Chafia Mentalecheta a démissionné le 13 mai dernier du Parti socialiste, mais elle a gardé l’âme rose. Candidate aux législatives du 10 juin prochain et coordinatrice de Prairial 21, un club de réflexion socialiste qui rassemble des militants PS issus de l’immigration, elle dénonce l’absence de réflexion du parti de gauche sur la société française. Notamment sur les questions liées à la discrimination et aux banlieues.
Cela faisait 23 ans que Chafia Mentalecheta était encartée au Parti socialiste (PS). Mais le 13 mai dernier, la déléguée nationale du parti à la lutte contre les discriminations et à l’accès à la citoyenneté a pris sa plus belle plume pour écrire une lettre de démission à François Hollande, le secrétaire général du PS. Elle y dénonce le « cynisme politique » et le « copinage comme stratégie » adopté par la direction de la rue de Solferino pour aller aux législatives. Refusant de cautionner la « mascarade » qui se préparait, la mère de famille d’origine algérienne, réputée proche de Dominique Strauss-Kahn, a présenté sa candidature dans la première circonscription du Puy de Dôme. Son suppléant, Pascal Courty, a été limogé pour ne pas avoir soutenu Odile Saugues, la candidate officielle du PS. Le torchon brûlait depuis plusieurs mois entre la direction du parti et la coordinatrice de Prairial 21, un club de réflexion socialiste qui rassemble notamment des militants PS issus de l’immigration récente.
Afrik : Pourquoi avez vous décidé après 23 ans de loyaux services de quitter le PS ?
Chafia Mentalecheta : A l’intérieur du parti, nous sommes quelques-uns à dire que le PS s’est exonéré de la question des quartiers populaires et de la lutte contre la discrimination sur des associations comme SOS racisme, Ni putes ni soumises voire AC le feu… Or, aujourd’hui, nous voyons que ça ne fonctionne pas. Nous nous sommes dits que le PS était en panne d’idées et que nous pouvions réfléchir à des propositions. Suite à ce constat, il y a eu la catastrophe de 2002 (Jean-Marie le Pen au second tour aux présidentielles devant le candidat socialiste, ndlr). Hamlaoui Mekachera et Tokia Saïfi ont été nommés à des postes gouvernementaux par le président Chirac et le PS s’est vu doubler sur sa gauche. Il a réagi en 2002, au congrès de Dijon, en nommant une dizaine de Français issus de l’immigration à des fonctions au sein du parti, comme membres du conseil national par exemple.
Afrik : Comment avez-vous pris le fait que le PS a réagi à des mesures de droite…
Chafia Mentalecheta : C’est désolant. Je me sens toujours profondément militante socialiste, mais ce que nous reprochons aux instances du parti, c’est qu’il n’y a pas de réflexion de fond sur les mutations de la société au 21e siècle. Pas seulement en terme de représentation des gens issus de l’immigration récente, mais pour des problématiques qui peuvent être davantage perçues par de nouvelles personnes au sein du parti, de par leurs expériences de vie. Il n’est pas question d’avoir un Arabe pour avoir un Arabe ou un Noir pour avoir un Noir.
Afrik : Vous dénoncez la « diversité choisie » au sein du PS. Auriez-vous souhaité que les circonscriptions réservées aux « candidats de la diversité » aient droit, comme les autres, à des élections en interne ?
Chafia Mentalecheta : Absolument, c’est un déni de démocratie. J’étais d’accord pour geler des circonscriptions à condition que cela donne lieu à des élections, comme cela a été le cas pour les circonscriptions réservées aux femmes. Par ailleurs, les circonscriptions ont été parfois gelées pour des candidats qui ne sont pas de la région. Malek Boutih a été parachuté en Charente alors qu’il est de la région parisienne, Saphia Otokoré est à Trappes…
Afrik : Vous vous élevez également contre le « copinage » et les « pratiques du siècle dernier » au sein du PS. Les autres partis sont-ils en avance sur ce point ?
Chafia Mentalecheta : Pour le coup, je crois que tout le monde fonctionne de la même manière : une tête de pont, quatre copains, quatre larbins, une secrétaire… Ca leur permet de régner en maîtres sur des régions.
Afrik : Et concernant l’ouverture et la réflexion sur la diversité, l’UMP est-elle en avance ?
Chafia Mentalecheta : Non. A l’UMP, il n’y a pas eu de réflexion non plus. Quand Jacques Chirac a nommé deux secrétaires d’Etat, c’était suite à la liesse populaire de son élection et à la large défaite de Le Pen. Rappelez-vous, les jeunes qui sont sortis à la Bastille pour exprimer leur soulagement… Chirac, qui est un fin stratège, c’est dit « Bon sang, tous ces jeunes ont voté pour moi, il ne faut pas les oublier ».
Afrik : Durant les présidentielles, Afrik a interviewé de nombreux militants UMP qui ont débuté au PS. Ils dénoncent aujourd’hui le paternalisme du parti et leur qualité de faire-valoir en son sein. Vous êtes vous aperçue de ces problèmes, depuis 23 ans ?
Chafia Mentalecheta : Oui, les gens partent. Non seulement ils partent mais ils sont également exclus à tour de bras. Il y a eu une unité de façade, au Zénith, mais les gens sont profondément déçus. Certains m’appellent, pour me soutenir. Il y a une prise de conscience que le PS aujourd’hui n’est plus une force de proposition mais une usine à fabriquer des élus. Ils n’ont pas de politique mais une stratégie pour maintenir des îlots de petits pouvoirs.
Afrik : Avez-vous été touchée de ne pas recevoir de réponse, avec Prairial 21, à deux courriers adressés à Ségolène Royal pour la mettre en garde contre les manques de son programme présidentiel ?
Chafia Mentalecheta : Je n’ai pas été touchée et je n’ai pas été étonnée. La famille Hollande-Royal, s’ils répondaient aux courriers, ça se saurait. Je peux vous envoyer un livre de lettre sans réponse que je leur ai envoyé depuis dix ans. Ca doit être Besancenot qui les poste et les détourne. Ils sont pleins de certitudes.
Afrik : Pouvez-vous nous dire un mot de l’expérience que vous avez menée à Clermont-Ferrand pour lutter contre la discrimination à l’embauche ?
Chafia Mentalecheta : Avec le Conseil régional, nous avons mis en place une action où je contactais toutes les entreprises qui déposaient des offres d’emploi. Je leur demandais s’ils accepteraient de prendre un jeune d’origine étrangère ou une personne victime d’un autre type de discrimination, sans entretien, pendant une semaine. Leur statut était celui de stagiaire de la formation professionnelle. Nous avons eu beaucoup de résultats positifs. Nombre d’entrepreneurs nous ont assuré qu’ils n’auraient pas pris les jeunes travailleurs qu’ils ont finalement embauchés s’ils s’étaient présentés avec leur CV ! Ils les ont vu cinq jours, ont constaté qu’ils étaient compétents et qu’ils avaient une réelle capacité d’intégration. Nous avons eu plus de 70% de classement de jeunes. Mais c’est un travail lourd.
Afrik : Est-ce le genre de proposition pour laquelle vous ne recevez pas de réponse de la rue de Solferino ?
Chafia Mentalecheta : Oui. Avec les régions socialistes, il y a des choses à faire, mais il n’y a pas d’envie.
Afrik : Connaissez-vous les travaux du Cercle de la diversité républicaine de l’UMP, qui propose comme Prairial 21 des solutions pour lutter, notamment, contre les discriminations ?
Chafia Mentalecheta : Oui. Je crois que la question de la lutte contre la discrimination est transversale. Il n’y a pas de bonne idée à ne pas prendre. C’est un problème qu’il revient à la société et à l’ensemble de la classe politique de s’emparer. Après, je suis en désaccord avec certaines propositions comme la discrimination positive. Je suis d’accord pour mettre dix jeunes de banlieue à Science Po, mais il ne faut pas que ça justifie trois millions de chômeurs d’origine étrangère à l’ANPE. Je ne suis pas pour un règlement de cette question par les élites. On a vu le résultat aux Etats-Unis, où un candidat à la présidentielle Noir va pouvoir se présenter (Barack Obama), mais où les discriminations sont encore plus criantes.
Afrik : Imaginez-vous un éventuel retour au PS ?
Chafia Mentalecheta : Je reste en contact très étroit avec des collègues et des amis du PS, mais tant que le parti est dans cet état, sans clarification idéologique, autocritique constructive et projet de société… ça ne m’intéresse pas.