De tout temps et dans tous les pays, depuis la plus haute antiquité, il y a eu des oppositions et des guerres entre nomades et sédentaires, entre pasteurs et paysans. La Bible et le Coran racontent que Caïn était éleveur et Abel agriculteur. Et Caïn tua Abel.
Ces guerres ont un principal ressort :
Les sédentaires, les paysans ont besoin de permanence, ont besoin de posséder leur terre.
Les Nomades, les Pasteurs ont besoin d’une immensité libre pour y faire paître leur troupeau.
Dans l’esprit de tous et de tout temps, les pasteurs sont des seigneurs, les paysans sont des vilains.
Dans ces guerres les pasteurs mobiles et affamés gagnent les premières batailles comme Caïn avec Abel. Avec le temps, les sédentaires gagnent les guerres car ils ne peuvent fuir indéfiniment et car les Nomades ont besoin des Paysans. Esaü le nomade vendit son droit d’ainesse pour un plat de lentilles récoltées par Jacob l’agriculteur. Ces guerres ont été fréquentes en Afrique sub-saharienne : entre Sénégal et Mauritanie, entre Touaregs et Maliens ou Nigériens, entre Peuls et Mossi, entre le Darfour Nord et Sud, entre Hutu et Tutsi, etc.
Le pastoralisme trouve des conditions favorables dans les zones semi-désertiques difficiles à cultiver. L’élevage du chameau est adapté aux franges les plus désertiques du Sahel. Mais le pastoralisme est dans ces zones une activité aléatoire car, si la croissance rapide des végétaux en hivernage (ou lors des pluies éparses au Sahara) assure quelques mois par an un croît remarquable des animaux, la longue période de sécheresse rend difficile la survie du bétail.
Lorsque la zone soudanaise était peu peuplée, la culture itinérante avec écobuage des sédentaires de cette zone, réservait une grande partie des ressources fourragères aux nomades en contre saison. Les sédentaires profitaient de la fertilisation de la brousse assurée par les éleveurs. Il y avait une paix relative entre pasteurs et agriculteurs.
Mais l’augmentation rapide de la natalité a entraîné la mise en culture quasi permanente de la zone soudanaise et d’une grande partie du Sahel. Les cultivateurs mettent en culture chaque jour davantage de terres autrefois réservées aux parcours. Tous les vingt ou vingt-cinq ans la population soudanaise double. Cette population affamée cultive tous les ans davantage. Tous les vingt ou vingt cinq ans, la superficie cultivée fait plus que doubler, car la productivité agricole bouge peu tandis que des sols de plus en plus médiocres sont mis en cultures. Il n’y a plus de place dans la zone soudanaise pour les éleveurs en contre saison. Les éleveurs sont forcés de réduire l’importance de leurs troupeaux, car ils ne peuvent plus les nourrir en saison sèche. En saison sèche, ils achètent maintenant la paille du riz irrigué que les paysans brûlaient autrefois. Les Peuls se sédentarisent. Ils pratiquent un élevage plus intensif. Ils deviennent les bergers des Mossis dont ils gardent le bétail. Les femmes Peul créent des mini-laiteries autour des villes.
La vie des peuples nomades est très dure
Il faut sans cesse plier et déplier le camp, charger tout cela et le porter toujours plus loin. Il faut faire boire le bétail au moins tous les deux jours pendant la transhumance. Les bergers ne boivent pas plus que le bétail. Le bétail doit se déplacer, les hommes aussi. Cette vie est trop dure. Au Sud du Sahara, tous les peuples nomades ont leurs esclaves : Harratines chez les Maures, Bella chez les Touaregs, Rimaybé chez les Peuls. Ces esclaves font plus ou moins partie de la famille, mais ce sont esclaves quand même. La vie des esclaves est la plus dure.
Certains nomades éleveurs, les Touaregs principalement, peuvent trouver une activité complémentaire dans le commerce à travers le désert qu’ils connaissent bien. Les objets de ce commerce sont divers, mais le sel, les armes, l’or et les esclaves, ont toujours tenu une grande place dans cette activité. Les nomades savent élever les chameaux, organiser des caravanes, ils savaient aussi piller les caravanes des autres qui ne paieraient pas le tribut au passage. Le commerce transsaharien fut florissant. Il est maintenant limité. Il n’y a plus ni or, ni esclaves, à transporter. Il reste cependant la drogue et les otages. Il y a encore un peu de sel mais presque partout les camions remplacent les caravanes de chameaux. L’élevage du chameau n’est guère rentable. Il y avait aussi le tourisme mais celui-ci suppose la paix.
La civilisation brillante et attachante des grands nomades Touaregs et Peuls est menacée par le manque d’espace que leur laissent les sédentaires. Leur adaptation à l’évolution économique actuelle est très aléatoire.
Dans la zone sahélo-saharienne les éleveurs sont au Nord et sont musulmans, Les sédentaires agriculteurs sont au Sud, parfois musulmans mais aussi animistes. Les éleveurs nomades envoient leurs enfants à l’école coranique. La connaissance de l’écriture et du chiffrage de l’arabe leur permet d’être négociants. Mais leur savoir religieux ne suffit pas dans la vie moderne. Ils sont limités à l’élevage, au commerce, aux trafics et à la guerre. L’élevage et le commerce ne sont plus guère rémunérateurs. Ils ne peuvent accéder à certaines fonctions administratives ou techniques.
Les sédentaires du Sud ont généralement envoyé leurs enfants à l’école moderne. Leur savoir leur permet d’avoir accès à de nombreuses fonctions ou emploi actuels. L’école est pour eux une garantie d’indépendance vis-à-vis des nomades autrefois dominants.
Il y a bien des différences entre les divers nomades : Les Maures et les Touaregs sont d’origine Berbère. Ils sont très arabisés chez les Maures, très indépendants chez les Touaregs et Tamasheks. Le statut de la femme est particulier chez les Maures, les Touaregs et les Peuls. Les femmes sont respectées, elles choisissent souvent leur mari et il n’y a que rarement de la polygamie. Les femmes Peul sont des princesses ! Elles ne piochent pas.
Les sociétés nomades ont des valeurs, un certain goût de l’apparat et de la noblesse qui les distingue aussi des agriculteurs plus modestes.
Les stupides frontières issues de la colonisation ne facilitent pas les choses. Mais l’Afrique est ainsi faite qu’il n’y a guère de frontières « naturelles », « géographiques ». Les peuples africains sont répartis de telle manière que des frontières ethniques ne pourraient exister. Il y a des Touaregs de la Lybie à la Mauritanie, des Peuls du Cameroun au Sénégal en passant par la Guinée. Des Mandingues du Mali à la Casamance et à la Guinée.
Revenons au Mali
Les populations du Nord sont à l’origine Touaregs. Beaucoup sont allés faire la guerre chez Kadhafi. Ils étaient partis parce que leur activité traditionnelle périclitait. Ils étaient allés en Lybie, aussi, comme chauffeurs et divers emplois qui ont été supprimés par la guerre. Ils ne pourront que difficilement retourner en Lybie car ils ont été compromis avec le régime Kadhafi.
La population du Nord était constituée aussi de gens du Sud Mali, venus dans le Nord pour fuir la pression démographique intense du Sud et pour occuper les métiers qui n’intéressent pas les Touaregs, notamment les cultures de décrue et la culture irriguée au long du Niger. Cette fraction importante de la population est en fuite très générale vers le Sud Mali, mais aussi vers, le Sud Niger et le Burkina Faso. Ils seraient des centaines de milliers !
Sur ce constat, on pourrait espérer qu’une organisation confédérale du Mali pourrait permettre à nouveau une cohabitation sereine entre éleveurs et agriculteurs. Les Touaregs pourraient développer leur activité dans le transport et le tourisme. Les agriculteurs du Sud reviendraient aux bords du Niger. Mais ces activités ne suffiront sans doute pas pour faire vivre ces deux populations toujours plus nombreuses.
A l’avenir, la capture de l’énergie solaire et la recherche pétrolière, apporteront sans doute des emplois mais ce sera dans une ou deux générations.
Et puis, il y a Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) ! Mais on peut penser que les Touaregs, jaloux de leur indépendance retrouvée ne se laisseront pas faire. Leurs coutumes sont en opposition avec la Charia des intégristes sur bien des points. Ce sont des guerriers redoutables. Ils ne se laisseront pas dominer par Aqmi.
Et puis, on ne sait quel sera le jeu de l’Algérie dans tout cela !
Par Jacques de Boissezon
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