De nombreuses associations ont appelé à manifester ce mercredi à Paris en faveur des Sahraouis, alors qu’au Sahara occidental l’intervention des forces marocaines à Lâayoune a semé la panique au sein des populations. Plusieurs témoignages font état de nombreux morts, blessés et disparus, de pillages et de destruction des biens. La réunion de négociations entre le Maroc et le Front Polisario s’est achevée mardi soir à New York sans avancée certaine.
« La situation est désastreuse. On nous interdit de sortir de nos maisons. On détruit nos biens, nos commerces, nos maisons, nos véhicules. Nous ne pouvons pas bouger. » La voix de M.T., nous l’appellerons ainsi, tremblote. Il semble paniqué, et la mauvaise liaison téléphonique ne facilite pas l’entretien. Bientôt il n’y a plus de retour, il ne nous entend plus. Cependant, il poursuit son monologue entrecoupé par les grésillements du téléphone. « Les jeunes ont été brutalisés par les forces de sécurité marocaines. Plusieurs d’entre eux sont blessés ou portés disparus. S’il vous plaît, demandez à la communauté internationale de nous aider ».
Tous les témoignages recueillis par Afrik.com confirment la détresse de M.T. « Plusieurs maisons suspectées d’abriter des manifestants ont été attaquées. Mais le pire, ce sont les milices marocaines qui font le plus d’exactions. Ils sont escortés par la police qui les encourage à entrer dans les maisons et à tabasser les Sahraouis sans ménagement. Quand les hommes en tenue entrent dans une maison, ils demandent aux occupants s’ils sont des Sahraouis. Si la réponse est positive, ils leur interdisent de sortir ou se mettent à les tabasser », déclare Ghalia Djini, vice-présidente de l’Association sahraouie des victimes des violations graves commises par l’Etat du Maroc (ASVDH).
Des Marocains maltraités pour avoir secouru des blessés
Dans ce cafouillage, les Marocains qui seraient tentés de venir en aide aux blessés subiraient le même sort. « Lundi, un Marocain chauffeur de taxi a conduit des blessés à l’hôpital. A son retour, la police l’a battu en lui reprochant d’avoir aidé des Sahraouis. L’hôpital lui-même est encerclé. Par peur des représailles, plusieurs blessés dont certains ont encore des balles dans leurs corps refusent de s’y rendre par peur des représailles. Même la famille du jeune qui a été tué a été molestée à l’entrée de la morgue alors qu’elle voulait seulement voir son corps », explique un autre témoin.
Excédés par tant de violence, des jeunes Sahraouis sont sortis dans les rues lundi pour affronter les forces marocaines. Ils ont incendié des pneus et se sont attaqués à des institutions et à des banques. Une attitude que déplore Ghalia Djini, même si elle comprend la colère des jeunes.
Loin de ce théâtre surchauffé, l’inquiétude a gagné les rangs des militants de la cause sahraouie. « Nous sommes en état d’alerte maximale. Nous recevons sans cesse des photos de personnes blessées ou de biens détruits. Nous recevons également les appels de détresse des parents qui ont peur pour leurs enfants », affirme la française Régine Vilmont, responsable de l’association Les amis de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) et auteur du livre Avec les Sahraouis, une histoire solidaire de 1975 à nos jours.
Les négociations de New York n’ont rien rapporté
Mardi soir, alors que le cinquième round des négociations entre le Maroc et le Front Polisario tire à sa fin dans la banlieue de New York aux Etats-Unis, la situation est loin de s’être calmée au Sahara occidental. La veille, jour du début des pourparlers, secondée dans le ciel par des hélicoptères, les forces marocaines de sécurité ont entrepris de détruire un campement dit de « l’indépendance », dressé fin octobre dans le désert près de Laâyoune, la principale ville sahraouie. Près de 30 000 personnes s’y étaient installées, dans un rassemblement pacifique que n’a pas apprécié l’administration marocaine. Le bilan de cette opération varie selon les sources. Ce mercredi, les autorités marocaines ont annoncé la mort de deux personnes supplémentaires, portant à onze le nombre de personnes tuées – dont 10 parmi les forces de l’ordre. De son côté, le Front Polisario a annoncé mardi onze morts et 723 blessés sahraoui. Selon l’organisation, plus de 150 personnes seraient également portées disparues.
Les pourparlers de New York se sont achevés sans résultats probants. Le Maroc a continué de rejeter l’idée de référendum d’autodétermination que défend le Polisario. Chef de la délégation sahraouie et président du Parlement du Polisario, Khatri Addouh a toutefois reconnu que le fait d’avoir pu discuter était en soi « un succès ». Il a cependant dénoncé « la force d’occupation du Maroc » et appelé l’ONU à « protéger la population du Sahara occidental. » De son côté, le représentant du Maroc, le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération, Taib Fassi Fihri, a indiqué qu’il n’était « pas question d’imaginer un référendum » sur l’autodétermination du Sahara occidental. « Le référendum est derrière nous », a-t-il insisté. Représentant des Nations unies, Christopher Ross a expliqué que « des visites familiales seraient organisées par voie aérienne et ultérieurement par voie terrestre » pour les Sahraouis présents dans des camps de réfugiés, en l’occurrence en Algérie.
Manifestation à Paris
Pour Mohammed Beissat, Porte-parole du Front Polisario et chef du département Europe de cette organisation, le roi du Maroc est le seul responsable de la situation délétère qui prévaut au Sahara occidental. « Le Maroc est en train de compliquer la situation. La violence engendre la violence. Par son discours vicieux et peu tolérant de samedi, le roi Mohammed VI a fermé portes et fenêtres devant les chances de paix. Il a discrédité les Nations unies. » Mohammed Beissat pointe un doigt accusateur sur « certains Etats européens » qu’il accuse de passivité, voire de complicité à l’égard du Maroc.
Pour Régine Vilmont, la manifestation pacifique organisée par les Sahraouis, qui ont « quitté leurs maisons pour reprendre leur liberté dans des tentes installées en plein désert », constitue un tournant historique dans leur quête de dignité. Elle rappelle que c’est la troisième manifestation de grande envergure dans la région, depuis l’occupation marocaine en 1975. « Le roi du Maroc s’entête parce qu’il semble ne rien comprendre à la situation », déplore-t-elle.
Ce mercredi à Paris, plusieurs associations dont la Confédération général des travailleurs (CGT), le plus puissant syndicat français, le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié des peuples (MRAP) et des organisations de sahraouis vivant en France, ont appelé à manifester sur le parvis des droits de l’homme au Trocadéro.
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