C’était il y a 70 ans, le 1er décembre 1944, alors que les tirailleurs sénégalais, rassemblés dans le camps de Thiaroye, réclamant le paiement de leur solde, ont été massacrés par l’armée française. Malgré la réticence des autorités françaises, des investigations ont été menées sur cette page sombre de l’histoire pour que la vérité éclate enfin.
Le massacre de Thiaroye reste toujours enfoui dans les mémoires, 70 ans après. Une des nombreuses pages sombres de son histoire coloniale que la France voudrait sans doute jeter aux oubliettes et que le Sénégal aurait souhaité ne jamais vivre.
Le massacre
Ce jour-là, le 1er décembre 1944, 1 600 tirailleurs sénégalais sont rassemblés au camp de Thiaroye. De retour d’Europe, ils avaient participé, en première ligne, à la guerre avant d’être fait prisonniers par les nazis, ils réclamaient naturellement le paiement de leur solde de captivité. Mais la revendication tourne vite au drame. Ils sont massacrés à coup de mitraillettes par les forces coloniales, qui choisissent de résoudre la question en ouvrant le feu sur les 1 600 soldats rassemblés dans le camp de Thiaroye. Selon la version officielle, il s’agit d’une mutinerie, qui a poussé l’armée française à se défendre. Bilan officiel : 35 morts. Et 35 rescapés, désignés arbitrairement comme meneurs du mouvement, sont condamnés à plusieurs années de prison, privés de solde, ou dégradés.
Le long travail de l’historienne Armelle Mabon pour la vérité
Seulement, cette version des faits est contestée depuis de nombreuses années par des historiens. L’historienne française Armelle Mabon, de l’université de Bretagne Sud, fait partie de ceux qui tenté de rechercher la vérité sur cette histoire, entourée encore de zones d’ombres. Considérée comme l’un des plus grands spécialistes sur la question, elle mène durant 15 ans sa propre enquête sur le massacre de Thiaroye, fouillant au fin fond des archives militaires, confrontant les différents documents. Son travail besogneux porte finalement ses fruits. Elle démontre qu’au-delà du bilan officiel des 35 morts, au moins 335 militaires ont disparus. Selon elle, la mutinerie est une invention de toute pièce pour montrer l’exemple et résoudre définitivement le problème. La tâche de l’historienne était loin d’être aisée. « La compréhension de cet événement s’est accélérée avec l’intervention du ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, qui m’a permis d’accéder aux dossiers de cinq victimes au sein des archives militaires », affirme-t-elle
Des œuvres culturelles pour dénoncer l’injustice
Pour que les victimes de Thiaroye ne tombent pas dans l’oubli, plusieurs manifestations ont été organisées à l’occasion du 70ème anniversaire de leur massacre, en France comme au Sénégal. C’est le cas du Conseil représentatif des associations noires de défense contre le racisme, le CRAN, qui a notamment organisé une conférence de presse, ce vendredi matin à Paris, en compagnie du fils d’une des victimes, pour réclamer réparation à l’Etat français, lançant une procédure judiciaire également.
Sur le plan culturel, de nombreuses œuvres ont été réalisées sur le massacre de Thiaroye. L’artiste sénégalais Ouza, qui a notamment écrit une chanson sur Thiaroye, a même été emprisonné à l’époque, pour avoir dénoncé le massacre. Le cinéaste sénégalais Ousmane Sembène a aussi évoqué cette sanglante histoire dans son long métrage : Camp de Thiaroye, qui a aussi eu un écho à l’international. Soixante-dix ans après le massacre, le travail de longue haleine de tous ceux qui ont donné une partie de leur vie à rechercher la vérité a porté ses fruits.
Lors du 15ème sommet de la Francophonie, à Dakar, qui se tient ces 29 et 30 novembre, le Président français François Hollande profitera devrait rendre hommage aux victimes de Thiaroye. Mais il est sans doute trop tôt pour espérer qu’il déroge au discours officiel…