Qu’aurait dit Voltaire du test D’ADN imposé aux familles africaines dans le cadre du regroupement familial ? De quelle couleur serait la plume de Diderot face à cet extraordinaire coup de canif dans les principes fondateurs de la République? De quelle diatribe se serait fendu Zola devant cette réactivation de dispositifs séculaires, qui ressemblent étrangement à ce qu’on appelait alors la Police des Noirs ? Qu’aurait fait Léon Blum de cette catégorisation et de cette ghettoïsation? Qu’aurait pensé le général De Gaulle face à cette tentative d’isolement des nouveaux arrivants ? Qu’aurait dit le militant Mitterrand de cette loi dont l’objectif final est la désignation d’un groupe à la vindicte populaire ? A quelle honte se seraient voués les résistants, ou encore ceux qui aux côtés d’Africains ont donné leur vie dans les tranchées pour sauver la France ?
Non décidément, je ne reconnais plus la France. Il me semble vivre dans une république où jamais l’on entendit parler des droits de l’homme, qui jamais ne compta en son sein d’intellectuels, de philosophes, qui ne connut aucune révolution, un pays sans passé, sans histoire et sans culture. Oui, une de ces républiques qui s’adonnent au culte de la personnalité du Président de la République. Il s’agit dans ce cas d’espèce d’un mot d’ordre non consigné, ni paraphé dans un document, mais distillé par le regard apeuré de ce journaliste qui n’ose poser des questions gênantes à Sarkozy ; il est sous la plume de celui-là qui dans son article s’acharne à gommer ses défauts, à justifier ses dérives. Pourtant ses déclarations, ses procédés et ses agitements ne rappellent nullement ceux des grands Monarques Français, mais bien plutôt ceux de Mobutu ou de Bokassa. Je ne serais nullement surprise s’il s’avérait d’un futur plus ou moins proche qu’on lui attribuât le ridicule sobriquet de « papa ».
D’aussi loin que je m’en souvienne, aucun Président de la République Française, aucun monarque n’avait pensé, que pour créer une France lumineuse, grandiose et magnifique, il était nécessaire d’évacuer la morale, l’éthique et de piétiner les valeurs républicaines. Jamais auparavant, aucun Président Français n’avait accepté que soit adopté sous son mandat, les lois les plus ineptes telles celle de l’ADN. Jamais auparavant, aucun Président français n’avait pensé que pour créer une France compétitive il fallait donner la chasse aux immigrés. Jamais auparavant, aucun Président Français ne s’était permis de s’en aller devant les Africains débiter un discours bucolique, aux relents racistes, qui ferait de l’homme noir, un être sans vision, prostré dans son obscurité. Jamais en France, aucun Président n’avait usé d’autant de ces post-it « prêt à penser » où l’inutile flatterie côtoie l’injonction et l’ordre. Jamais un chef d’état n’avait usé comme Sarkozy d’une communication zapping dans laquelle les sujets sont abordés sans être traités, où l’on saute du coq à l’âne pour masquer l’inaction. Il faut reconnaître qu’ils avaient à leur actif, une armature intellectuelle solide et une équipe gouvernementale performante, qui leur permettaient de résister au populisme.
« Mon cerveau saturé s’obstrue devant tant d’irrespect des valeurs républicaines »
C’est vrai que l’homme Sarkozy jouit d’une extraordinaire intelligence politique et d’une réelle efficacité linguistique. L’on ne saurait nier la beauté de ses phrasés presque mystiques ni leur fulgurance. Mais lorsqu’il a fini d’épuiser la parole, recouru à toutes les subtilités qui tendent à dégager sa responsabilité politique du chaos économique dans lequel nous nous trouvons, et s’étant présenté comme l’homme providentiel, on s’aperçoit qu’il ne s’agit là que d’une diarrhée verbale. Il n’en reste rien. Si : un brin d’étonnement pour ceux qui échappent à cette malsaine fascination, et beaucoup de perplexité. On se demande si comme tout un chacun Sarkozy a croisé le chemin des intellectuels français qui, tout au long du vingtième siècle, ont démontré le mécanisme de production des inégalités et l’ambiguïté des politiques France-Afrique.
S’est-il imprégné des grands courants de la pensée française ? Avait-il lu les philosophes qui nous ont légué l’humanisme en tant que socle fondateur de notre République… et de notre personnalité qui revendique la totalité de l’homme jusqu’à son irréalisme lumineux ? Est-il passé par le tamis de l’école Républicaine qui fait de nous un peuple solidaire, capable de transcender les difficultés conjoncturelles afin d’assurer notre vocation universelle? On se demande ce qui se cache derrière tant d’ignorance et d’insuffisance, auréolées d’une insupportable suffisance ? Mon cerveau saturé s’obstrue devant tant d’irrespect des valeurs républicaines.
Réflexion faite, il me semble que Nicolas Sarkozy est l’exemple le plus frappant de l’échec d’une intégration. Etre français ne signifie pas essentiellement être possesseur d’une carte d’identité, avoir été à l’école et gravir les échelons sociaux. Son implication est plus vaste. Au delà de la maîtrise linguistique, de l’obtention d’un quelconque diplôme universitaire, être français est une manière de vivre, un art de parler, de penser, de réfléchir. Etre français, c’est se nourrir de l’esprit des Lumières, des valeurs Républicaines, qui sont autant de garde-fous, empêchant tout un chacun de verser dans l’extrémisme politique ou religieux. Etre Français ce sont autant de petits actes du quotidien, tissés de tolérance, de justice sociale, l’idée qu’aucune cause n’est assez importante pour qu’on y sacrifie son humanité. Autant de valeurs que Nicolas Sarkozy ne semble pas avoir intégrées. Ce qui implique qu’il conviendrait qu’il opère un difficile travail intellectuel, une profonde remise en question de sa vision exotique et impudique, frivole et américaine de la France, afin que s’arrête cette corruption des idéaux français.
Calixthe Beyala, écrivain.