Rwanda : des audiences publiques sur le rôle de la France dans le génocide


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La Commission d’enquête rwandaise sur le rôle présumé de la France dans le génocide de 1994 a commencé, mardi, ses premières audiences publiques. Pour certaines victimes, c’est l’occasion de faire éclater la vérité. Mais, d’après des associations françaises, les conclusions de la structure seront à prendre avec des pincettes et ne déboucheront pas forcément sur des plaintes.

« Le rôle des Français dans ce qui s’est passé au Rwanda est évident : ils ont formé et armé en connaissance de cause les soldats et [les] milices pro-gouvernementales venus pour commettre le génocide, ils savaient qu’ils venaient pour commettre ce génocide », déclarait en 2004, lors du dixième anniversaire des massacres, le Président Paul Kagamé. Pour lui, le rôle de l’Hexagone dans le meurtre de quelque 800 000 Tutsis et Hutus modérés ne fait aucun doute. La commission d’enquête « chargée de rassembler les preuves de l’implication de la France dans le génocide » dira s’il a raison. Créée en avril dernier, elle a commencé le cycle des auditions publiques, mardi à Kigali. Parmi les 25 témoins qui doivent être interrogés jusqu’au 31 octobre figure Jacques Bihozagara, l’un des fondateurs du Front patriotique rwandais (au pouvoir).

« Parler pour faire connaître la vérité »

Cet ancien ambassadeur du Rwanda en France ne s’est d’ailleurs pas privé d’épingler la France. En kinyarwanda, il a estimé que son opération militaro-humanitaire « Turquoise » « ne visait qu’à protéger les génocidaires parce que le génocide s’est poursuivi dans la zone « Turquoise » ». Soulignant que Paris « a continué de protéger des suspects de génocide », il a dénoncé que « la France n’a pas exprimé de remords, elle a prêché l’existence d’un double génocide » des Hutus et Tutsis. Seront également entendues des femmes affectées par le génocide. « Nous avons appris des choses nouvelles hier (mardi, ndlr). Mais ce qui nous intéresse c’est la semaine prochaine, où des victimes des Français témoigneront », indique Auréa Kayiganwa, secrétaire exécutive de l’Association des veuves du génocide (Avega).

Cette association avait mis un point d’honneur à orienter vers la commission les femmes qui ont vécu dans le triangle Cyangugu-Kibuye-Gikongoro (Sud-Ouest), devant être protégé par les soldats de l’opération « Turquoise ». Pour ces Rwandaises, « parler est une façon de faire connaître la vérité, c’est une sorte de thérapie. Certaines ont été violées et ont le sida, d’autres ont des blessures ont niveau des organes génitaux… Elles disparaissent les unes après les autres. Alors elles veulent saisir cette opportunité de parler », poursuit Auréa Kayiganwa.

« Considérer toute initiative avec prudence et circonspection »

Parler, et voir leur souffrance reconnue. « Leur combat est comme celui des anciens combattants algériens, qui ont eu l’occasion d’avoir la reconnaissance de ce qu’a fait la France. Ils meurent, mais ils ont été entendus. C’est pour cela que c’est très important de parler. Au moins la France a vu que l’on s’est organisés », précise la responsable associative d’Avega. Attend-t-elle d’éventuelles poursuites de militaires ou responsables français ? « Ça dépendra des Français et de la France », explique-t-elle, sur un ton qui révèle peu d’optimisme.

Les enquêtes de la commission pourraient la mener à l’étranger. Elle devrait rendre ses conclusions dans six mois et « le rapport déterminera s’il faut ou non engager une procédure judiciaire devant la Cour internationale de justice », a expliqué Jean de Dieu Mucyo, président de la commission. Pour Patrick Baudouin, président d’honneur de la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH), les travaux de la commission n’auront de valeur que s’ils sont impartiaux.

« Toute initiative prise ou action menée par les autorités rwandaises doit être considérée avec prudence et circonspection, met-t-il en garde. Il y a un certain froid entre elles et la France par rapport à une instruction en cours chez le juge français Jean-Louis Bruguière, qui tend à mettre en cause le Président Kagame dans le crash de l’avion qui transportait [Habyarimana [Juvénal, l’ancien chef de l’Etat accident qui a marqué le début officiel du génocide]. La tension entre les deux pays est assez vive et il y a donc un bras de fer qui peut dénaturer les actions des uns et des autres. »

D’autres procédures judiciaires à prévoir ?

Patrick Baudouin souligne que « si la commission d’enquête rwandaise est crédible, si le travail est sérieux et impartial et met en cause des militaires français, il faudra le prendre en compte et en tirer les conséquences ». Il estime alors que, parmi ces conséquences, il peut y avoir de nouvelles procédures judiciaires, du même type que celles que six Rwandais viennent d’intenter auprès du Tribunal aux armées de Paris. Partie civile pour la FIHD et la Ligue des droits de l’Homme dans cette affaire, Patrick Baudouin rappelle qu’ils accusent la France de s’être compromise avec l’ancienne armée rwandaise pendant le génocide.

« On peut toujours espérer que, si des responsabilités françaises ressortent, elles déboucheront sur des plaintes », ajoute Sharon Courtoux, déléguée du président de l’association Survie, qui sensibilise notamment les citoyens et des élus à une réforme de la politique de la France en Afrique. Cependant, elle conclut : « Encore faut-il que les deux pays dépassent ce qui les sépare, ce qui est encore loin d’être le cas. D’un côté la France nie toute culpabilité et, de l’autre, le Rwanda l’accuse de son implication aux côtés d’un régime coupable de génocide. J’espère vraiment que les investigations contribueront à montrer ce qui s’est passé et éclairciront ce que Paris et Kigali se reprochent mutuellement. Surtout, il faut espérer que les éléments de ce bras de fer ne s’annulent finalement au détriment de la vérité ».

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