Rwanda: Le discours pharisien et captieux du cardinal Kambanda


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Le cardinal Antoine Kambanda
Le cardinal Antoine Kambanda

Les mots sont le miroir du cœur et sont aussi le reflet de nos pensées(1). Ils peuvent tout autant sauver que tuer les vies humaines. Ainsi, il est des propos qui passent peu ou pas selon leur gravité, de surcroit tenus par un haut dignitaire ecclésiastique. Les propos étranges du Cardinal Kambanda, tenus à Musha le 19/06/2024, provoquent un véritable tollé et un déchainement sur les réseaux sociaux. Oh quel dommage pour les médias étrangers qui n’ont pas d’accès instantané à la langue et à la codification rwandaise!

Avant d’analyser le discours du prélat, je vous propose une traduction d’un passage qui a  mis de l’huile sur le feu :

« Depuis les 30 dernières années, nous devons, en particulier cette année, rendre grâce à Dieu avec tous les Rwandais du pays. Les historiens qui analysent notre passé tragique, nous montrent que c’est la première fois, au cours des 30 dernières années, qu’aucun Rwandais n’a fui le pays, aucun Rwandais n’a été assassiné, aucune habitation n’a été injustement détruite, aucun Rwandais n’a été malmené ». C’est un événement important, de cette année, auquel nous rendons hommage et pour lequel nous rendons grâce à Dieu… » (2).

Propos captieux et « pharisiens »

Ces propos sont d’une implacable captiosité, intelligiblement préméditée.  Pour accréditer ses propos, le prélat feint de s’inspirer des sources historiques, totalement fictives. On sait qu’à ce jour, aucun historien ne s’est moqué à ce point de la souffrance des Rwandais,  pourchassés par les autorités de Kigali jusqu’aux pays de refuge (cf. L’enquête récente « Rwanda  classified »).

On  n’imagine pas que ce grand homme d’Eglise ne soit pas au courant des accusations vérifiées, portées contre le Rwanda en matière de respect des droits humains. Ses paroles décalées de la réalité, angélisent le Rwanda qu’il présente comme un véritable paradis.  Or, pour certains, c’est l’enfer terrestre. Le quartier de Kangondo (diocèse de Kigali) qui a assisté impuissamment à la démolition spectaculaire de ses  habitations, sans compensation, admirera amèrement les propos de leur archevêque coiffé de calotte rouge.

« Scier la branche sur laquelle on est assis »

Cette expression bien connue en langue rwandaise « gutema ishami uryicayeho », signifie « Supprimer ou affaiblir un soutien indispensable, se faire du tort à soi-même » ou encore « se tirer une balle dans le pied ».

A qui profitent réellement les échos d’un tel discours, prononcé par son Eminence? L’Eglise et ses patriarches n’ont-ils pas pour mission première  de  dénoncer l’injustice, plaider la cause des personnes vulnérables  (les refugiés, les pauvres, les malades, les veuves et les orphelins) ?

Dans l’histoire du christianisme, l’Eglise a si souvent confondu ses missions avec celles du politique. La hiérarchie cléricale très proche des souverains affectionnait de fréquenter les couloirs des palais pour la gloire  et les honneurs mondains !

Pour mémoire, l’Eglise française a lourdement payé pendant la révolution pour  cette fusion. Celle du Rwanda n’a pas été épargnée, non plus, après le génocide de 1994. Certains membres de son clergé en ont payé très cher, accusés d’avoir entretenu des liens de complicité avec le pouvoir de l’époque.

Aujourd’hui, l’Eglise du Rwanda est critiquée pour son mutisme et son manque de courage pour dénoncer les différentes formes d’injustices qui frappent de plein fouet une bonne partie de Rwandais. Le discours « politique » du cardinal, tenu habituellement par  les ténors du régime de Kigali, confirme une nouvelle fois, la fusion (Eglise-Etat) et la confusion de rôles, dignes d’une Eglise à l’envers !

Toutefois, il n’est jamais tard pour redresser le tir,  clarifier le contexte et demander pardon si nécessaire. Son Eglise ne nous a-t-elle pas enseignés : « Dieu pardonne gratuitement les péchés de celui qui regrette sa faute et demande à en être libéré ? ».

  • Référence au livre «  Le pouvoir des mots » de Jacques MARTEL, 2011
  • Propos du cardinal en langue rwandaise :

“uyu mwaka  rero mu myaka 30 ishize, ni umwaka,  hamwe n’abandi mu Rwanda, n’abandi Banyarwanda b’igihugu, tugomba gushimira Imana.  Abanyamateka basubiza inyuma bagasesengura, batwereka ko ni bwo bwa mbere muri aya mateka mabi y’u Rwanda,   tumaze  myaka mirongo 30 nta muntu uhunga, nta muntu wicwa, nta muntu usenyerwa, nta muntu ubundabunda ku buryo ari umwaka dufite ikintu  gikomeye, twibukaho kandi dushimira Imana “.

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