Le pardon de Ségolène Royal aux Africains, un an et demi après le très controversé discours de Dakar tenu par Nicolas Sarkozy, a déclenché une série de réactions, parfois virulentes, au sein de la majorité au pouvoir en France. La presse hexagonale en a largement fait écho ce mercredi. En Afrique, le sujet est passé presque inaperçu. Les « préoccupations africaines, en ce moment, sont ailleurs », expliquent certains journalistes du continent.
Une nouvelle fois, Ségolène Royal a réussi à déclencher la polémique et provoquer l’ire de ses adversaires politiques. Près d’un an et demi après le discours très controversé de Nicolas Sarkozy à Dakar, l’ex-candidate à la présidentielle française de 2007, a pris le contre-pied des propos du président français et demandé pardon aux Africains. Le discours de Nicolas Sarkozy avait suscité colère et indignation sur le continent. «Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire (…) jamais il ne lui vient à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin», avait-t-il à l’Université Cheick Anta Diop, à Dakar, la capitale sénégalaise.
Lundi après-midi, au siège du Parti socialiste sénégalais, la réplique de Ségolène Royal, en visite dans ce pays jusqu’à jeudi, s’est voulue cinglante. «Quelqu’un est venu ici vous dire que « l’homme africain n’est pas entré dans l’Histoire ». Pardon pour ces paroles humiliantes, qui n’auraient jamais dû être prononcées et qui n’engagent pas la France », a-t-elle lancé à quelques centaines de Sénégalais venus l’écouter. Dans le texte qu’elle a préparé, selon Libération, avec le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne, l’historien congolais Elikia M’Bokolo et le politologue Jean-François Bayart, l’ex-candidate socialiste a ajouté : « Il y a des mots que le peuple français doit au peuple sénégalais et à tous les peuples africains […] Pardon. Merci pour le passé. Et s’il vous plaît, pour l’avenir, bâtissons ensemble ».
« Une affaire franco-française»
En Afrique, notamment au Sénégal, le discours de madame Royal, bien qu’apprécié par les intellectuels, « n’a soulevé aucune vague », indique Madior Fall, joint à Dakar par Afrik.com. Le rédacteur en chef de Sud Quotidien, qui n’a « même pas traité le sujet », explique : « les préoccupations africaines sont ailleurs en ce moment ». Au Sénégal, par exemple, au lendemain des élections locales de fin mars qui se sont soldées par l’échec du parti du président, Abdoulaye Wade, les gens sont plus intéressés par la nouvelle orientation que celui-ci va donner à sa politique. Le président sénégalais est soupçonné de vouloir faire succéder à la tête du pays son fils Karim Wade.
Les Sénégalais s’inquiètent, par ailleurs, de la crise internationale et de ses conséquences, affirme M. Fall, et aussi de la dette publique de leur pays qui s’est alourdie ces dernières années. Au Sénégal, à l’instar de Walf Fadjri, quelques titres ont tout de même commenté le discours de Mme Royal, mais n’en ont pas fait leur Une.
« Les Africains ne sont pas dupes », estime, pour sa part, Joachim Vokouma, le directeur de publication de LeFaso.net, un quotidien en ligne du Burkina Faso. « Que Ségolène Royal, opposante de Nicolas Sarkozy, vienne demander pardon pour des propos que ce dernier a tenu, les Africains ont compris que cela avait une dimension de politique interne en France. C’est une affaire franco- française », indique-t-il. D’après lui, le pardon qu’attendent les Africains est celui de Nicolas Sarkozy lui-même.
Rama Yade doute de la sincérité de Ségolène Royal
« Je n’ai pas le temps pour la polémique », a déclaré Nicolas Sarkozy en réaction à cette attaque de la présidente du Poitou-Charentes. Ses acolytes l’ont alimentée à sa place. Dégainant le premier, Frédéric Lefebvre, le porte-parole de l’UMP, a dénoncé les « attaques infantiles » de madame Royal qui, affirme-t-il, « de la Chine à Dakar, en passant par Washington, ridiculise notre pays [la France, Ndlr] par son attitude et ses sorties iconoclastes ». Comme lui, Jean-François Copé, le chef de fil des députés UMP parle aussi d’humiliation et qualifie les propos de Ségolène Royal d’« écœurant, indigne et scandaleux ». Même le très réservé Premier ministre, François Fillon, est monté au front mardi soir. Il a déclaré devant les parlementaires UMP que Mme Royal devrait faire de «retenue et de dignité lorsqu’elle évoque la France et ses autorités dans le monde.»
Si Bernard Kouchner, ancien socialiste devenu ministre des Affaires étrangères de Nicolas Sarkozy, reconnaît que la phrase prononcée pas le président français en 2007 a été « sans doute maladroite », il affirme que « cela ne signifiait ni racisme, ni jugement péjoratif. »
Déplorant, elle aussi, les attaques de Ségolène Royale, Rama Yade, la secrétaire d’Etat au Droit de l’homme, a indiqué sur France 2 qu’elle doute de la sincérité de l’ex-candidate du parti socialiste. « Les Africains, affirme-t-elle, méritent autre chose que d’être transformés en terrain de jeu de la politique intérieure française. »
Une voix discordante s’est, cependant, élevée au sein de la droite française, celle du villepeniste François Goulard qui estime qu’il est « difficile de donner tort » à Ségolène Royal. « Le discours du président, dit-il, était une erreur. Elle a exprimé ce que beaucoup pensent, y compris dans la majorité. » A quand donc le pardon de Nicolas Sarkozy?