La Libye a annoncé, vendredi, l’érection d’une statue en hommage au dictateur Saddam Hussein et le président égyptien Hosni Moubarak l’a qualifié de « martyr ». L’occasion pour Afrik.com de revenir sur les réactions qu’a suscitées, sur le continent africain, l’exécution de l’ancien chef d’Etat irakien. Par delà la mort, le raïs continue de nourrir la polémique, largement entretenue par la diffusion des images de sa pendaison et de son enterrement.
La Jamahira Arabe libyenne construira une statue à l’effigie du dictateur irakien Saddam Hussein sur son gibet. Elle trônera, a-t-on appris vendredi, aux côtés du monument en la mémoire du héros nationaliste libyen Omar Moukhtar. Il avait été, lui aussi, pendu en 1931 pour avoir conduit l’insurrection contre les forces coloniales italiennes. Pour le président libyen, Mouammar Kadhafi, Saddam Hussein, en tant que prisonnier de guerre aurait dû être jugé par les «envahisseurs» qui l’ont arrêté, à savoir les Américains. Il a déclaré trois jours de deuil national à l’annonce de l’exécution, le 30 décembre dernier, de son ancien homologue irakien. La réaction libyenne est l’une des plus passionnées sur le continent. A l’exception, peut-être, des manifestions qui ont eu lieu, ces derniers jours, en Tunisie. La dernière en date, qui s’est déroulée vendredi après-midi, a été organisée par l’Union générale tunisienne du travail (UGTT). Plusieurs centaines de personnes ont pris part au rassemblement pour dénoncer la mise à mort de Saddam Hussein. « Par notre âme, notre sang, nous nous sacrifierons pour toi Saddam », scandaient-ils, portant des banderoles. On pouvait y lire « tu as vécu en héros, tu es mort en héros », « pas d’intérêts impérialistes en terre arabe » ou encore « honneur aux martyrs, gloire à la résistance, honte aux valets (arabes) ».
La Libye et les Tunisiens célèbrent un martyr
Si pour l’instant, rien n’indique que le mouvement se propagera à d’autres pays africains, il n’en demeure pas moins que l’exécution de Saddam Hussein a provoqué de vives réactions dans le monde musulman en Afrique. Une émotion qui ne semble pas être liée au fait qu’il soit à majorité sunnite, groupe – minoritaire en Irak – auquel appartenait Saddam Hussein. Certains regrettent que la pendaison de l’ancien président irakien ait eu le jour de l’Aïd, alors que d’autres déplorent un procès et une exécution hâtifs. « Personne n’oubliera les circonstances dans lesquelles Saddam a été exécuté. Ils en ont fait un martyr », a affirmé Hosni Moubarak, le président égyptien qui s’exprimait pour la première fois sur la question dans un entretien publié, ce vendredi, dans le quotidien israélien Yédiot Aharonot. « J’ai adressé un message au président (américain) George W. Bush pour lui dire qu’il ne fallait pas faire cela justement au premier jour de l’Aïd, car cela le transformerait en martyr », a-t-il poursuivi.
Le Chef d’Etat réaffirmait ainsi les propos tenus par Ahmed Abou El-Gheit, son ministère des Affaires étrangères, samedi dernier. Il avait ainsi regretté « que les autorités irakiennes aient appliqué le jugement contre l’ancien président irakien Saddam Hussein et que cela ait eu lieu le premier jour de l’Aïd al-Adha ». Même son de cloche pour son homologue tunisien, M. Ben Yahia, qui « considère que l’application de cette sentence » est une « grave atteinte aux sentiments des peuples musulmans, au moment où ils célèbrent une fête religieuse sacrée ». L’Algérie déplore, quant à elle, la pendaison de Saddam Hussein un jour « dont l’esprit originel, évocateur de sacrifices, s’est sublimé dans les valeurs du pardon, de la clémence et de la générosité pour tout le monde arabo-musulman ».
Les juges de Saddam Hussein auraient dû respecter la trêve de l’Aid
Les autorités algériennes notent également que « la culpabilité du raïs a été établie par un jugement des hommes dans des circonstances et dans un contexte faisant l’objet d’appréciations antagonistes et de positions polarisées ». La Somalie est allée plus loin, au lendemain de l’exécution, estimant par la voix d’Ali Karti, secrétaire d’Etat soudanais aux Affaires étrangères, que le procès de Saddam Hussein a été « expéditif et orchestré par les Américains ». Moins virulent, le Maroc, à l’instar de plusieurs pays du monde arabe, a mis l’accent sur « la nécessaire réconciliation et concorde entre les différentes composantes de la nation irakienne, appelées à vivre dans la paix ». Le Sénégal s’est distingué dans ce malstrom de réactions. Il a réagi moins en pays musulman qu’en Etat ayant aboli la peine de mort. Le ministre sénégalais des Affaires étrangères, Cheikh Tidiane Gadio, a ainsi fait savoir que son pays ne pouvait « que regretter la condamnation à mort et l’exécution de Saddam Hussein ».
Pour les chiites irakiens, le raïs a eu la mort « qu’il méritait » car il aura été jugé et reconnu coupable de crimes contre l’humanité pour le massacre, en juillet 1982, de 148 des leurs dans le village de Doudjaïl, au nord de Bagdad, la capitale irakienne. Les Kurdes, l’autre groupe majoritaire du pays, n’auront pas, eux, eu l’occasion de faire le deuil du génocide dont ils ont été victimes. Le décès de l’ancien dirigeant irakien met en effet un terme définitif aux poursuites contre lui dans le procès pour génocide lors des campagnes militaires d’Anfal au Kurdistan, en 1987 et 1988, pendant lesquelles 180 000 Kurdes ont été assassinés.
Un procès inéquitable qui soulève la polémique
Pour l’heure, les deux co-accusés de Saddam Hussein, Barzan al-Tikriti, le frère de Saddam, et Awad al-Bandar, sont en sursis grâce à la pression internationale. Alors que les autorités irakiennes viennent d’interpeller, à Bagdad, deux gardes du ministère de la Justice irakien, les auteurs des images non autorisées de la pendaison du raïs. D’autres images, cette fois-ci, de l’enterrement du dictateur qui a eu lieu le 31 décembre dernier dans son village natal d’Aouja, à proximité de la ville de Tikrit (bastion sunnite), circulent également.
De 1979 à 2003, Saddam Hussein a régné en maître absolu sur son pays. Les dernières images de lui, vivant , montrent un homme qui n’a pas perdu de sa superbe et qui vit ses derniers instants avec dignité. Contrairement à certains de ses bourreaux. Pour beaucoup de musulmans, comme l’a expliqué Hosni Moubarak, Saddam risque de finir en « martyr » en dépit des heures sombres que les Irakiens ont connu sous son régime.