(New York) – Le Maroc a réprimé des activistes indépendantistes au Sahara occidental suite à un incident à un poste frontière survenu le 13 novembre 2020, a déclaré Human Rights Watch, ce vendredi. L’incident a ravivé le conflit, depuis longtemps paralysé, entre le Maroc et le Front Polisario, mouvement basé en Algérie et réclamant l’indépendance de ce territoire. Les forces de sécurité ont brutalement dispersé des manifestations en faveur de l’indépendance. Elles ont aussi harcelé, frappé ou arrêté plusieurs activistes, ou encore attaqué leurs domiciles.
Le fait que l’administration américaine ait reconnu, le 10 décembre, la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental ne change en rien à son statut de territoire non autonome, tel que déterminé par les Nations Unies.
« Le Maroc et le Polisario s’affrontent sur les plans frontalier et diplomatique, mais cela n’autorise en rien le Maroc à réprimer des civils sahraouis qui s’opposent pacifiquement à son administration du territoire », a déclaré Eric Goldstein, directeur par intérim de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord de Human Rights Watch.
Fin octobre, des civils sahraouis ont bloqué une route reliant le Sahara occidental à la Mauritanie à travers une zone tampon de 5 kilomètres. Côté Sahara occidental, le Maroc maintient depuis longtemps le poste frontalier de Guerguerat, dont l’existence même est considérée, par le Polisario, comme une violation de l’accord de cessez-le-feu signé entre les deux parties en 1991. Le 13 novembre, l’armée marocaine a expulsé les civils de la zone tampon sans faire de victimes ni d’arrestations. Soutenant que cette opération mettait fin, de fait, au cessez-le-feu, le Polisario a fait vœu de « reprendre la guerre ». Aucune confrontation armée significative n’a eu lieu depuis.
Les autorités marocaines contiennent fortement, depuis longtemps, toutes les manifestations d’opposition à leur administration du Sahara occidental. Elles empêchent les rassemblements de soutien à l’autodétermination sahraouie, soumettent les activistes indépendantistes à des violences, dans la rue ou en garde à vue, les emprisonnent, les condamnent au terme de procès entachés d’irrégularités ou d’actes de torture, entravent leur liberté de déplacement, et les font suivre ouvertement. De telles violations ont de nouveau été rapportées suite à l’incident de Guerguerat.
À Laâyoune, après des manifestations majoritairement pacifiques en soutien au Polisario le soir du 13 novembre, des membres armés des forces de sécurité marocaines et des véhicules blindés de transport de troupes ont été déployés dans plusieurs quartiers, dressant des barrages routiers et empêchant les piétons de circuler. La branche de Laayoune de l’Association marocaine des droits humains a rapporté que pendant les quelques jours qui ont suivi le 13 novembre, les forces de sécurité marocaines ont matraqué des passants pacifiques, des policiers masqués ont attaqué ou fait irruption dans sept maisons de partisans présumés du Polisario, et des hommes, femmes et enfants ont été arrêtés avec un usage disproportionné de violence.
À la même période, des groupes d’activistes sahraouis ont rapporté des événements similaires dans les villes de Smara, Dakhla et Boujdour. Les manifestations indépendantistes brutalement réprimées étaient en grande majorité pacifiques, même si quelques cas limités de jets de pierre sur la police ont été enregistrés, notamment à Laâyoune. Les autorités, en revanche, ont autorisé de larges manifestations dans le Sahara occidental, le 12 décembre, pour célébrer la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté marocaine sur le territoire.
Le 16 novembre, des policiers sont allés chercher Hayat Diyya, 12 ans, dans son collège de Laâyoune, et l’ont emmenée dans un poste de police, après qu’un membre du personnel de l’école a signalé qu’elle portait une veste de type militaire et qu’elle avait cousu, sur son uniforme scolaire, un écusson représentant le drapeau sahraoui. « Les policiers l’ont retenue pendant cinq heures, l’ont giflée, lui ont tiré les cheveux, et l’ont frappée brutalement sur plusieurs parties de son corps », a déclaré Lahbiba Diyya, la mère de Hayat, à Human Rights Watch. « Ils l’ont aussi forcée à s’agenouiller et à chanter l’hymne national du Maroc face à un portrait du roi. Depuis, elle fait régulièrement des cauchemars. »
Sultana Khayya, une activiste connue de la ville de Boujdour, a déclaré à Human Rights Watch que des agents de police avaient pénétré en son absence dans son domicile familial le 19 novembre, et frappé sa mère de 84 ans à la tête. Ayant perdu connaissance, cette dernière a été évacuée en ambulance vers un hôpital. Khayya a ajouté que les policiers sont revenus le lendemain soir, ont encerclé la maison, martelé la porte avec leurs gourdins, puis frappé à la tête avec une matraque en métal sa sœur Waara, 47 ans, lui causant des saignements. Depuis lors et au moins jusqu’au 3 décembre, jour où Human Rights Watch a interrogé Sultana Khayya, la police est restée devant la maison, empêchant les membres de la famille de sortir et les visiteurs, y compris les proches, d’entrer.
Le 15 novembre vers 5 heures du matin, une vingtaine de policiers en civil ont pénétré dans une maison de Laâyoune, ont sorti de son lit Ahmed El Karkar, un homme de 19 ans atteint d’un handicap mental, et l’ont arrêté. Il a ensuite été accusé d’avoir dressé des obstacles routiers ainsi que d’avoir insulté et agressé un agent de police lors d’une confrontation entre manifestants et policiers à Laâyoune, deux jours plus tôt.
La mère d’El Karkar a déclaré à Human Rights Watch qu’Ahmed était à la maison pendant cette confrontation. Le 12 décembre, un tribunal l’a condamné à dix mois de prison. Son avocat a informé Human Rights Watch que le tribunal avait rejeté sa requête d’examen médical pour prouver le handicap mental de son client. El Karkar est aujourd’hui à la prison Lakhal de Laayoune, en attendant son procès en appel.
Une activiste sahraouie, Nezha Khalidi, a déclaré à Human Rights Watch que l’après-midi du 21 novembre, quelques heures avant la cérémonie prévue pour célébrer son mariage avec Ahmed Ettanji, activiste sahraoui lui aussi, la police a encerclé et bloqué trois maisons appartenant à des parents des deux fiancés, coupé l’électricité dans l’une d’elles, et interdit à tous les occupants de quitter ces maisons, empêchant de fait la famille de se rassembler pour célébrer le mariage.
Le mariage a été annulé, et les maisons sont restées sous surveillance policière depuis, a déclaré Khalidi à Human Rights Watch le 10 décembre. Elle a précisé que cet assaut de la police ne répondait à aucune provocation, et que le mariage devait être un événement familial privé. Khalidi comme Ettanji font partie d’Équipe Média, un collectif d’activistes Sahraouis qui se sert des médias sociaux pour contourner la censure du Maroc et documenter la répression. Ses membres sont régulièrement harcelés par les autorités.
Les autorités marocaines font systématiquement obstruction au travail des associations qui plaident pour l’autodétermination au Sahara occidental. Le 29 septembre, en réponse à la création de l’Instance sahraouie contre l’occupation marocaine, un nouveau groupe indépendantiste fondé entre autres par une activiste célèbre, Aminatou Haidar, un procureur de Laayoune a annoncé l’ouverture d’une enquête judiciaire pour « activités [visant à] port[er] atteinte à l’intégrité territoriale du Royaume ». Le même jour, la police a encerclé le domicile de six membres de ce nouveau groupe, dont Haidar. L’un d’eux a déclaré à Human Rights Watch le 5 octobre que des véhicules de police les suivaient dès qu’ils quittaient leurs maisons, quel qu’en soit le motif, et les empêchaient de recevoir des visites.
La plus grande partie du Sahara occidental est sous occupation du Maroc depuis que l’Espagne, l’ancien administrateur colonial du territoire, s’en est retirée en 1975. Le gouvernement considère qu’il s’agit d’un territoire marocain et refuse tout référendum d’autodétermination dont l’un des choix serait l’indépendance. Cette option était pourtant incluse dans le référendum sur lequel le Maroc et le Front Polisario s’étaient accordés, dans le cadre de l’accord de cessez-le-feu signé en 1991 sous l’égide de l’ONU – mais ce référendum ne s’est jamais tenu. Les Nations Unies ne reconnaissent pas l’annexion du Sahara occidental par le Maroc, et ont fait savoir que leur position demeurait « inchangée » malgré la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté marocaine sur le territoire.
Le Maroc a toujours refusé que le mandat de la mission des Nations Unies pour le maintien de la paix au Sahara occidental (MINURSO) soit élargie afin d’englober le suivi des droits humains. Human Rights Watch a appelé à un tel élargissement à plusieurs reprises, afin d’aligner cette mission sur la quasi-totalité des opérations modernes de maintien de la paix de l’ONU.
« Ni la reconnaissance américaine de la souveraineté marocaine, ni la répression du Maroc, ne peuvent ôter aux Sahraouis leur droit fondamental de s’opposer pacifiquement à l’administration du territoire par le Maroc », a conclu Eric Goldstein.