Lors de la récente visite d’Emmanuel Macron au Maroc, de nombreux accords ont été signés, marquant une étape importante dans la coopération économique entre les deux pays. Ce partenariat a débouché sur des contrats évalués à plus de 10 milliards d’euros pour les entreprises françaises en échange de l’appui de la France à la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. Mais ce partenariat, concentré sur les aspects économiques et géopolitiques, laisse en marge les questions identitaires et culturelles, comme la reconnaissance de la langue amazighe ou les aspirations légitimes du peuple Sahraoui.
Sahara occidental : un partenariat économique au détriment des Sahraouis
Le Sahara occidental, anciennement sous contrôle espagnol, est au cœur d’un conflit de souveraineté entre le Maroc et le Front Polisario, mouvement soutenant l’indépendance du territoire. Bien que les Nations Unies préconisent un référendum d’autodétermination pour la population sahraouie, celui-ci n’a jamais eu lieu. Depuis, le Maroc a investi le territoire, y exploitant activement les ressources naturelles, dont le phosphate et les richesses halieutiques, au grand bénéfice de son économie. La France, en soutenant cette revendication territoriale, renforce ainsi son partenariat avec le Maroc et ouvre la voie à des opportunités lucratives pour les entreprises françaises dans la région en dépit des injonctions du droit international qui considère le Sahara occidental comme un territoire qui doit être décolonisé.
Le sous-sol du Sahara occidental regorge de ressources convoitées, notamment de vastes gisements de phosphate, et les eaux côtières poissonneuses en font une zone de pêche importante. Toutefois, l’exploitation de ces ressources sans consultation des populations locales est dénoncée comme un « pillage organisé » par les militants sahraouis, qui appellent à une répartition plus équitable des bénéfices. Paradoxalement, le territoire est également en première ligne pour la transition énergétique, avec des projets de parcs solaires et éoliens qui commencent à émerger, mais dont les retombées profitent essentiellement au Maroc. Le 4 octobre 2024, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a pris deux arrêts qui font date pour annuler des contrats commerciaux signés entre l’Europe et le Maroc, justement au motif que ces contrats passaient outre les droits des Sahraouis sur les produits concernés issus de leurs terres.
Une langue millénaire marginalisée : l’amazigh au cœur des revendications identitaires
Alors que les accords franco-marocains renforcent un partenariat stratégique en matière économique, les questions culturelles, notamment la reconnaissance de la langue amazighe, demeurent largement absentes de l’agenda bilatéral. C’est un point de friction soulevé par de nombreuses ONG. L’amazigh, langue ancestrale des populations berbères d’Afrique du Nord, est pourtant un pilier identitaire important au Maghreb, et particulièrement au Maroc, où il est parlé par une grande partie de la population.
Présente au Maghreb bien avant l’arrivée des Arabes au VIIe siècle, la langue amazighe est porteuse d’une culture et d’une histoire millénaires. En 2011, le Maroc a officiellement reconnu l’amazigh comme langue nationale dans sa Constitution, un statut consolidé par une loi en 2019 pour en faire une langue officielle. Cependant, malgré cette reconnaissance formelle, l’amazigh peine à trouver sa place dans les politiques éducatives et culturelles, tant au Maroc qu’en France, où vit une diaspora amazighe importante.
En France, les ONG amazighes dénoncent la décision des ministres de l’Éducation des deux pays de promouvoir uniquement l’enseignement de l’arabe dans les programmes scolaires. « En omettant l’amazigh, les autorités privent de nombreux Franco-Marocains de l’accès à leur culture et identité ancestrales, renforçant ainsi leur déracinement », déclarent les associations dans leur communiqué. Cette absence est vécue comme une négation de la diversité culturelle du Maroc, où l’identité amazighe est pourtant reconnue comme un élément fondateur de la société marocaine.
L’enjeu de la reconnaissance culturelle et linguistique
La langue amazighe, dont les principales variantes sont le tarifit, le tamazight et le tachelhit, est une langue riche et complexe, transmise oralement à travers les siècles et progressivement standardisée dans l’écriture tifinagh.
Si l’amazigh est enseigné de manière limitée au Maroc, il reste absent des programmes éducatifs français, malgré le fait qu’il soit la langue maternelle d’une grande partie des citoyens d’origine marocaine vivant en France. En excluant l’amazigh, le partenariat éducatif franco-marocain néglige ainsi une composante essentielle de l’identité de nombreux Franco-Marocains et Franco-Amazighs.
Cette absence de reconnaissance suscite des inquiétudes parmi les associations, qui mettent en garde contre les risques de déracinement culturel. « En omettant de transmettre leur langue maternelle, on prive ces jeunes de leurs racines et on les rend plus vulnérables aux influences radicales », avertissent les ONG amazighes. Pour beaucoup, l’enseignement de l’amazigh représenterait une mesure de respect de la diversité culturelle, mais aussi un facteur de cohésion sociale pour les jeunes issus de la diaspora.
Un partenariat à rééquilibrer : entre économie et respect identitaire
Les récents accords entre la France et le Maroc témoignent d’une diplomatie française soucieuse de renforcer ses intérêts économiques dans une région stratégique. Cependant, pour que ce partenariat soit réellement équilibré et respectueux des populations concernées, il apparaît essentiel d’intégrer les dimensions culturelles et identitaires qui sont au cœur des revendications amazighes. En incluant la langue amazighe dans les discussions bilatérales, la France pourrait répondre aux aspirations de la communauté franco-amazighe, contribuant ainsi à la préservation de cette identité millénaire et à l’intégration harmonieuse des diasporas.
Alors que les ressources naturelles du Sahara occidental continuent d’alimenter les ambitions économiques des États, la question de la reconnaissance de la culture amazighe rappelle que la coopération franco-marocaine ne peut se limiter aux dimensions économiques.