Le soutien appuyé d’Emmanuel Macron à la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, exprimé le 29 octobre devant le Parlement marocain, a fait l’effet d’une onde de choc. Au-delà des engagements diplomatiques, ce volte-face diplomatique suscite des interrogations : les relations entre Paris et Rabat seraient-elles influencées par des pressions liées à l’affaire d’espionnage Pegasus ? En 2021, Le Monde et un consortium de médias internationaux révélaient que le téléphone de Macron et ceux de plusieurs ministres français avaient potentiellement été ciblés par les services marocains via un logiciel espion. Avec cette affaire en arrière-plan, certains observateurs estiment que le virage diplomatique de la France pourrait être motivé par des informations sensibles obtenues à son insu par le Maroc.
Un Président ébranlé face à l’espionnage
En 2021, l’affaire Pegasus avait secoué l’Élysée comme rarement une affaire d’espionnage n’a pu le faire. Emmanuel Macron, d’ordinaire imperturbable, se serait montré profondément touché lorsqu’il avait découvert que son numéro de téléphone, ainsi que ceux de son Premier ministre Édouard Philippe et de quatorze autres membres du gouvernement, figuraient parmi les cibles potentielles de surveillance des services marocains. « C’est la seule fois où je l’ai vu déstabilisé, blême« , rapportait à l’époque Closer en citant un de ses proches. Outré, Macron aurait qualifié Mohammed VI de « voyou« , selon le quotidien français Libération. Une réaction qui révèle l’ampleur de sa colère et qu’il aurait exprimé lors d’une confrontation téléphonique avec le roi du Maroc, auprès duquel il exigeait des explications, raconte le quotidien français qui précise que ce dernier aurait nié en bloc être à l’origine de ces écoutes.
La riposte judiciaire marocaine
En réponse aux accusations liées au Projet Pegasus, le Maroc avait alors engagé des poursuites en diffamation contre plusieurs médias français et organisations de défense des droits, dont Le Monde, Radio France, Mediapart, Forbidden Stories et Amnesty International. Rabat qualifiait les révélations de « mensongères et infondées« . Mais en mars 2022, le tribunal de Paris a jugé ces plaintes irrecevables, affirmant que le Maroc ne pouvait engager de poursuites en diffamation en tant qu’État étranger. La décision, qui s’appuyait sur la loi française de 1881 sur la liberté de la presse, a consolidé l’authenticité des révélations du consortium de journalistes et d’ONG.
Il faut rappeler qu’en juin 2022, l’affaire Pegasus avait déjà émergé en Espagne avec des accusations de surveillance téléphonique par le Maroc visant des personnalités espagnoles, notamment l’épouse du chef du gouvernement Pedro Sanchez. Selon plusieurs médias locaux, ces écoutes auraient pu influencer la décision de ce dernier de soutenir le plan marocain pour le Sahara occidental, un virage diplomatique majeur perçu comme un « catastrophe diplomatique » par la classe politique espagnole. Une interrogation qui revient aujourd’hui pour expliquer le revirement du Président français.
Un rapprochement économique controversé
Mais trois ans après l’affaire Pegasus, subitement ces tensions sont apaisées sur le dos de la réalité économique et du pillage à venir du Sahara occidental ! L’annonce des partenariats économiques entre la France et le Maroc lors de cette visite présidentielle illustre l’ampleur du rapprochement, avec près de dix milliards d’euros d’investissements prévus dans les infrastructures marocaines.
Ces accords touchent des secteurs stratégiques : le transport ferroviaire, avec la participation d’Alstom à la réalisation d’une ligne à grande vitesse Tanger-Marrakech ; l’énergie, via l’engagement de TotalEnergies dans le développement de l’hydrogène vert ; et les ressources hydriques, avec le projet de Veolia pour une usine de dessalement d’eau de mer, présentée comme la plus grande d’Afrique. Ces investissements massifs viennent pourtant en contradiction avec le récent arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 4 octobre 2024, qui annule deux accords commerciaux UE-Maroc incluant le Sahara occidental, rappelant le droit inaliénable des Sahraouis à consentir à l’exploitation de leurs ressources.
Une rupture avec les principes diplomatiques français
Le soutien de Macron à la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental marque une rupture historique avec la politique de neutralité traditionnelle de la France, et se heurte aux principes du droit international. Ce positionnement, qui a provoqué le rappel de l’ambassadeur algérien, soulève des questions cruciales sur l’avenir de la diplomatie française.
Le quotidien de référence Le Monde, pourtant proche d’Emmanuel Macron, n’est pas tendre sur ce choix diplomatique en écrivant « Paris n’a aucun intérêt à négliger l’Algérie, un partenaire essentiel, aussi bien sur le plan humain que dans les domaines migratoire, économique et sahélien, ni à tout miser sur le Maroc, un pays à la gouvernance parfois erratique, à l’oligarchie prédatrice, fragilisé tant par ses inégalités sociales abyssales ». Pourtant, la France semble prête à renoncer à ses engagements internationaux pour tout miser sur le Maroc dans sa stratégie africaine.
Cette volte-face illustre un tournant dans la politique étrangère française, où les valeurs et le droit semblent s’effacer au profit d’un réalisme politique parfois opaque. Alors que les critiques internationales se multiplient, la France pourrait se retrouver isolée et questionnée quant à son attachement à la souveraineté des peuples, un principe pourtant cher à sa diplomatie historique.