La Compagnie du bien manger propose une alternative culinaire basée sur les ressources alimentaires du continent. Initiée par la chercheuse et universitaire sénégalaise Salimata Wade dans son pays, l’entreprise pourrait presque s’apparenter à une démarche de santé publique. Mais c’est surtout le rapport des Africains à leurs propres aliments et à leur culture culinaire qui est interrogé.
« Si on doit se payer des maladies de riches alors qu’on ne mange pas assez… », c’est le cri du cœur de la Sénégalaise Salimata Wade. Il explique le combat et le défi gastronomiques qu’elle s’est lancée en 2008 en s’engageant dans une entreprise culinaire, la Compagnie du bien manger (CBM). A l’origine, un constat : les dégâts dans la population sénégalaise des maladies métaboliques comme le diabète, l’hypertension ou encore l’obésité. Souvent à ces personnes au Sénégal, la Compagnie du bien manger offre une alternative alimentaire portée par une équipe où se côtoient cuisiniers, psychologue, diététicien, prof de gym ou encore ingénieur.
Les vertus du bien-manger, Salimata Wade qui s’est toujours fait sa propre cuisine, les redécouvre pourtant à son corps défendant. « Je travaillais beaucoup, je sautais les repas…. J’ai imposé à mon corps tout ce que je voulais. L’essentiel était qu’il fasse ce que je lui demande. Et puis, un jour je n’ai pas pu me lever ». Cette alerte au milieu des années 2 000 sera suivie de quelques autres et de multiples promesses faites à un organisme qui ne trouve toujours pas de répit. Le médecin de Dame Wade s’alarme et la prise de conscience se fait enfin.
Des denrées alimentaires à portée de main
Améliorer sa qualité de vie est devenue vital. Pour ce faire, elle se concentre sur son environnement. Notamment en matière de ressources alimentaires et culinaires. « Si je cherchais bien autour de moi, je pouvais régler des problèmes auxquels les médecins pensaient ne pas trouver de solution ». Y compris ses nombreux amis qui sont de la profession. Quand elle ira mieux, on lui demandera son secret. « J’avais mis au point pour moi-même une gastronomie grâce à une connaissance avancée des produits ». Résultat : « une gastronomie sénégalaise et africaine qui mélange les traditions culinaires fixées et une démarche qui conduit à des mets plus équilibrés ». Au cœur du processus : une liberté créative rendue possible grâce aux influences multiples et aux nombreux voyages de Salimata Wade à la recherche d’inspiration. Cette dernière peut produire, par exemple, une pizza aux feuilles d’oseille qui servent habituellement à préparer le bissap.
« J’ai pris les plats locaux et je les ai retravaillés, explique-t-elle. Les gens mangent ce qu’ils ont l’habitude de manger avec un budget adapté. Nous initions un changement dans la manière de manger. Ce n’est pas un régime. Nous voulons que les gens en fassent un mode de vie ». Au terme « alicament » inventé par l’industrie agro-alimentaire, Salimata Wade préfère la citation d’Hippocrate : « « Que ton aliment soit ton médicament ». Avec du tamarin, du manioc, vous obtenez une réaction dans votre corps. Malheureusement, l’aliment a été désacralisé et on en a fait un produit de consommation ordinaire. Il est par conséquent consommé au-delà des limites raisonnables ».
« Nos produits ont beaucoup de défauts et c’est ce qui masque leurs qualités. »
Droit, gouvernance locale, culture urbaine et énergies renouvelables sont des domaines dans lesquels l’universitaire s’est investie. Sa philosophie est inspirée de l’un d’eux. « En matière de changements climatiques, ce qui m’avait frappé, c’est qu’on disait que les solutions n’allaient pas êtres techniques mais comportementales. J’ai transposé cela dans le domaine alimentaire, aussi bien à la large échelle de la sécurité alimentaire qu’au niveau de celle de l’alimentation individuelle». La chercheuse a aussi appliqué le leitmotiv de son association Plus-value culture : « Plus de culture dans ce que nous entreprenons, c’est plus de valeur dans ce que nous produisons ».
Salimata Wade, qui mène un plaidoyer en milieu universitaire, est convaincue que la recherche doit accompagner le « new consuming » et que les enseignants doivent y préparer leurs étudiants. « Notre alimentation, notre cuisine jouit d’une réputation négative. On la considère comme paysanne, dépassée… Pourtant, nos produits peuvent être utilisés autrement, en adéquation avec nos goûts modernes. Je n’ai pas les mêmes goûts que ma grand-mère. Nous devons élaborer des choses faciles à manger parce que nous passons beaucoup de temps dehors. Il faut penser à de nouveaux formats qui permettent aux femmes de cuisiner en un temps record. Les diasporas africaines contribueront également à faire évoluer notre gastronomie. Nos produits ont beaucoup de défauts et c’est ce qui masque leurs qualités. »
Les gros bénéfices des entreprises agro-alimentaires
Et quand l’Etat essaie de les promouvoir, sa communication n’est pas des plus pertinentes. « « Consommer sénégalais ! », raille Salimata Wade. Qui mange par patriotisme ?». Pour la fondatrice de la Compagnie du bien manger, il faut valoriser les ressources alimentaires du continent avant que « les Américains et les Chinois ne prennent tout ce qui les intéresse et nous laissent leurs chips trop caloriques». « Au Sénégal, poursuit l’universitaire, nous voyons du poisson passer sans pouvoir l’acheter parce qu’il est destiné à l’exportation. »
Les responsables de la malbouffe de ses compatriotes en ont également pour leur compte. « Nous sommes la poubelle de Nestlé et des autres, car ils vendent ici les produits qu’ils ne peuvent pas vendre chez eux. Ils ont d’importants moyens publicitaires et leur capacité en terme de corruption va jusqu’au ministère de l’Economie.»
Elle se souvient «des cigarettiers qui ont réussi à obtenir une baisse de 40% du prix du tabac». Salimata Wade dénonce ces industriels de l’agro-alimentaire qui proposent des assaisonnements culinaires à toutes les sauces aux Sénégalais. « Sur un cube vendu à 25 fcfa, il y a 15 et 18 francs de marge. Les gens mangent ainsi des calories creuses, des colorants et du glutamate en cube. Les vrais aliments qu’il y a au marché sont délaissés parce que plus chers.
En attendant l’estampille « produits du terroir »
Pour l’heure, la Compagnie du bien manger est financée en grande partie par les fonds propres de Salimata Wade. Jusqu’ici, le bouche-à-oreille a admirablement fonctionné entre ceux qui se sont déjà offert les services de la Compagnie. Cette dernière s’engage désormais dans une phase commerciale plus offensive.
Les autres ambitions de Salimata Wade, lauréate dans la catégorie « Entreprenariat » de l’édition 2012 de l’initiative Harubuntu qui distingue les porteurs d’espoir et créateurs de richesses africains ? Essaimer des « restaus du Bien manger », former dans les villages et conforter les ménagères dans leurs bonnes pratiques culinaires. Si les banques lui ont fait jusqu’ici défaut, elle compte bien trouver d’autres partenaires – institutionnels, politiques ou issus de la société civile – qui l’aideront à porter cette fois-ci ses projets. La Sénégalaise espère aussi poursuivre son travail de valorisation et de documentation du patrimoine culinaire local. En d’autres termes, Salimata Wade travaille activement à voir un de ses nombreux souhaits prendre corps : l’émergence en Afrique de « produits du terroir ».
Lire aussi :
Slow food : « Les africains doivent consommer africain »
« Mille jardins en Afrique », l’éducation agricole de Slow Food