Si la plupart des spécialistes s’accordent à dire que l’élection présidentielle du Bénin, dont le premier tour se tient dimanche, se jouera entre Thomas Boni Yayi, le président sortant, Adrien Houngbédji et Abdoulaye Bio Tchané, Salifou Issa entend bien jouer les trouble-fêtes. De passage à Paris la semaine dernière, le jeune chef d’entreprise et député nous a accordé un entretien.
Une formidable success story. Issu d’une famille de neuf enfants – dont il est le seul garçon –, Salifou Issa est obligé d’arrêter l’école après la classe de Seconde, ses parents n’ayant pas les moyens de le soutenir financièrement. Très jeune, donc, il commence à travailler. Il enchaîne les petits boulots dont celui de vendeur de cigarettes. Encore adolescent, il devient père et doit redoubler d’efforts. En 1985, il part en France. Il a alors 22 ans. A Paris, il travaille avec un ami dans une fourrière de police chargée de détruire des véhicules. Et c’est là que lui vient l’idée qui fera de lui un homme d’affaires riche et respecté. Les deux compères prennent l’initiative d’exporter les pièces détachées et les véhicules qui arrivent à la fourrière vers Cotonou. Le succès est immédiat. Les bénéfices s’accumulent tant et si bien qu’en 1995, Salifou Issa peut repartir s’installer définitivement au Bénin. Il y développe ses activités dans le transit et la consignation, et investit dans les médias et la téléphonie mobile. En 2003, il crée le journal et la radio Fraternité, en 2004 le réseau de téléphonie mobile Bell Bénin, et entre 2005 et 2010 les télévisions Canal 3 Bénin, Niger et Paris. Attiré par la vie politique, il s’est aussi lancé dans l’arène et a été élu maire de Malanville – une commune du nord d’où est originaire son père, d’ethnie Germa – et député, en 2003. L’enfant pauvre de Bohicon a connu une fulgurante ascension. Et lorsqu’on lui demande quelles sont les clés de sa réussite, il répond, sans hésiter, que « dans la vie, il faut avoir de l’ambition » et, surtout, « travailler dur ». Aujourd’hui, à 48 ans, Salifou Issa, à la tête de son parti, l’UPR (Union pour la relève), entend franchir un nouveau palier : devenir président du Bénin.
Afrik.com : Pourquoi avez-vous décidé de vous présenter à l’élection présidentielle ?
Salifou Issa : Je vais être sincère avec vous. Quand j’ai regardé le bilan de Yayi Boni sur ces cinq dernières années et tous les autres candidats, je me suis dit qu’il manquait quelque chose pour le pays. En 2006, les Béninois ont préféré Yayi Boni à l’ancienne classe politique parce qu’ils estimaient qu’un banquier, un gestionnaire, serait bon pour le pays. En 2006, j’étais directeur de campagne d’Amoussou Bruno. Au second tour, nous avons soutenu Yayi plutôt que Houngbédji. Mais nous avons été déçus, même en termes de gestion. L’affaire ICC Services est un bel exemple de cet échec. Mais ce qui me gêne le plus, c’est que Yayi Boni veut avoir le contrôle de toutes les institutions du pays : le Conseil constitutionnel, la Haute cour de justice, la Cour suprême, la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication… toutes les institutions sont sous son contrôle, ce qui n’est vraiment pas une bonne chose. Et je pense qu’il ambitionne de modifier la constitution pour rester au pouvoir.
Afrik.com : Sur quelles bases avancez-vous cette accusation ?
Salifou Issa : En tant que parlementaire, je suis dans une position privilégiée pour observer ces manœuvres. Et pourquoi, selon vous, la date des législatives a-t-elle été placée juste après celle des présidentielles ? Pour qu’après avoir gagné les présidentielles il puisse remporter les législatives dans la foulée. Pourquoi a-t-il tenu à avoir deux dates séparées ? C’est pour ça !
Afrik.com : Qu’est-ce qui vous distingue des candidats donnés comme favoris à la présidentielle ?
Salifou Issa : Bio Tchané, c’est aussi un banquier. Il n’est pas très loin de Yayi Boni. Les banquiers voient plus les chiffres que les hommes… Dans ma circonscription électorale (Alibori, Nord), je suis plus fort que Yayi Boni qui est du Borgou voisin. Entre soutenir un autre candidat et être candidat moi-même, j’ai préféré la seconde option. Et j’ai l’avantage d’être un élu du nord, chez mon père, tout en étant né dans le sud, chez ma mère. Donc je suis aussi influent au nord qu’au sud. Tout ceci regroupé fait de moi un candidat sérieux.
Afrik.com : Vous dites que Boni Yayi et Bio Tchané sont des banquiers. Mais vous, en tant qu’homme d’affaires, êtes aussi un homme de chiffres…
Salifou Issa : La différence entre ces deux candidats et moi, c’est que j’ai un parcours politique. J’ai été élu conseiller communal, maire de ma commune, Malanville, député depuis huit ans à l’Assemblée nationale, président du groupe parlementaire G13. Aujourd’hui je m’intéresse moins aux affaires qu’à la politique et à l’avenir de mon pays. Dans ma circonscription, je participe beaucoup à titre personnel au développement. Je m’investis beaucoup. (…) Ma façon d’aider les collégiens et les jeunes bacheliers, en leur payant des cours de soutien scolaire et en créant des foyers, va plus loin que ce qu’aucun homme politique n’a fait jusqu’à maintenant. J’ai aussi réalisé plusieurs forages qui permettent aux habitants d’avoir de l’eau potable gratuitement, surtout dans le sud, dans la localité de ma mère, Abomé-Bohicon.
Afrik.com : Quelle est, en tant que candidat à la fonction suprême, votre principale proposition ?
Salifou Issa : Le plus gros problème de la population, c’est l’emploi. Et à ce sujet, j’ai une idée très claire de ce qu’il faut faire. L’action que je voudrais mener tient en deux volets. D’abord, il faut assister les personnes qui à la fin de leurs études ne trouvent pas de débouchés. Il faut donner la possibilité aux diplômés sans emploi d’obtenir un contrat d’un an dans les entreprises publiques et privées. Après un an, ce sera aux entreprises de savoir si elles peuvent les garder. Si ne n’est pas le cas – et c’est le deuxième volet –, ils devront bénéficier de l’assistance que l’Etat fournira à tout diplômé ou non âgé d’au moins 30 ans. L’idée est que pour un projet porté par un jeune, l’Etat donne sa caution pour que la banque fasse un prêt. Car le jeune, s’il n’a pas de caution, n’a pas accès aux banques, même si son projet est bon. Il y a aujourd’hui un ministère dédié à la microfinance. Il alloue 30000 francs aux porteurs de projet, qui sont le plus souvent des femmes. Je trouve cela insuffisant, et en plus les personnes qu’il finance ne sont pas accompagnées.
Afrik.com : Dans votre programme, il y a plusieurs propositions : équilibrer le pouvoir des institutions républicaines, développer l’implantation des énergies renouvelables, intégrer les TIC au cœur du développement… Parmi elles, vous soulignez la nécessité de s’appuyer sur le fort potentiel de la diaspora. Pourquoi la faites-vous figurer parmi vos priorités ?
Salifou Issa : J’y crois beaucoup. Quand je prends l’exemple du Bénin, je constate qu’il y a beaucoup de valeurs à l’extérieur qu’on n’utilise pas. Quand j’ai mis en route ma compagnie de téléphonie mobile, mes équipementiers américains m’ont envoyé de Californie un technicien béninois pour le dépannage. Avant lui, trois personnes étaient passées : un Américain, un Anglais et un Indien. Les résultats n’étaient pas terribles. Le Béninois, lui, a mis les choses à niveau en trois jours. J’ai vraiment été surpris. Je lui ai demandé s’il n’avait jamais pensé rentrer pour développer son pays et proposer de travailler avec moi. Il a réfléchi, et il m’a répondu : OK pour un an. C’est grâce à lui que j’ai pu redresser l’entreprise. Il est resté deux ans et demi, et il est reparti. Je pense que, dans la diaspora, il y a beaucoup de valeurs qu’il faut prendre en compte pour le redressement du pays. Je connais beaucoup de professeurs, chirurgiens et autres professionnels de renom qui sont béninois. Il faudrait mettre en place une base de données, qui nous permettrait de nous adresser à ces personnes quand nécessaire. Mais connaissant mon pays, je sais que ce ne sera pas facile pour elles de revenir et de s’adapter. C’est pourquoi le gouvernement devra prendre des dispositions pour les rassurer. La diaspora est très importante pour moi. C’est pourquoi j’ai voulu créer une chaîne à l’international, Canal 3 Monde, qui noue un lien avec le pays qui ne les connaît pas. (…) Je fais en sorte d’être utile. Et je n’avance jamais seul. C’est quand la richesse est partagée qu’elle a du sens.