petite affaire. Le kilo est vendu à 25 millions de FCFA. « On peut gagner, en une journée, 7 millions de FCFA grâce aux commandes qu’on a notamment des immigrés africains qui se trouvent partout en Europe, notamment en Italie, en France et même aux Etats-Unis. Même eux viennent ici à la recherche d’or », explique le jeune homme. Un travail toutefois loin d’être de tout repos. « On commence à 7h du matin jusqu’à 16h. Une fois que l’on a creusé, on prend le tout et on se partage, chacun a sa part. Ensuite à chacun d’extraire l’or de son côté. Grâce à l’or, la plupart ont pu améliorer les conditions de vie de leurs proches, explique Aboubacar Wade. Certains ont pu se construire de belles villas dans leur village, acheter des voitures, construire des écoles pour les enfants. C’est un travail très rude, et on peut rester des mois sans rien gagner. Mais il arrive qu’on ait le jackpot en une journée qui nous permet d’aider nos familles toute l’année ».
« La mainmise de l’Etat n’arrange personne »
Il y a toutefois plusieurs conditions pour pouvoir exploiter l’or dans un périmètre donné. Selon le code minier sénégalais, qui a été rénové récemment, chaque exploitant doit détenir obligatoirement une carte d’orpailleur professionnelle et être de nationalité sénégalaise. Il ne peut également disposer de plus de 10 sites, selon la direction des mines. En clair, tous les autres orpailleurs issus de la sous-région peuvent travailler sous la direction de Sénégalais. Mais légalement, ils ne peuvent pas exploiter d’or, car ils n’ont pas droit à la carte professionnelle d’orpailleur. Une façon de mieux contrôler les allées et venues dans la zone et réglementer la recherche de l’or. Aboubacar Wade assure de son côté respecter toutes ces mesures et détenir sa carte. « Mais cette mesure prise par l’Etat n’arrange personne, car les Sénégalais connaissent très peu le travail de l’orpaillage et refusent même de descendre tout en bas pour rechercher l’or », fustige-t-il. « Seuls les étrangers veulent le faire et pourtant l’Etat ne leur permet pas d’avoir une carte d’orpailleur », clame-t-il. Il blâme également la fermeture récente du site qui a causé beaucoup de difficultés et privé de revenus les orpailleurs.
Pour le jeune homme, c’est tout le code minier qu’il faudrait revoir pour que tous puissent tirer leur épingle du jeu. Sans compter qu’officiellement, dans le pays, il n’y a pas de comptoir de commerce pour revendre l’or. Du coup, les orpailleurs sont obligés de se rendre au Mali ou au Burkina Faso pour vendre leur or. Les autorités ont prévu d’y remédier, selon la direction des mines de la région. En attendant, Aboubacar Wade et tous les autres orpailleurs ont trouvé leur eldorado pour espérer s’en sortir, sans avoir à immigrer vers les pays développés. « Maintenant, même si on m’offrait un billet pour l’Europe, je n’irais pas. Qu’est-ce que je vais faire là-bas alors qu’ici je peux gagner des millions », dit-il, dans un grand éclat de rire.