Des mots pour rire. L’expression résume le travail du comédien franco-camerounais Saïdou Abatcha qui a fait du proverbe africain matière à rire et à penser. Alors que s’achève la première partie des représentations de Looking for Mr. Castang, la dernière pièce d’Edouard Baer, Maître Abatcha, le sage africain qu’il interprète, s’éclipse pour faire place à Saïdou Abatcha.
Il aime mots. Les bons mots. Les prix Raymond Devos, au festival d’humour de Monnaie, et le prix de la presse au festival de Rochefort (Belgique), décernés en 1998, ont récompensé la qualité des textes et des joutes linguistiques auxquelles Saïdou Abatcha aime à se livrer sur scène. A 43 ans, ce Peul natif du nord du Cameroun est un puits presque intarissable de proverbes africains. C’est de cette science qu’il nourrit le personnage de Maître Abatcha qu’il incarne dans la dernière production d’Edouard Baer, Looking for Mr. Castang. Les nouvelles aventures de Luigi Prizzoti, alias Edouard Baer, à la poursuite de son rêve américain. L’acteur traverse le monde à la recherche d’un mystérieux magnat hollywoodien censé lui offrir le rôle de sa vie. Son chemin croisera celui de Maître Abatcha, philosophe africain qui joue et fait jouer des clichés pour mieux les démonter. « Un personnage inspiré à Edouard Baer, selon Saïdou Abatcha, par son intérêt réel pour le continent africain.»
Entre la scène, plus souvent, et le cinéma – Lili et le Baobab (2005) est son dernier film, le chemin de Saïdou Abatcha croise celui d’Edouard Baer grâce à François Rollin que le comédien franco-camerounais avait rencontré à maintes reprises pendant des festivals d’humour. « J’ai rencontré Edouard, il y a environ trois ans au Grand Mezze (« happening théâtral » monté par François Rollin et Edouard Baer, ndlr), au théâtre du Rond-Point. Le courant est tout de suite bien passé entre nous. On a gardé le contact. Il venait me voir, j’allais le voir. J’ai été touché qu’il me demande d’intégrer sa troupe ».
Une vie de troupe, la parenthèse enchantée de Saïdou
Saïdou Abatacha ne tarit pas d’éloges pour son metteur en scène. Edouard Baer, saltimbanque traqueur, en rougirait presque. « Il est très humain, très généreux. Une qualité très rare dans notre monde. D’ailleurs un proverbe dit, il ne faut pas être bon deux fois. Tu es bon une fois, c’est bon. Mais quand tu es bon deux fois, tu deviens bonbon et on te suce ». Saïdou vient de glisser son premier proverbe. « Edouard, poursuit-il, a su s’entourer de gens extraordinaires.» Le one man show, exercice habituel de Saïdou Abatcha en pâlirait presque de jalousie. « Ca apporte beaucoup de jouer en troupe. On est un peu moins égoïste que quand on fait un one man show. Cela n’engage souvent que soi-même, surtout quand c’est engagé, qu’il y est question de dénoncer les travers de la politique africaine, comme je le fais. La troupe est une expérience formidable, de surcroît avec un metteur en scène qui laisse toute liberté à ses acteurs. » L’alchimie est visible sur scène. Frais, actuel et interactif, Looking for Mr. Castang est un délicieux divertissement.
Saïdou Abatcha a pris les habits du comédien comme l’on répond à une vocation. Sans passer par la case formation. A 9 ans, au CM1, il se rappelle encore de ses premières répliques. « Mon premier one man show avait été écrit par mon maître d’école à l’occasion des festivités qui marquaient la fin de l’année scolaire. Des journalistes étaient censés me poser des questions. Il y avait tous les parents, mais je n’avais pas peur, j’étais content. « Monsieur le vantard, qu’est-ce qu’un vantard ? « . » C’est un vent qui vient tard. » « Monsieur le vantard, qu’est-ce qu’un chapeau ? ». « Un chapeau est un chat logé dans un pot ». Ces jeux de mots ont contribué à développer mon amour pour la langue française ». Plus tard, cette affection particulière se transfèrera au pays des Droits de l’Homme, non par obligation mais par désir. « J’étais bon élève et en 4e j’ai obtenu le prix du Premier ministre, c’était Paul Biya qui est devenu plus tard président de la République (il l’est toujours, ndlr). La récompense était un livre sur la Révolution française, la prise de la Bastille. Ce livre m’a beaucoup appris sur l’Histoire de France ».
« Ces jeux de mots ont contribué à développer mon amour pour la langue française ».
Inexorablement, l’Hexagone finit par arriver à lui, d’abord sous les traits de la réalisatrice Claire Denis. « J’avais commencé par des petits rôles à la télévision camerounaise ». Il y est devenu depuis une star très populaire. « Mais la personne qui m’a découverte au Cameroun, c’est Claire Denis ». Il tourne Chocolat (1987). Saïdou est jeune, c’est son premier long métrage mais il a une vraie expérience artistique. « Je faisais déjà du théâtre. J’avais créé une petite troupe de théâtre à Kousseri (localité de l’extrême-nord du Cameroun, ndlr) ». Puis, plus concrètement en 1992, il franchira le sol français. L’acteur évolue au sein d’une troupe franco-camerounaise qui a monté au centre culturel français de Yaoundé Dom Juan de Molière. « La pièce a connu un grand succès au Cameroun et en Afrique. La Coopération française a alors jugé bon de présenter notre pièce au festival « off » d’Avignon cette année-là. » Un tournée s’engage et elle lui ouvre aussi les portes du théâtre Toursky de Marseille dirigé par Richard Martin.
Amadou Hampâté Bâ, grand homme de culture africaine né au Mali, est le pont entre les deux patries de Saïdou Abatcha. Il a consacré en 2002 un spectacle en guise d’hommage à « son maître à penser ». « Les êtres humains, c’est comme les plantes. Ils ont besoin de leurs racines pour tenir debout, a dit Hampâté Bâ. Avec lui, je me sens très proche de mes racines africaines tout en étant ouvert au monde.»
J’ajouterai ce qu’il m’apporte à ce que je suis. Je serai plus
Jouer les ponts. Il y tient. C’est aussi peut-être pour cela qu’il aime autant les proverbes et surtout les partager, avec notamment les jeunes issus de l’immigration. « Pour qu’une idée germe, il faut l’ensemencer dans la tête des enfants. Ca peut donner un peu de fierté aux jeunes Français d’origine africaine qui sont ici, qui sont un peu perdus. Ils doivent être fiers de leur culture africaine, sans toutefois cesser d’aller vers celle de leur patrie. « Ils peuvent aller au rendez-vous du donner et du recevoir. » comme le disait Senghor. Il faut qu’ils connaissent leur culture pour mieux la valoriser.»
Loin d’être naïf, il reconnaît que dans sa profession, être Noir n’est pas une sinécure. Pour lui, les comédiens issus des minorités visibles doivent s’offrir leurs propres opportunités. «Tant que les minorités n’auront pas leurs propres troupes, leurs propres moyens, elles ne pourront pas jouer les rôles qu’elles veulent. C’est vrai, admet-il, qu’on nous donne souvent des rôles de techniciens de surface de femmes de ménage, des rôles subalternes mais je dis qu’il faut être positif en les acceptant. Ce n’est pas gagner le rôle qui est important, c’est gagner la confiance du metteur en scène, comme tout comédien. Il n’y a pas de petits rôles, mais de petits comédiens.»
Comédien engagé, Africain optimiste
L’optimisme pragmatique de Saïdou Abatcha est convaincant d’autant qu’il se montre des plus critiques. Lui qui a égratigné dans Ciel, mon Fric, la Françafrique, les détournements d’argent et dénoncé les travers autocratiques des leaders africains reste « optimiste » pour un continent qu’il considère « plein d’avenir ».
La première partie de l’aventure Looking for Mr Castang s’est achevée le 14 février. La pièce reprendra à la fin de l’année. Cet épisode refermé, une nouvelle parenthèse s’ouvre pour Saïdou Abatcha. Le royaume chérifien l’attend pour son double spectacle Humour noir et Contes et leçons de sagesse africains.