Impossibles à chiffrer exactement, les faux permis de conduire sont légions au Cameroun. Des circuits se sont structurés en 2000 après la réforme du système obligeant les candidats à passer par une auto-école. Les vrais faux documents nécessitent des complicités administratives et développent un système qui appartient désormais à la norme.
Comment décrocher son permis de conduire sans jamais avoir touché un volant de sa vie ? Rien de plus simple au Cameroun : il vous suffit de l’acheter. Un phénomène courant qui a pris une nouvelle ampleur depuis l’instauration, en 2000, des auto-écoles obligatoires. Les documents, tout à fait authentiques, seraient réalisés avec la complicité de l’administration compétante : le ministère des Transports.
Les faux sont des vrais, puisqu’ils bénéficient du tampon et de la signature officiels des autorités. Il vous faudra 30 000 F CFA pour valider directement votre permis – que vous aurez en seulement deux jours – ou 70 000 F CFA si vous souhaitez passer par la procédure classique pour plus de sécurité. Le délai d’attente sera alors de deux semaines. Contre deux mois en moyenne dans une auto-école, une ardoise de 90 000 F CFA et bien sûr le risque de passer pour un » boutoukou » (l’équivalent du » gaou » ivoirien : un nigaud), à Douala ou à Yaoundé.
Corruption légale
» Les gens achètent le permis parce qu’ils estiment qu’ils n’ont pas le temps de le passer « , explique Christian de Yaoundé, lui-même détenteur d’un faux permis. » J’ai payé le mien 70 000 F CFA. Avec ça je suis tranquille, on ne pourra jamais me prendre en défaut. S’ils (la police, ndlr) vérifient mon permis, ils s’apercevront que j’ai suivi toute la procédure et que j’ai des papiers prouvant que je suis passé par une auto-école. Ce qui n’aurait pas été le cas si j’avais simplement déboursé 25 ou 30 000 CFA. » Un témoignage qui incrimine directement les agents de l’Etat pour qui, évidemment, le discours est tout autre.
» La réglementation prévoit que personne ne peut avoir de permis sans avoir été à l’auto-école. Un faux permis ne peut pas être délivré par le ministère des Transports. Il s’agit de l’oeuvre de faussaires qui font de faux cachets et imitent les signatures. On ne peut pas exclure des complicités à l’intérieur du ministère mais cela demande confirmation. Qu’on m’en apporte les preuves. Certaines personnes nous accusent mais elles ne sont jamais en mesure de nous fournir des preuves », explique Josué Youmba, directeur des transports terrestres au ministère des Transports.
60% de faux
» Plus personne ne se risquerait à falsifier le permis. C’est le délégué provincial des transports (du ministère des Transport) qui a l’autorité finale sur tous les dossiers. Il s’agit simplement de trouver un petit arrangement « . Pour Christophe la situation n’a rien de plus banale. A l’issue d’un programme d’assainissement de la filière taxi dans le pays, les autorités avaient admis que 60% des permis de conduire étaient des » faux « . Leur détenteurs n’avaient jamais mis les pieds dans une auto-école. » Il s’agissait d’un moment précis, une opération spéciale « , rappelle Josué Youmba. » Mais il est difficile d’identifier des réseaux, car personne ne vous dira où il a eu son permis « , poursuit-il. Il rapporte également que la lutte contre les faux permis » n’est pas du ressort de son ministère mais de celui de la police et de la gendarmerie « .
Avant la réforme de 2000, les auto-écoles existaient dans le pays mais n’étaient pas obligatoires. Les candidats se présentaient simplement en candidat libre à l’examen du code ainsi qu’à la conduite. » Les personnes s’entraînaient, avec des amis, autour du stade omnisport Ahmadou Ahidjo (Yaoundé, ndlr), pour apprendre les pédales et se familiariser avec les vitesses et le volant « , se souvient Christophe.
Un remède pire que le mal
» Nous avons instauré l’obligation des auto-écoles en 2000 pour que les Camerounais apprennent à conduire. La réforme a ainsi créé un jury, un programme de formation agréé pour les moniteurs auto-écoles (le Certificat d’aptitude professionnelle à l’enseignement de la conduite automobile, ndlr), une Commission spéciale de suspension et de retrait de permis et un système de contrôle des auto-écoles pour voir si elles correspondent aux normes d’équipement et de formation « , explique le directeur des transports terrestres.
Mais la parade a été vite trouvée. Devenu plus contraignant, le permis de conduire a donné lieu à un développement de réseaux parallèles. Malgré l’absence de chiffres précis, il semble que le phénomène ait atteint des proportions inquiétantes. A tel point qu’il s’érige aujourd’hui comme une norme et rend complètement caduque une initiative gouvernementale qui entendait au départ améliorer la sécurité routière. Reste qu’il n’y a pour l’heure aucune politique concrète de lutte contre les « faux permis » au Cameroun. Un zéro de conduite qui arrange sans doute beaucoup de monde…