En France, pour tenter d’opérer un coup de force électoral, le chef de l’Etat français, Nicolas Sarkozy a décidé de se confondre avec l’extrême-droite xénophobe, d’en reprendre les thèses, de proclamer que l’identité nationale française était en danger et qu’il était impératif d’empêcher sa dilution dans la mondialisation. Il a décidé d’adopter la posture du défenseur de l’identité nationale et de la civilisation française qui doit mener sa tâche en fermant au besoin les frontières de la nation contre l’invasion de l’immigration étrangère et la haine de l’islamisme.
En Côte d’Ivoire, pour tenter un coup de force électoral, l’ex chef de l’ Etat ivoirien Laurent Gbagbo avait aussi en son temps décidé de se muer en ethno-nationaliste luttant pour préserver l’identité du peuple ivoirien contre l’invasion des étrangers et contre le néocolonialisme occidental.
Or à la tête de ses forces armées, le chef de l’Etat français Nicolas Sarkozy était intervenu en Côte d’Ivoire pour empêcher ce coup de force électoral et destituer Laurent Gbagbo afin de faire respecter le principe de l’alternance démocratique et promouvoir une démocratie fondée sur la conception citoyenne de la nationalité.
Certes, le nationalisme xénophobe de Gbagbo était un nationalisme de conviction tandis que le nationalisme xénophobe de Sarkozy n’est qu’un nationalisme électoraliste d’opportunité qui s’aménage un état d’exception dans le cadre de la démocratie citoyenne de l’Etat-nation français à laquelle le chef d’Etat actuel adhère entièrement.
La conversion opportuniste du président français au nationalisme xénophobe du Front national, dont la présidente Marine Le Pen fut un soutien indéfectible à Gbagbo, trahit néanmoins une convergence entre Sarkozy et Gbagbo. En Côte d’Ivoire, Gbagbo essayait de fonder sa légitimité sur sa prétention d’incarner l’identité nationale face son adversaire qu’il accusait d’être le suppôt de l’islamisme, du néocolonialisme de la mondialisation et de la domination de la Côte d’Ivoire par les étrangers. En France, Sarkozy, le chef de l’Etat français, qui déclare publiquement qu’« il y trop d’étrangers » et « trop d’immigrés en France », se prévaut d’être le défenseur de l’identité nationale pour asseoir sa légitimité face à son adversaire socialiste qu’il accuse être un suppôt des étrangers, de l’islamisme et du communisme. En ralliant ainsi Marine Le Pen, Nicolas Sarkozy rejoint Gbagbo sur la ligne idéologique du Front national français et du Front populaire ivoirien unis ensemble dans la défense de la frontière identitaire qui doit préserver l’homogénéité culturel du peuple contre l’invasion de l’étranger et la menace de la dissolution interne.
Fut-elle accidentelle, cette convergence entre Gbagbo et le chef de l’Etat français sur la légitimité identitaire et la défense de la frontière contre les envahisseurs étrangers, délégitime l’intervention de l’armée française en 2010 en Côte d’Ivoire. Car elle justifie la conception de la nationalité et de la frontière dont Gbagbo se prévalait pour récuser son adversaire politique qui était, pour la moitié de la population ivoirienne, un étranger. Cette convergence décrédibilise par la même occasion pour l’avenir la dénonciation des replis identitaires, des conflits ethniques, des séparatismes et des nationalismes ethnolinguistiques en Afrique par la droite française dont une partie non-négligeable adhère aux thèses du Front national comme il nous a été constaté lors de cette présidentielle française. Elle met donc tout simplement en péril la parole de la France relativement à la problématique de la démocratisation dans ses anciennes colonies.
Le président français veut, en effet renforcer les frontières pour protéger l’Etat, la nation, la République, et la civilisation française. Il veut, dit-il, renforcer la grande frontière de l’Etat-nation français pour que les petites frontières communautaires sociales, ethniques, religieuses, véhiculées par les étrangers non-intégrés, ne puissent pas se former dans la grande frontière pour finir par disloquer de l’intérieur l’identité nationale française.
Toutefois, en se confondant avec l’extrême-droite, c’est la petite frontière des coutumes et des traditions françaises, construite par le loyalisme aux coutumes et aux traditions de la France chrétienne qui en vient à défendre en fait Nicolas Sarkozy.
La confusion électoraliste du chef de l’Etat français dans l’extrême-droite dont il a non seulement épousé les mots et la rhétorique, mais aussi les idées et les propositions brouille donc le message de la démocratie citoyenne que la France se propose désormais de diffuser et de soutenir en Afrique. Sa conception de la frontière comme barrière qui préserve l’identité de la communauté nationale et protège sa sécurité légitime les nationalismes ethnolinguistiques et culturels ainsi que les séparatismes en gestation dans les Etats africains. Car, au final, ce n’est pas la grande frontière de la nation démocratique citoyenne construite par le renoncement de chacun aux loyautés coutumières, par le consentement des peuples à vivre ensemble selon les lois de l’Etat qu’ils se sont données et par l’adhésion patriotique aux valeurs communes de la République que met en valeur la conversion du chef de l’Etat français aux thèses du Front national. En projetant de raffermir la grande frontière de la France pour éviter sa « dilution dans la mondialisation », en stigmatisant les étrangers et en refusant aux résidents légaux le vote symbolique aux municipales, c’est la petite frontière de la communauté nationale, de ses coutumes et de ses traditions, que Nicolas Sarkozy met en valeur ! Ce n’est donc pas le modèle de l’Etat-nation démocratique citoyen, ouvert à l’altérité et en mouvement vers la constitution de grands ensembles supranationaux, qu’offre la France du nouveau Sarkozy à l’Afrique. Elle lui offre plutôt le modèle de la nation ethnique fermée sur son irréductible différence qui est assise sur ses coutumes et ses loyautés traditionnelles.
En décrédibilisant aux yeux des Africains le message universaliste de l’Etat-nation démocratique et citoyen ouvert à l’altérité, la dérive électoraliste du président français met à mal le modèle de l’Etat-nation citoyen ouvert à l’universel, multiculturel et multilinguistique, qui est l’avenir de l’Afrique et que la démocratisation progressive en cours dans le continent devrait permettre de promouvoir.
N’est-il pas, en effet, intéressant de se poser la question de savoir quel argument valide, un gouvernement français de droite acquis aux thèses ethno-nationaliste de l’extrême-droite pourrait opposer aux séparatistes du Mali, à ceux de Libye ou éventuellement du Cameroun et du Congo pour justifier le maintien de l’intégrité territoriale de l’Etat dont ils veulent se séparer ? En Afrique, la dérive électoraliste du président français vers l’extrémisme de droite valide et encourage le modèle fermé de l’homogénéité culturelle de la communauté nationale au détriment du modèle ouvert de l’hétérogénéité culturelle de l’Etat-nation démocratique et citoyen. Ce modèle républicain qui est celui de la droite classique autant que celui de la gauche de gouvernement en France et dans les démocraties occidentales inviterait plutôt l’Afrique à construire activement, par la dynamique de la démocratisation, des Etats-nations culturellement et confessionnellement hétérogènes dans le cadre de l’Etat territorial multiethnique hérité de la colonisation.
En ce XXIème siècle, toutefois, le modèle républicain de l’Etat-nation stimule une remise en question des frontières coloniales qui devrait avoir pour finalité de bâtir de grands ensembles nationaux ethniquement culturellement linguistiquement hétérogènes, économiquement harmonieux et complémentaires en lieu et place des petits Etats fermés et souvent non viables économiquement. L’avenir de l’Afrique ne se trouve pas dans le repli identitaire, dans les séparatismes et dans une balkanisation ethnolinguistique que soutiendrait un gouvernement français convertit aux thèses de l’extrême-droite. Il se trouve dans la construction d’ensembles supranationaux culturellement et économiquement harmonieux et complémentaires condition sine qua non de l’émancipation multiforme de l’Afrique. Dans son intérêt bien compris, il est à espérer que le nouveau gouvernement français qui résultera des élections du 6 mai 2012 aille dans cette direction.