La presse algérienne vit ses pires moments. Le journaliste Khaled Drareni, fondateur du journal électronique Casbah Tribune et correspondant de Reporters Sans Frontières (RSF), en détention provisoire depuis la fin mars, a été condamné, ce lundi 10 août, à trois ans de prison ferme et 50 000 DA d’amende.
« C’est un verdict très lourd pour Khaled Drareni. (…) On est surpris. Le dossier est vide », a déclaré Me Noureddine Benissad, membre des avocats de la défense. Son crime : avoir exercé son métier de journaliste dans le respect des règles de la déontologie, notamment dans sa couverture continue du Hirak, depuis le 22 février 2019.
Ses co-inculpés dans le même dossier, Samir Belarbi et Slimane Hamitouche ont, quant à eux, été condamnés à deux ans de prison et une amende de 50 mille dinars, dont quatre mois ferme.
Cette condamnation est un choc pour les observateurs. De nombreux journalistes restent abasourdis depuis l’annonce intervenue dans la matinée. L’incompréhension règne parmi les membres de la profession. Depuis l’avènement de la presse libre en Algérie, aucun journaliste n’avait eu à subir une peine de prison pour l’exercice de son métier. Rappelons que la Constitution devrait garantir la liberté d’exercice du journalisme.
Poursuivis pour « atteinte à l’unité nationale » ( article 79 du code pénal ) et « incitation à attroupement non armé » ( article 100 du code pénal ), les trois prévenus ont été arrêtés le 7 mars dernier. Après trois nuits en garde-à-vue, Slimane Hamitouche et Samir Belarbi ont été placés sous mandat de dépôt, alors que Khaled Drareni avait été relâché sous contrôle judiciaire. Cependant, le tribunal de Sidi M’hamed décide, le 29 mars, d’annuler la procédure de contrôle judiciaire et ordonne le placement sous mandat de dépôt du journaliste.
« Un traitement spéciale »
Choquant, aberrant et affligeant. Le traitement spécial subit par le journaliste Khaled Drareni est « insupportable ». Peu après l’annonce du verdict à l’encontre de notre confrère, le choc se traduit en silence, un silence assourdissant, effrayant, régnait à l’intérieur de la Cour pendant plusieurs secondes… Khaled resta debout, la tête relevée, sans aucune réaction.
La juge ajoute : « Mohamed Khaled Drareni, avez-vous entendu le verdict ? La tribunal vous a condamné à trois ans de prison ferme et à une amende ». Sans prononcer aucun mot, Khaled leva encore plus haut la tête et leva sa main en signe de victoire… Les pleurs montèrent dans la salle alors que la juge continuait à prononcer, en détail, les jugements.
Selon les avocats de la défense, les chefs d’accusation sont « infondés ». Ils dénoncent ainsi « un acharnement diffamatoire contre lui. Il a été alimenté par une interférence présidentielle à charge dans cette affaire ».
Des confrères et consœurs ont rapidement réagi sur les réseaux sociaux. Ils invitent à des actions concrètes, notamment saisir les hautes instances auprès de l’ONU, et ce afin de faire pression pour la libération de Khaled.
« Cette condamnation, prononcée contre un journaliste pour son travail, est la plus lourde dans l’histoire de l’Algérie indépendante. La place de Khaled Drareni n’est pas en prison. Nous exigeons sa libération immédiate et sa réhabilitation », s’indignent-ils dans une pétition rendue publique ce lundi.
Deux poids, deux mesures !
Selon l’avocate « les 3 prévenus dans cette affaire, Samir, Slimane et Khaled en l’occurrence, sont traduits pour les mêmes faits, les même chefs d’inculpation et pourtant les peines ne sont pas les mêmes, Khaled n’est pas repris de justice et pourtant, il écope de 3 ans ferme ».
« Je pense que la responsabilité du chef de l’Etat est engagée, puisqu’il y avait consacré un passage lors de l’une de sa conférence de presse », s’indigne-t-elle. Et d’ajouter : « Ce qui encore une fois nous confirme que la justice est loin d’être indépendante, et qu’elle est belle et bien instrumentalisée par le pouvoir afin de faire taire toutes voies discordantes ».
L’avocate nie catégoriquement que, d’un point de vue juridique, les éléments aient été réunis pour porter à une condamnation du prévenu. Elle nous dira à ce propos qu’ « il y a eu plusieurs violations des lois, aussi bien dans la forme que dans le fond. Il n’y a aucun élément matériel concernant les infractions pour lesquels il a été inculpé ». En plus de l’absence d’éléments moral « Khaled n’a fait qu’informer l’opinion publique sur une marche pacifique, un samedi 7 mars, comme il a couvert les manifestations pro-élection. Les 2 chefs d’inculpation ne tiennent pas la route », nous explique-t-elle.
« A travers la condamnation de Khaled Drareni c’est toute la presse libre qui est condamnée », a-t-elle martelé.
Par ailleurs, M. Said Salhi, militant et vice-président de la Ligue des Droits de l’Homme (LADDH), dénonce « un précédent grave qui augure un sale temps pour les journalistes et les libertés ». Pour lui, ces condamnations « sont choquantes et disproportionnées pour des poursuites infondées et un dossier vide ».
La LADDH se dit « inquiète et scandalisée ». Elle renouvelle sa solidarité avec l’ensemble des détenus d’opinion, et réitère « sa demande urgente de libération du journaliste Khaled Drareni et de l’ensemble des détenus d’opinion du Hirak et le respect des droits humains et des engagements de l’Algérie auprès des mécanismes internationaux et régionaux de protection des droits humains et des défenseurs des droits humains ».
RSF dénonce une « persécution judiciaire »
L’ONG Reporters sans frontières (RSF) a vivement réagi suite à l’annonce du verdict. Elle dénonce une « persécution judiciaire ». « Cette décision soulève le cœur et l’esprit par son caractère arbitraire, absurde et violent », souligne, Christophe Deloire, premier responsable de l’ONG.
Il ajoute qu’ « il s’agit clairement d’une persécution judiciaire contre un journaliste qui est l’honneur de son pays. Une justice aux ordres vient de faire de Khaled Drareni un symbole qui va susciter une indignation et une mobilisation mondiales ».
Pour rappel, notre confrère Khaled Drareni était en détention provisoire à la prison de Koléa (Alger), depuis 137 jours, parce qu’il couvrait une marche pacifique du Hirak, quant à Samir Benlarbi et Slimane Hamitouche, ils ont été remis en liberté provisoire depuis le 2 juillet dernier.
Si l’appel n’aboutit pas, Khaled restera 3 ans en prison. Trois ans pendant lesquels il aura notre soutien plein et entier contre la justice algérienne qui a été dévoyée et détournée.