Comment ramener et préserver la paix au sein de la société rwandaise ? C’est une problématique à laquelle se consacre l’association Umuseke et sa fondatrice, Jaqueline Uwimana. Elles guident les jeunes de 10 à 20 ans sur le sentier de la paix.
Les femmes, toujours, les enfants désormais. Jacqueline Uwimana, coordinatrice et fondatrice de l’Association pour la promotion de l’éducation à la paix, Umuseke (« aurore », « espoir » en kinyarwanda, langue usuelle au Rwanda) pourrait en faire un leitmotiv depuis le génocide de 1994. « Ce qui nous ait arrivé est inadmissible, affirme la Rwandaise en l’évoquant. Je ne sais pas comment le cerveau humain fonctionne. Mais ce drame est aussi dû à l’ignorance et à la pauvreté. Les gens se disent : « Si je tue un voisin qui est plus riche que moi, je pourrai m’emparer de ses biens ». En renforçant le système de pensée, en osant parler des différences, on se rendra compte qu’on est complémentaires. C’est ce qui va permettre de reconstruire le Rwanda. La paix est difficile, mais elle est indissociable du développement. Sinon, l’un casse l’autre ».
Pas de fatalité
Modifier la donne, une aptitude perceptible dans l’enfance de
dame Uwimana, originaire de l’Est du Rwanda, d’Umutara, « la plus belle région du Rwanda », selon elle. La benjamine de sept enfants, qui affirmait haut et fort qu’elle ne ferait pas comme sa mère qu’elle voyait s’échiner à piler le sorgho notamment, reconnaît qu’elle était « difficile ». « Je faisais les tâches ménagères mais je me disais que je ne ferai pas ça toute ma vie. Ma mère n’était pas contente de moi et elle me demandait ce que j’allais faire. Je répondais : « Peut-être que je n’aurai pas de mari, j’irai à la ville » ». Pour éviter d’hériter du même destin que sa mère, Jacqueline se fait un devoir de quitter la campagne qu’elle associe à cette situation. « Je pense que je n’étais pas intelligente mais comme j’étais convaincue que je m’en sortirais pas si je n’allais pas à l’école, je travaillais beaucoup. Je faisais mes devoirs avant de rentrer à la maison parce que les tâches ménagères m’y attendaient. Je m’asseyais sur la piste et me faisais aider par tous les passants. Mes aînés s’en souviennent encore », se remémore-t-elle, sourire aux lèvres. La jeune fille veut devenir infirmière mais la religieuse qui dirige l’établissement secondaire qu’elle fréquente lui conseille de devenir assistante sociale à la fin de ses études. Un conseil qu’elle suit. Cependant, « être dans la misère et ne pas y répondre », c’est une frustration pour l’assistante sociale qui travaille en milieu carcéral. Elle se tourne alors vers l’éducation et se spécialise dans le développement communautaire, en profite aussi pour devenir commerçante. Sa vie changera radicalement après le génocide : elle travaille avec Médecins du monde et apprend l’existence d’une association grenobloise qui la forme à l’éducation à la paix. Le projet « Vers la citoyenneté avec le Sentier de la Paix », dont elle a adapté certains outils aux spécificités rwandaises, voit le jour en 2000 et l’association basée à Kigali qui le porte, Umuseke, sera reconnue cinq ans plus tard par l’Etat rwandais.
Le pays de Jacqueline Uwimana a basculé et son engagement sociétal a pris une autre direction. « Avant, raconte-t-elle, je militais dans les associations de femmes parce que je trouvais injuste, qu’avec tous les efforts qu’elles fournissent, elles ne bénéficient pas de l’usufruit de leur travail. J’ai été ainsi membre d’associations de femmes entrepreneurs, de promotion de la femme. Et puis en 1994, je me suis dit qu’avec la guerre, tout se perd. A l’exception de l’éducation qui est une constante. Il fallait donc renforcer l’éducation pour permettre un changement de comportement, éduquer à la citoyenneté, pas celle qui se limite à un pays, mais à la communauté des hommes. Dans ma langue, on parle d’éducation à l’intégrité ».
«On donne le micro à l’enfant et l’enfant peut dire non»
La mission d’Umuseke Rwanda, lauréate du concours Harubuntu des porteurs d’espoirs et des créateurs de richesses dans la catégorie société civile en 2009 : « Promouvoir une culture de paix dès le jeune âge ». Ses moyens : « Le Sentier de la Paix ». Les outils de ce programme utilisés dans les écoles et les centres des jeunes qui, convaincus par la démarche d’Umuseke, mettent à sa disposition une heure ou 45 minutes du temps des élèves pour leur permettre de suivre le parcours « Vers la Citoyenneté avec le Sentier de la Paix » sur une base hebdomadaire où extrascolaire. La décision appartient aux enseignants. Umuseke est formée par un noyau dur de trois éducateurs qui forment une quinzaine de formateurs qui enseignent, à leur tour, dans tout le pays et même au-delà. Une trentaine d’enseignants reçoivent ainsi chaque année une formation. « Si au début, l’association est allée vers eux, maintenant ce sont les établissements qui sont en demande », affirme Jacqueline Uwimana.
Les participants au projet du Sentier de la paix, quant à eux, ont en principe entre 10 et 20 ans. « Tous les enfants scolarisés dans les deux dernières années du primaire et les deux premières années du secondaire peuvent suivre le parcours. La majorité des élèves ont entre 12 et 15 ans ». Pour répondre à une forte demande, jusqu’à une cinquantaine d’enfants peuvent suivent un atelier, mais le nombre n’est pas préjudiciable à l’enseignement des enfants. « Les ateliers donnent place à l’observation personnelle, à l’incitation à la coopération et à l’échange, et enfin à l’expression, précise la responsable d’Umuseke Avec les situations et les thèmes illustrés par les images, les enfants sont amenés à réfléchir sur ce qu’ils ont vécu de semblable, sur ce qu’ils voient, qu’ils ont fait ou pas fait et sur ce qu’ils peuvent faire. Ce dernier point correspond à l’engagement. »
Des enfants érigés en exemple pour leurs aînés
Par an, entre 4 500 et 5 000 enfants sont formés par l’association. « On aurait aimé que cet enseignement soit intégré dans le programme de l’Education nationale afin qu’il touche le plus grand nombre. Mais en même temps, il est bienvenu que les actions de la société civile soient complémentaires de celles menées par l’Etat parce que si l’Etat s’en occupe, cela deviendra une classe normale. A contrario de notre démarche qui est plus participative. On donne le micro à l’enfant et l’enfant peut dire non. Car l’enseignant n’a pas toujours raison. On apprend aux enfants à exprimer leur désaccord », explique Jacqueline Uwimana. Et cette remise en question de l’autorité des adultes, surtout dans les sociétés africaines ne plaît pas toujours aux parents. « Au début, ils n’aimaient pas trop. « Vous leur donnez la permission de nous critiquer et de revendiquer leurs droits », nous reprochaient-ils. Mais après, ils sont conquis par le projet, explique la coordinatrice de l’association Umuseke. Car ils se rendent compte que leurs enfants deviennent plus autonomes et plus responsables. Ce qui rejaillit sur toute la famille. » Jacqueline Uwimana garde en la matière un souvenir ému d’une rencontre fortuite avec un manuel distribué aux jeunes par son association sur le chemin de l’une de ses formations. « Avant d’arriver à destination, nous avons rencontré des femmes qui travaillaient sur la route. L’une d’entre elles avait un de nos livrets d’animation. Je lui ai demandé comment elle se l’était procuré et elle m’a répondu qu’il était à son fils. La dame avait apporté le manuel sur son lieu de travail parce qu’il y avait des préjugés. Selon elle, ce document était un bon moyen d’apprendre à les dépasser. J’ai aimé me rendre compte que les parents apprenaient aussi grâce à leurs enfants et à Umuseke. »
Pour sa structure, Jacqueline Uwimana rêve d’un centre de ressources, à la fois local et international, mais surtout d’améliorer les programmes afin de permettre à la jeune génération de devenir de véritables citoyens de la paix. La clé selon Jacqueline Uwimana: « Dépasser nos peurs parce que nous avons peur les uns des autres. Quand on est en paix avec soi-même, on fait ce qu’on doit faire ».
Consulter:
Le site d’Umuseke.