Les législatives égyptiennes ont été remportées par le parti de Moubarak, mais les islamistes auraient pu gagner plus de sièges… s’ils l’avaient voulu. Analyse au scalpel d’un politologue égyptien.
Afrik.com : Pourquoi les législatives égyptiennes se sont-elles déroulées sous le contrôle des juges ?
Tewfik Aclimandos : Un juge de la Haute cour, à deux jours de la retraite, a lancé une bombe entre les pieds du pouvoir : la loi stipule que les élections doivent être surveillées par les juges. Selon lui, toute autre forme de contrôle des élections est anticonstitutionnelle. Le président Moubarak a pris acte de cette décision. Il a modifié l’organisation des élections. Vu le nombre insuffisant de juges, le scrutin s’est déroulé en trois étapes.
Afrik.com : Ce pouvoir des juges a-t-il permis de faire de ces élections, un scrutin « propre et honnête » ?
T.A. : Il n’y a eu aucune irrégularité lors du vote et du dépouillement. Cela prouve qu’une élection ne se joue pas seulement dans les urnes. L’Etat a pesé en amont en interdisant l’accès aux bureaux de vote aux sympathisants islamistes dans les quartiers « hostiles ». Dès qu’un candidat était jugé indésirable, la police empêchait les électeurs de se rendre aux urnes.
Les Frères musulmans ont déjoué le piège dans les deux premières étapes en envoyant les femmes et les vieux tôt dans la journée. Dans l’après-midi, les jeunes s’opposaient à la police pour aller voter. Mais la police a compris le manège durant la troisième phase.
Afrik.com : Croyez-vous que cela explique le revers du parti au pouvoir ?
T.A. : Je ne crois pas que le Parti national démocratique (PND) ait subi un revers. A la fin du scrutin, les indépendants lui faisaient la cour pour être acceptés au sein de ce parti. Le PND totalise plus des 2/3 des sièges. Il peut changer la constitution à son gré. Le PND mise, dans chaque quartier, sur deux candidats : un notable et un nouveau riche. Il offre à l’un ou à l’autre l’investiture et le deuxième est « indépendant-PND ». Qui s’empresse de rejoindre les rangs de ce parti dès qu’il est élu.
Afrik.com : Que pensez-vous de la victoire relative des Frères musulmans ?
T.A. : Je trouve que leur score (17 sièges) ne reflète pas leur poids électoral. Le score est admirable si l’on tient compte des harcèlements policiers. Mais il demeure anormalement bas. Je pense que les Frères musulmans n’ont pas voulu gagner plus de sièges. Durant la campagne, ils ont évité de heurter frontalement le pouvoir et ils n’ont présenté que des candidats modérés.
Afrik.com : On avait l’impression que les Egyptiens voulaient un changement radical du paysage politique.
T.A. : Je ne crois pas. Les électeurs égyptiens ne votent pas par conviction politique. Ils élisent un protecteur. Ils votent pour un intermédiaire avec le pouvoir ou une personne investie dans le caritatif ou le social.