La suppression de la peine capitale au Rwanda fait actuellement l’objet d’un débat assez houleux dans le pays. Le gouvernement, soucieux de répondre aux attentes du Tribunal pénal international, doit faire face à une opinion publique divisée et encore empreinte des traumatismes du génocide…
Par Vitraulle Mboungou
Le Rwanda doit-il abolir la peine capitale ? La question est actuellement en débat et le nombre impressionnant des condamnés à mort en est la principale raison. Selon Maela Bégot, sociologue française partie enquêter dans les couloirs de la mort rwandais pour le collectif Ensemble contre la peine de mort (ECPM), « 1492 d’entre eux attendent dans les prisons surchargées du pays sans trop savoir quel sera leur sort. La majorité de ces personnes ont été condamnée pour des crimes commis dans le cadre du génocide », affirme-t-elle. « Mais il existe également de nombreux cas de personnes condamnées à mort pour des crimes de droit commun comme l’assassinat, le viol ou l’avortement, passibles de la peine capitale selon le code pénal rwandais. » Beaucoup estiment que ces chiffres risquent d’augmenter encore avec la nouvelle phase des procès des gacacas (tribunaux populaires mis en place pour accélérer les jugements des prisonniers du génocide de 1994) prévue pour ce mois de juin. « Près de 70 000 suspects de génocide sont susceptibles d’être condamnés », juge Domitille Mukantaganzwa, secrétaire exécutive du service national des juridictions gacaca, interrogée par Syfia International.
Certains militants des droits de l’Homme pensent donc que les autorités seront incapables d’exécuter une telle masse de gens. Pour Maela Bégot également, « il est impensable d’envisager des exécutions de masse qui provoqueraient sans aucun doute l’indignation internationale, comme cela a été le cas en avril 1998 ». 24 personnes avaient été fusillées publiquement dans différents stades du pays dans le cadre de la politique de « lutte contre l’impunité » entreprise par le gouvernement au lendemain du génocide. Attentif aux demandes d’une société encore traumatisée, celui-ci avait décidé d’en faire son cheval de bataille. Il n’y a cependant pas eu d’exécution au Rwanda depuis 1998. Les autorités appliquent depuis un moratoire de fait. Elles condamnent mais n’exécutent pas, d’où le nombre monumental des condamnés en attente dans les couloirs de la mort.
La peine de mort pour les génocidaires ?
Le débat sur la suppression de la peine capitale a commencé à prendre de l’ampleur au moment des discussions sur la nouvelle Constitution rwandaise votée en mai 2003. Elles ont révélé que la majorité des participants étaient en faveur du maintien de la peine de mort pour les génocidaires. « Les associations de rescapés sont assez virulentes à ce propos », souligne la sociologue française. « Elles ont clairement fait savoir leur volonté de limiter cette peine aux condamnés du génocide. » C’est assez problématique car cela obligera l’Etat à revoir son système pénal. Les échanges sont donc vifs partout dans le pays entre une bonne partie de la société civile de plus en plus abolitionniste et les associations pour la défense des rescapés, notamment la plus puissante d’entre elles, Ibuka. Les rescapés, qui craignent toujours pour leur vie, estiment que cette peine est méritée et proportionnelle aux crimes commis. « Il n’est pas rare que les abolitionnistes soient taxés de sympathie pour les génocidaires », indique Maela Bégot qui rappelle que les exécutions publiques de 1998 « ont été l’occasion d’un des plus grands rassemblements de population de l’histoire du Rwanda », et que « la foule a bruyamment applaudi et manifesté son enthousiasme suite aux fusillades ».
Les associations des droits de l’Homme, les familles des condamnés, les Eglises et le pouvoir exécutif rwandais ne partagent pas leur avis. Les Eglises dans leur ensemble pensent par exemple qu’appliquer la peine de mort, c’est faire peu de cas de la valeur de la vie humaine. « Personne ne doit enlever la vie à l’homme que ce soit au nom de la loi ou de la criminalité », avertit un pasteur rwandais cité par Syfia International. En outre, le CLADHO, collectif regroupant les principales organisations de défense des droits de l’Homme rwandaises, mène depuis 2005 des actions de sensibilisation pour l’abolition de la peine capitale dans le code pénal qu’il souhaite faire évoluer selon les « tendances internationales ». Ces organisations remettent notamment en cause, comme beaucoup de Rwandais, les gacacas, sur qui les autorités se sont beaucoup appuyées depuis 2002. Selon un rapport de l’association Avocats sans frontière (ASF), « les juges des gacacas, choisis au sein de la population, sans formation intellectuelle et encore moins juridique, ont souvent procédé à des mises en détention sans respecter la loi ».
Un débat relancé par le Tribunal pénal international pour le Rwanda
En 1996, l’Assemblée nationale de transition a voté « la loi organique sur le génocide » qui a servi de base aux différents procès. Cette loi divise en trois catégories les crimes commis dans le cadre du génocide. Ainsi, le Rwanda condamne à mort les criminels de la première catégorie qui regroupe « les planificateurs et leurs complices, les personnes ayant agi en position d’autorité, les meurtriers de grand renom et tortionnaires, les violeurs et leurs complices et les personnes ayant commis des actes dégradants sur des cadavres et leurs complices ». Et le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), basé en Tanzanie et mis en place par les Nations Unies, juge les « cerveaux » du génocide mais ne les condamne pas à la peine capitale. Ce double barème de peines concernant le jugement des génocidaires a été ressenti comme une véritable injustice par les rescapés et comme une violation de sa souveraineté par l’Etat rwandais qui considère que la définition des peines pour les crimes commis sur son territoire fait partie de ses prérogatives.
Il a été source de conflit entre le Rwanda et le TPIR, conflit ranimé avec les transferts des hauts responsables du génocide détenus à Arusha et que les autorités rwandaises voudraient juger. Seulement, l’accord de transfert prévoit qu’aucun accusé ne sera condamné à mort. Ainsi, comme le signale Maela Bégot, « les plus grands responsables jugés à Arusha vont éviter une mort à laquelle des individus de responsabilité moindre, mais jugés à Kigali, risquent d’être condamnés ». Une situation que les associations des rescapés ont du mal à accepter. Le gouvernement est donc pris entre deux feux, d’une part la volonté de satisfaire son opinion publique encore très marquée par ces crimes et de l’autre celle de ne pas déplaire aux bailleurs de fonds internationaux, notamment européens, qui financent la justice rwandaise.
Il semblerait que les discussions soient actuellement au point mort. Rien de concret n’a pour l’instant été décidé au plus haut niveau. Comme l’a souligné le Président de la République Paul Kagame, « c’est au Rwandais de choisir » mais il préférerait cependant « supprimer cette peine afin que le pays puisse juger les planificateurs du génocide rwandais ». En l’absence de sondages, il est difficile de connaître l’opinion générale sur la question et cela d’autant plus que le débat n’est pas très médiatisé.