La Commission nationale rwandaise de lutte contre le sida vient de présenter sa Politique nationale du condom. Objectif : faire du préservatif un partenaire incontournable de la lutte contre le sida. Une initiative saluée par certaines associations, pour peu qu’elle parvienne à toucher ceux qui en ont le plus besoin, à savoir les jeunes.
Le Rwanda fait la promotion du préservatif pour lutter contre le sida. La Commission nationale de lutte contre le sida (CNLS) a présenté, le 17 janvier dernier, sa Politique nationale du condom. Ce document qui régira les actions de prévention de la pandémie devrait être voté par le parlement. C’est une première dans ce pays, où la contamination par le sida a été utilisée comme arme par les génocidaires infectés en 1994. « Ce qui nous a poussé à mettre en place cette politique, c’est le fait que qu’elle n’existait pas avant, alors que la prévention du sida par le préservatif est capitale. Nous voudrions aussi que le préservatif soit intégré dans la lutte contre les infections sexuellement transmissibles et les grossesses non désirées », explique le Docteur Kitoko Mbuguje, responsable de la mobilisation sociale au CNLS.
Le préservatif n’a pas la cote
Le CNLS indique que 3% de la population est officiellement atteinte par le virus VIH. Une répartition qui diffère grandement entre les zones urbaines et rurales : « La séroprévalence est de 7,3% en milieu urbain et 2,2% en milieu rural », précise le Dr Kitoko Mbuguje. Pourtant, les Rwandais ne raffolent pas du condom. « Chaque année, l’usage s’accroît, mais les Rwandais n’utilisent pas encore assez le préservatif, alors que ce dernier se trouve à la croisée de plusieurs objectifs de santé et de développement », souligne le Docteur Agnès Binagwaho, secrétaire exécutive de la CNLS, dont les propos sont rapportés par le site Afrique Centrale.info. Une enquête réalisée par le CNLS en 2005 conclut que « l’usage du préservatif n’est pas très régulier » dans la population et annonce que seulement 45% des Rwandais âgés entre 15 et 49 ans ont déjà utilisé le condom au moins une fois.
« Il y a beaucoup de raisons pour expliquer le fait que le préservatif ne soit utilisé que par une très petite population. Il y a tout d’abord la disponibilité. On ne trouve pas des préservatifs dans tous les coins. Au Rwanda, la plus petite division administrative s’appelle la cellule. Dans ces cellules, les condoms sont disponibles à hauteurs de 55%, contre 90% dans les milieux urbains. Il y a aussi la barrière sociale, le stigma : quelqu’un qui va acheter un condom est suspecté de mœurs légères parce que cela connote qu’il va avoir des rapports sexuels. Donc les gens se cachent. C’est encore pire pour les femmes », commente le Dr Kitoko Mbuguje.
L’abstinence et la fidélité d’abord
Un phénomène que connaît bien la Ligue universitaire contre le sida (Lucs), qui a « précédé le programme du gouvernement ». « Nous avons commencé il y a longtemps à donner des préservatifs aux étudiants et au personnel. Nous essayons de nous adapter à la population, c’est pourquoi nous avons étudié où les placer. Comme les gens ont peur d’en acheter dans les pharmacies ou les autres points de vente, nous avons disposé une dizaine de grosses boîtes dans les halls ou les toilettes de l’Université (nationale du Rwanda) », raconte André Musemakweri, président de la Lucs, soulignant que des cours sur le sida sont obligatoires pour les premières années.
Car les autorités et la population ne veulent pas entendre parler de relations sexuelles avant le mariage. Les piliers de prévention du VIH sur lesquels s’appuie le gouvernement sont en effet : l’éducation, l’abstinence et la fidélité et en dernier lieu, seulement, le préservatif. N’est-ce pas un peu contradictoire de promouvoir l’abstinence d’un côté et l’usage du condom de l’autre ? « Ce n’est pas tellement contradictoire. Nous essayons de mettre en avant l’abstinence d’abord pour les non-mariés et la fidélité pour les mariés. C’est seulement si les gens ne parviennent pas à respecter cela que nous les encourageons à porter un préservatif. Nos populations sont conservatrices et très croyantes (90% de catholiques et protestants). Donc nous ne pouvons pas seulement promouvoir le condom », confie le Dr Kitoko Mbuguje.
« Il faut décentraliser la disponibilité des préservatifs »
Si les églises ne font pas la promotion du préservatif, elles ne s’érigent en revanche pas contre. Ils sont d’ailleurs inclus dans la lutte contre la pandémie. La politique prévoit « la promotion de l’usage correct et constant du préservatif et la lutte contre les barrières culturelles et religieuses à l’usage du préservatif » et « des séances d’information pour les religieux, le renforcement des actions dans les prisons, dans les camps de réfugiés, auprès des prostituées », détaille Agnès Binagwaho, de la CNLS. Qui poursuit : « Jusqu’à récemment, les milieux ecclésiastiques étaient contre l’utilisation du préservatif; aujourd’hui, même s’ils sont encore loin de faire sa promotion, ils ne le combattent plus, ce qui est déjà un pas ». « Les églises sont tolérantes. C’est acquis. Elles ne disent pas que faire la promotion du préservatif n’est pas une bonne chose ou qu’elle favorise le vagabondage sexuel. Chacun sensibilise à son niveau : l’église est excellente pour prêcher la fidélité et l’abstinence et, nous, nous sommes spécialisés dans l’usage du préservatif, qui fait partie du package de prévention et qui apparaît comme étant le moyen le plus facile de se protéger quand on ne peut pas pratiquer l’abstinence ou la fidélité », analyse André Musemakweri, de la Lucs.
Le CNLS estime qu’il lui faut 20 millions de préservatifs pour son plan de 2006. Ce sont les organisations Population services international et UNFPA (Fonds des Nations Unies pour la population) qui assurent en temps normal l’approvisionnement. Les autorités agiront avec leurs « partenaires privilégiés, comme le UNFPA, KFW (une organisation allemande) ou USAIDS (Programme commun des Nations Unies sur le VIH/SIDA, ndlr) », ajoute Dr Kitoko Mbuguje. Pour que l’impact de cette nouvelle politique soit véritable, André Musemakweri préconise la « décentralisation de la disponibilité des préservatifs jusque dans les campagnes. Il faut que les préservatifs soient disponibles partout et dans des endroits assez discrets ».
Les femmes pas fans du préservatif féminin
Pour l’Association des veuves du génocide (Avega), qui s’occupent notamment de femmes infectées par le VIH lors des massacres, « cette campagne est très importante ». « Lors d’une étude que nous avons menée sur 1 250 femmes d’une province, 70% étaient malades. Parce que certaines d’entre elles ont perdu leur mari à 25 ans, elles peuvent avoir une autre relation, même si ce n’est pas leur souci primordial. Dans ce cas, il faut qu’elles osent dire qu’elles sont infectées et que leur partenaire doit porter un préservatif. Cette campagne est aussi très importante pour les jeunes, qui doivent savoir qu’il faut se protéger lors des rapports », remarque Auréa Kayiganwa, secrétaire exécutive d’Avega.
Le gouvernement rwandais met principalement l’accent sur le préservatif masculin. « Il y a très peu de préservatifs féminin dans le pays. Nous essayons de mettre l’accent sur cette politique, mais les femmes ne trouvent pas ce préservatif pratique. Mais nous allons essayer d’en mettre à leur disposition », explique le Dr Kitoko Mbuguje. Un aspect qu’il faudra sans doute prendre en compte dans le volet éducation.