Une vingtaine d’étudiants rwandais nous ont fait vivre hier, au centre Wallonie-Bruxelles à Paris, un véritable moment de grâce. Adaptation théâtrale et musicale des textes de huit écrivains » Rwanda, écrire par devoir de mémoire « , le spectacle » Corps et voix, paroles rhizome » de Koulsy Lamko ne peut pas laisser indifférent.
Le spectacle se déroule sous la forme de dix tableaux, chacun évoquant un moment de la tragédie rwandaise. 1994 : l’année de toutes les horreurs pour ce pays, plus d’un million de morts -Tutsis et Hutus confondus- à qui l’on accorde enfin un regard, symbolisé par une minute de silence en début de spectacle. Dix tableaux donc, qui racontent l’horreur avec une pudeur extraordinaire. De la musique aussi, pour accompagner les acteurs dans leur récit, et de la danse, pour montrer ce qui ne peut pas se dire.
Ce jour-là, le soleil ne se leva pas
Murekatété a bien vieilli. Elle a laissé derrière elle ses belles années et l’innocence du passé. A présent, rien ne sera plus comme avant. Elle raconte la guerre et des tableaux s’animent. On entrevoit la machette qui tranche, on devine le viol, on voit l’horreur et la peur dans les yeux. On lit la haine qui tout à coup déchire les liens ancestraux. L’apocalypse, admirablement mis en scène par Cécile Cotté, qui a su respecter la douleur et la retranscrire sans la figer sous des traits grossiers.
Le spectacle raconte aussi la difficulté de vivre après de telles atrocités, les doutes et les déambulations de chacun. » Puisque je ne suis pas morte, je dois vivre « , dit un des personnages, mais justement, comment vivre après le déluge ? Que faire de ce goût amer au fond de la gorge ? Quand bien même les réparations financières, les considérations des bonnes consciences étrangères et les tribunaux internationaux, il n’en reste pas moins que désormais « ici chaque homme, chaque femme est une île au milieu du vide « .
Malgré tout on peut encore s’aimer
Evocation aussi des croyances, de l’hypocrisie et de la lâcheté des uns, du courage des autres, des remords et de larmes qui ne semblent être faites que pour l’Afrique. Critique également, sur un air de rap, de ce monde qui se repaît de la misère : » Y’a rien à voir ici./ Nous n’avons pas la vocation/ De vivre ou de mourir/ Pour vous divertir « . Mais malgré tout, retour de la vie et des envies à pas feutrés et recommencement des gestes abandonnés.
Continuer à vivre, comme le demandent les morts, et ne jamais oublier. Reconnaître aussi l’humanité de chacun, même s’il est faible et cruel. Pour cela, couvrir les maux de mots. Bâtir quelque chose sur ce qui est mort. Rhizome : c’est bien le nom d’une tige végétale sur laquelle poussent des bourgeons extérieurs et dont les racines savent croîtres hors de leur lieu normal de développement.