Salim Kechiouche : « aimer se mettre en risque »


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Révélé notamment par « Les amants criminels » de François Ozon, Salim Kechiouche a brûlé les planches cette année dans « Les Grecs » de Jean-Marie Besset et aux côtés de Roger Hanin dans « Un petit pull over angora » au théâtre du Temple. En pleine répétition de « Rupture entre amis », comédie de Frédéric Rondot, au théâtre du Gymnase à Paris, l’acteur boxeur a accepté une interview exclusive pour Afrik.com…

Afrik : Vous vous apprêtez à remonter sur les planches dans une comédie?

Salim Kechiouche : Oui, les répétitions de Rupture entre amis, une comédie de Frédéric Rondot, ont déjà commencé. Nous jouons au Théâtre du Gymnase-Marie Bell, à Paris, les 19,20,26,27 mai et 2 juin prochains. Mais je commence aussi à travailler pour mon prochain film, Le Fil, de Mehdi Ben Attia, produit par Mille et Une Productions, et je me prépare aussi pour un autre film dans le genre « fantastique », un film où l’on tremble, quoi… Bref, l’actualité est chargée!

Afrik : Pour vous, qu’est-ce-qu’un bon acteur ?

Salim Kechiouche : Pour moi un bon acteur, c’est une machine à sentiments, quelqu’un qui a aiguisé son appareil sensoriel et émotionnel et qui est capable de retransmettre son émotion. Il y a beaucoup d’acteurs qui intellectualisent leurs personnages, mais pour être efficaces, je crois qu’il faut les vivre. C’est une forme d’intelligence aussi, mais pas intellectuelle, intuitive, sensorielle, physique.

Afrik : Mais le personnage, vous le créez ?

Salim Kechiouche : Oui, je le crée, mais je ne suis pas un artiste ni un démiurge, je suis juste au service d’un auteur et d’un metteur en scène. Le théâtre m’a énormément appris au fil des années, c’est une leçon d’humilité on se met entièrement au service d’un personnage, il faut le faire exister.

Afrik : Et ça, c’est seulement de l’intuition ?

Salim Kechiouche : Ça ne veut pas dire que c’est inné, ce n’est pas instinctif au sens où ce serait facile comme un claquement de doigts. Il faut au contraire énormément travailler, répéter, répéter, répéter, et là ça devient naturel, et là ça coule de source, c’est incarné, c’est vécu. Et là tu arrives dans un état de grâce : c’est cette pseudo perfection qui permet alors de prendre des risques, d’aller un peu au-delà, d’être libre dans l’interprétation parce qu’on est tout entier dans le personnage. C’est seulement au bout d’énormément de travail que l’instinct se libère et que le jeu est libre ! Voilà le paradoxe de l’acteur. Et c’est ce qui le rapproche du sportif de haut-niveau, quand il est tellement affûté, il peut prendre des risques.

Afrik : Justement, vous êtes sportif ?

Salim Kechiouche : Je fais de la boxe, depuis l’âge de quatorze ans. Et mon premier film, A toute vitesse, de Gaël Morel, je l’ai tourné à quinze ans et demi. J’ai commencé en même temps, ou presque, le sport et le cinéma. Et je n’ai jamais arrêté de mener les deux en parallèle. L’année de mes dix-huit ans, c’était extraordinaire pour moi, parce que je tournais dans Les amants criminels de François Ozon, j’ai eu mon Bac cette année-là, j’étais la même année champion de France de kick-boxing, et j’ai eu mon permis de conduire. En même temps, c’était l’année de la majorité et le premier envol de ma carrière.

Afrik : Qu’est-ce qui rapproche la boxe et le jeu d’acteur ?

Salim Kechiouche : D’abord la rigueur, ce qui m’a permis de ne pas décrocher et de ne pas délirer : le sport oblige à se recadrer. Quand tu vas faire un entraînement, et que tu te rends compte que tu n’es pas aussi bon que d’habitude… Tu t’interroges, et tu comprends ce qui ne va pas, ce que tu n’aurais pas dû faire, tu corriges et tu reviens au sommet. C’est la même chose dans le jeu d’acteur, il faut garder la même rigueur, s’écarter des paillettes, tenir sa voie. Bon, ça c’est ce qui rapproche la boxe et le jeu d’acteur. Ce qui oppose les deux, c’est une remarque de Chuck Norris, qui n’est pas un immense acteur mais qui fut un grand sportif : la différence entre le sport de combat et le jeu, c’est que dans le sport de combat, il faut tout cacher, ne rien exprimer, ne montrer ni la douleur ni les sentiments ni les sensations, être totalement imperméable, alors que dans le jeu, c’est le contraire, tu dois être une éponge, absorber les émotions pour les redonner, les exprimer. C’est ce qui a fait que petit à petit je glisse plus du côté du cinéma, ayant connu la sensibilité, je n’ai plus la dureté, la fermeture du boxeur. Parfois ça me tente, j’ai envie de refaire de la compétition, mais je crois que je ne peux plus me blinder au même point.

Afrik : Donc on ne vous verra plus sur un ring ?

Salim Kechiouche : Sauf qu’il y a un sentiment que la boxe apprend et que je retrouve comme acteur : c’est le sentiment de la prise de risque, de la confrontation avec le danger. Celui qui monte sur le ring sait que son adversaire peut le tuer, qu’il en a le droit, que cela fait partie des règles. Or il y a un moment dans le jeu où tu te persuades tellement de l’émotion que tu restitues… que tu en es toi-même troublé : tu sens alors que le personnage vit en toi, tu es sur le fil entre deux consciences, tu n’es plus toi-même, mais entièrement un autre. Le théâtre est une prise de risque absolue, face à un public qu’il faut emporter dans une réalité différente. Et ce sont les mêmes moments de risque que l’on éprouve dans la boxe, quand le coup de l’adversaire passe à deux doigts, que l’on s’expose jusqu’à l’extrême limite, que l’on danse presque pour éviter les coups et que l’on sait qu’un millimètre de trop pourrait arrêter la danse brutalement. Alors je continue la boxe pour apprendre à vivre cette mise en risque en restant placide. Il faut aimer se mettre en risque!

 

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