Saïd Haddad : « Le CNT n’a pas vocation à diriger la Libye »


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Les combats font rage entre les forces du Conseil national de transition (CNT) et les derniers bastions fidèles à l’ancien régime à Syrte. Bien que ces derniers soient affaiblis, ils résistent toujours. Aussi, le CNT ne pourra proclamer la libération totale du pays qu’une fois seulement la ville natale de Mouammar Kadhafi tombée. Les défis du nouveau pouvoir libyen sont immenses. Il va devoir établir de nouvelles institutions, assurer la réunification et sécurité du pays, trouver des solutions aux divisons internes en son sein. Tant d’enjeux qui doivent être pris en considération pour établir la nouvelle Libye. Saïd Haddad, chercheur au CNRS, spécialiste de la Libye, analyse la situation.

Afrik.com : Que se passe-t-il actuellement en Libye ?

Saïd Haddad :
Syrte, la ville natale de Mouammar Kadhafi résiste toujours. Bien entrainés, les forces loyalistes disposent encore d’un arsenal important. Ce qu’il faut prendre en compte, c’est qu’elles n’ont plus rien à perdre, elles se battront donc jusqu’au bout. Il faut noter que depuis le début de l’insurrection, il y a une désorganisation du Conseil national de transition (CNT) sur le plan militaire. Il n’y a en effet pas une très grande cohésion en son sein. Le CNT souffre certainement de ces cafouillages. En tout cas, pour le moment, le point de rupture n’a pas été atteint. Il semblerait que Syrte va probablement tomber. Quand ? Il est pour l’instant trop tôt pour le dire. Même s’il n’y a pas d’échappatoire pour les pro-Kadhafi, il faut se méfier des effets d’annonces. En temps de guerre, les différentes parties ont tendance à régulièrement annoncer leurs exploits mais cela ne correspond pas toujours à la réalité.

Afrik.com : On sait peu de chose finalement sur le CNT. Quelles sont les différentes tendances qui le composent ?

Saïd Haddad :
Jusqu’à maintenant, le CNT est d’une composition assez diverse. On y trouve des exilés, des opposants de longue date, des partisans de l’ancien régime tels que Moustafa Abdeljalil, qui en est le dirigeant. Le CNT n’a pas vocation à diriger la Libye, si l’on croit ce qu’il dit. C’est une force politique qui devrait mourir peu à peu à la fin de la révolution. Un nouveau pouvoir devrait émerger une fois que les élections constitutionnelles et plus tard générales seront organisées.

Afrik.com : Le CNT est loin d’être uni contrairement à ce que l’on a pu croire au début de la révolution. Quelles sont les principales divisions auxquelles il est confronté ?

Saïd Haddad :
Jusqu’à la chute de Mouammar Kadhafi, le CNT était uni et n’avait pour seul objectif que de faire tomber le régime. Actuellement, il y a différentes tendances qui émergent, notamment islamistes. Et le principal défi du CNT sera de mettre en place la nouvelle Libye en évitant les luttes fratricides. Il est très difficile en l’absence d’élections et de sondages de mesurer le poids des islamistes dans le pays. Mais c’est une force qu’il faudra prendre en compte dans la nouvelle Libye. La question à se poser est de savoir si les islamistes sont prêts à adopter un régime démocratique s’ils jouent un rôle politique dans le pays. Dans les pays musulmans l’islamisme fait parti de la scène politique. Mais l’insurrection libyenne n’a pas été faite au nom de l’Islam. Les révolutions arabes sont parties avant tout d’idées ou revendication universelles et les islamistes ont suivi le mouvement.

Afrik.com : Quels sont les défis que devra relever la nouvelle Libye ?

Saïd Haddad :
Le grand défi du CNT au delà de la reconstruction sera d’apprendre à vivre politiquement ensemble. Il va falloir désormais tout revoir surtout sur le plan politique, car la démocratie ne se limite pas au multipartisme. Il devra établir des institutions nouvelles, relancer l’économie qui est essentiellement basée sur les hydrocarbures, notamment le pétrole, et lutter contre le chômage des jeunes et la pauvreté. Le régime de Kadhafi était conscient de ses propres dysfonctionnements. La redistribution des richesses n’était pas effective. Il existait de nombreuses inégalités entre la classe dirigeante et le peuple. D’ailleurs ce n’est pas un hasard si la révolution est partie de l’Est. L’Est s’est senti longtemps délaissé pendant des années par le régime de Kadhafi, notamment au niveau des infrastructures. L’autre exemple marquant des inégalités qui régnaient au sein du régime, est celui de la tribu des kadafa, dont est originaire Mouammar Kadhafi, qui bénéficiait d’un régime plus favorable que les autres.

Afrik.com : La Libye est un pays composé de multiples tribus. Mouammar Kadhafi avait réussi à faire taire les divisions tribales grâce à l’établissement d’un régime autoritaire. Trouver un terrain d’entente entre elles ne sera pas une mince affaire…

Saïd Haddad :
C’est l’un des principaux défis du CNT. Mouammar Kadhafi a toujours joué sur les tribus. Même s’il les a combattues pendant un moment, il a utilisé la donne tribale pour asseoir son pouvoir. Entre les partisans du CNT et ceux de l’ancien régime les tribus ont toujours été attentives à la tournure des évènements pour savoir ce que les différents partis comptaient faire pour elles. Le CNT devra notamment réunir les différentes régions du pays, tels que l’Est et l’Ouest. La révolution est partie de l’Est mais l’Ouest a également beaucoup perdu en termes de vies humaines. La Libye est un pays très complexe. Il y a des équilibres régionaux que les dirigeants devront prendre en considération et respecter. Les divisions entre l’Est et l’Ouest sont des facteurs qui relèvent plus de distributions régionales et économiques.

Afrik.com : Le régime de Kadhafi est à peine tombé que l’on voit déjà des entreprises occidentales à l’afflux du pays. Quel rôle l’Occident va jouer dans la nouvelle Libye ?

Saïd Haddad :
L’Occident d’une manière générale ne devra pas imposer son choix et devra aider le pays à se reconstruire. Ce qu’il faut aussi savoir c’est que toutes les entreprises qui arrivent en grande masse actuellement étaient déjà présentes dans le pays. Là il s’agit plutôt d’un retour sur le territoire libyen. Mais on peut penser qu’il y aura une compétition plus accrue.

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