Depuis près d’un demi-siècle, le Sahara occidental est au cœur d’un conflit qui oppose le royaume du Maroc au Front Polisario, représentant du peuple sahraoui. Ce territoire, considéré par l’ONU comme le dernier pays d’Afrique en attente de décolonisation, cristallise les tensions entre le droit international et les intérêts économiques. Alors que la Cour de Justice de l’Union européenne vient d’annuler deux accords commerciaux majeurs avec le Maroc pour non-respect du droit international, la question de l’autodétermination du peuple sahraoui reste plus que jamais d’actualité. Entre camps de réfugiés et exploitation des ressources, retour sur un conflit qui illustre les contradictions de la communauté internationale.
La question du Sahara occidental reste l’un des derniers grands dossiers de décolonisation au niveau mondial. En 1975, dans un contexte d’instabilité politique interne marqué par la mort de Francisco Franco, l’Espagne, alors puissance coloniale, a pris la décision de se retirer précipitamment de ce territoire. Ce retrait s’est fait au détriment du processus d’autodétermination, pourtant prévu par l’Organisation des Nations unies (ONU), et a ouvert la voie à l’occupation marocaine.
Le 6 novembre 1975, le Maroc organise la ‘Marche verte’, une opération mobilisant environ 350 000 civils marocains qui franchissent la frontière pour revendiquer la souveraineté du royaume sur le territoire. Cette manifestation de masse, orchestrée par le roi Hassan II, est considérée par la communauté internationale comme une stratégie d’annexion déguisée.
L’Espagne cède l’administration du territoire au Maroc et à la Mauritanie
Elle aboutit aux accords de Madrid du 14 novembre 1975, par lesquels l’Espagne cède l’administration du territoire au Maroc et à la Mauritanie dans un départ précipité, sans tenir compte du droit à l’autodétermination du peuple sahraoui. La Mauritanie se retirera en 1979, laissant le Maroc seul occupant du territoire.
Depuis, les aspirations du peuple sahraoui à décider librement de son avenir restent entravées
Le Sahara occidental est reconnu par l’ONU comme un territoire non autonome, dont le statut final doit être déterminé par un processus d’autodétermination. Ce principe a été réaffirmé récemment par Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères russe, qui a souligné que toute solution doit respecter « le choix libre et souverain du peuple sahraoui ». Cette position reflète la vision constante de la Russie, alignée sur les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies.
L’Europe et l’ONU aligné sur l’autodétermination et la décolonisation
Le 4 octobre 2024, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a marqué une position claire en annulant deux accords commerciaux entre l’UE et le Maroc qui incluaient illégalement les territoires sahraouis occupés (télécharger le document de la CJUE). Cette décision historique réaffirme le statut distinct du Sahara occidental et la nécessité d’obtenir le consentement du peuple sahraoui pour toute exploitation de ses ressources. Elle souligne l’alignement du droit européen avec la position de l’ONU sur la question de l’autodétermination.
En octobre 2024, le Conseil de sécurité a renouvelé le mandat de la MINURSO (Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental) jusqu’au 31 octobre 2025. Cet appui s’accompagne d’un plein soutien à Staffan De Mistura, envoyé personnel du Secrétaire général de l’ONU, chargé de faire avancer le processus politique.
Un processus de décolonisation inachevé
En Espagne, une conférence intitulée « La décolonisation inachevée du Sahara occidental » a pour objectif de mettre en lumière les enjeux historiques de cette question. Selon les universitaires Encarnación Lemus et Inmaculada Cordero, le retrait espagnol était motivé par la volonté de faciliter la transition démocratique tout en évitant un conflit colonial prolongé. Cependant, cette décision, influencée par des pressions internationales, a laissé le processus de décolonisation incomplet, créant une situation de blocage durable.
En ce sens, l’Espagne est critiquée pour ne pas avoir assumé ses responsabilités historiques envers le peuple sahraoui.
Les enjeux économiques au cœur du conflit
Le Sahara occidental possède des ressources naturelles considérables qui influencent les positions diplomatiques. Les phosphates de la mine de Bou Craa, les eaux poissonneuses de la côte atlantique, et le potentiel en énergies renouvelables représentent des enjeux économiques majeurs. Selon un rapport 2023 de la Commission européenne, les seules exportations vers l’UE ont atteint 590 millions d’euros en 2022, dont 504 millions provenant de la pêche.
Cette exploitation soulève des questions éthiques et juridiques. Le syndicat agricole espagnol COAG a notamment dénoncé l’existence de « gigas fermes » à Dakhla, contrôlées par un nombre restreint de groupes, dont certains liés directement au pouvoir marocain.
Cette situation illustre malheureusement la tension entre intérêts économiques et respect du droit international.
Environ 173 000 réfugiés sahraouis vivent dans des camps en Algérie, principalement près de Tindouf, depuis plus de quatre décennies. Ces camps dépendent largement de l’aide humanitaire internationale et du soutien constant de l’Algérie. Les conditions de vie y restent précaires, avec un accès limité à l’eau, à l’électricité et aux soins de santé. Cette situation humanitaire difficile contraste avec l’exploitation intensive des ressources de leur territoire d’origine.
Les défis diplomatiques et régionaux
Le Front Polisario, représentant légitime du peuple sahraoui, continue de dénoncer les tentatives marocaines de remettre en cause la légitimité du processus d’autodétermination. Le président sahraoui, Brahim Ghali, a réaffirmé récemment lors de la conférence annuelle des relations extérieures que la lutte sahraouie maintient son statut juridique international en tant que question de décolonisation.
Cette lutte bénéficie du soutien actif de l’Algérie, dont les positions de principe sur la question sahraouie sont claires. En outre, l’engagement algérien au Conseil de sécurité des Nations unies, notamment lors de sa présidence en janvier 2025, témoigne de son dévouement à promouvoir une solution pacifique et juste.
Chronologie des événements clés
- 1975 : Retrait de l’Espagne et occupation marocaine
- 6 novembre 1975 : Marche verte organisée par le Maroc
- 14 novembre 1975 : Accords de Madrid et retrait de l’Espagne
- 1991 : Création de la MINURSO
- 2024 (4 octobre) : Annulation par la CJUE des accords commerciaux UE-Maroc
- 2024 (juillet) : Position française favorable à la souveraineté marocaine
- 2025 : Renouvellement du mandat de la MINURSO
Perspectives et conclusion
L’année 2025 marquera un demi-siècle depuis l’occupation militaire marocaine du Sahara occidental. Ce triste anniversaire souligne l’urgence de résoudre ce conflit, qui demeure une plaie ouverte pour le peuple sahraoui et un test pour la communauté internationale.
La voie vers une solution juste passe inévitablement par le respect du droit à l’autodétermination. La MINURSO, bien que critiquée pour son inefficacité, reste un instrument essentiel. Cependant, seule une volonté politique forte des grandes puissances pourra réellement débloquer la situation.
Le Sahara occidental est bien plus qu’un conflit régional : il est le symbole d’une lutte universelle pour la justice et la liberté.