Plus de mille morts en Ouganda… Au-delà de ce drame imprévisible, deux experts s’interrogent sur les raisons spécifiques à l’implantation des sectes en Afrique.
Le criminologue et psychiatre Jean-Marie Abgrall est expert pour les sectes auprès de la Cour de Cassation française. Il travaille depuis près de 30 ans sur la question. Son dernier ouvrage, Les sectes de l’Apocalypse, est paru en 1999 aux éditions Calmann-Levy.
Hayat Elmountasir est chargée de mission au centre Roger-Ikor. Ce centre a créé en 1981 par l’écrivain Roger Ikor pour tenter de comprendre la mécanique des sectes, après la mort de son fils qui avait suivi un régime macrobiotique prescrit par la secte à laquelle il appartenait.
afrik : Connaissiez-vous l’existence du Mouvement pour la Restauration des Dix commandements de Dieu avant les événements des deux dernières semaines en Ouganda ?
Hayat Elmountasir: Comme tout le monde, on l’a découvert à cette occasion. Ce que l’on savait en revanche au Centre, c’est que les sectes se développent de plus en plus en Afrique, devenue un véritable terrain de prédilection pour elles.
Jean-Marie Abgrall: En Afrique de l’Est, il y a très probablement des centaines de sectes millénaristes et apocalyptiques. Des groupes se mélangent et s’échangent, naissent et disparaissent en permanence.
afrik : Est-il possible d’avoir une idée exacte du nombre de sectes et du nombre d’adhérents ?
H.E.: Non, c’est très difficile; la plupart de ces sectes sont secrètes et nous n’avons aucun accès à leur fichier. Nous ne pouvons que les étudier à partir de leur documents internes.
afrik : D. Bromberger a affirmé dans sa chronique sur France-Inter la semaine dernière: Ce n’est pas un hasard si l’Ouganda d’Amine Dada, de 20 ans de guerre civile et du sida a donné naissance à » cette secte. Partagez-vous cette opinion? Plus généralement, comment expliquez-vous l’implantation croissante de sectes sur le continent africain ?
J-M.A.: Il y a des raisons socio-économiques et des raisons culturelles à cette émergence. Toute la région est extrêmement mouvante. Guerres, famine, changements d’Etats s’y sont succédés. A chaque fois que l’équilibre social est perturbé, cela favorise l’émergence de nouvelles références. Ces conditions autorisent notamment l’investiture de gourous spirituels.
H.E. : Dans des pays qui traversent des crises économiques, des luttes tribales et ethniques, il y a une angoisse qui apparaît, et qui trouve une réponse dans les sectes.
afrik : Une particularité africaine?
H.E. : Oui. Lors du mouvement de décolonisation, on avait vu apparaître des prophètes: les mouvements politiques prennent souvent un discours religieux, comme l’a montré l’anthropologue George Balandier. De plus, il y a toujours un côté magique dans les sociétés africaines, avec des sorciers, des guérisseurs. Les groupes évangéliques proposent des guérisons, et arrivent à recruter par cet intermédiaire. Beaucoup de sectes « occidentales » essaient aussi de pénétrer en Afrique par le biais des organisations humanitaires.
afrik : Mais il y a-t-il une assimilation aux particularités culturelles africaines ?
J-M.A.: Oui. L’Afrique est une région tiraillée entre l’influence moderne du christianisme, celle, traditionnelle,de l’animisme, vaudouisme et cultes tribaux, et enfin celle, grandissante, de l’Islam. Ces trois influences mélangées produisent des mouvements syncrétiques, du type de celui pour la Restauration des Dix commandements de Dieu incriminé en Ouganda.
Claire Aubé