Depuis trente ans, l’ombre porté du génocide des Tutsi au Rwanda obscurcit l’analyse objective de la guerre impitoyable que mène le pays que gouverne Paul Kagame contre son voisin, la RDC. Avec le plus sanglant palmarès parmi les grands génocides des deux derniers siècles. Ce que démontre patiemment l’universitaire camerounais Charles Onana dans son livre « Holocauste au Congo », paru en mars 2023.
Les mots manquent. Dans les multiples rapports onusiens étouffés, dans les travaux successifs des commissions d’enquête européennes, dans les déclarations des vedettes de la scène, Passy, Roga Roga, récemment sur TV5 Monde, les mots manquent pour qualifier ces massacres répétés, ces viols brutaux et sanglants, ces assassinats collectifs, et l’omerta qui règne, l’impunité qui triomphe. Pourtant, l’horreur de la Shoah et de ses six millions de morts est dépassée au Kivu, puisque le nombre des victimes franchit les dix millions de morts, sans compter les populations déplacées, les traumatismes qui touchent maintenant plusieurs générations, les centaines de milliers de femmes détruites de l’intérieur que le Docteur Denis Mukwege, Prix Nobel de la Paix, ne pourra jamais réparer.
Un holocauste qui devait rester silencieux
Pourquoi ce silence retentissant d’un bout à l’autre de la terre ? L’omerta mondialisée, comment est-ce possible ? Tout simplement parce que ceux qui profitent des crimes sont les groupes industriels américains, les plus puissants du vingt-et-unième siècle, ceux qui maîtrisent les marchés du matériel informatique et du numérique, Microsoft, Apple, en premier lieu, et les marchés du téléphone mobile, ces milliards de portables répandus à prix d’or à travers le monde, générant des services de plus en plus juteux pour des consommateurs de plus en plus asservis à ces technologies. Et cerise sur le gâteau, les industriels de l’automobile électrique, Tesla en tête, nouveau maître de Twitter. Les leaders de l’économie américaine, les valeurs qui tirent Wall Street et le capitalisme mondial ont décrété que cet holocauste devait rester silencieux.
Et personne ne s’étonne qu’un pays dépourvu de coltan et de nickel en soit le premier fournisseur mondial
Mais pourquoi ? Parce que le massacre des Congolais du Kivu n’a aucune autre justification que le contrôle des minerais extraits dans cette région du Congo pour ces acteurs économiques qui dominent le monde post-industriel et notre civilisation numérique. C’est depuis la colonisation belge que les industriels américains exploitent les minerais du Kivu : c’est l’uranium du Kivu qui a permis à Oppenheimer de fabriquer les bombes atomiques qui explosèrent à Nagasaki et Hiroshima. De même, c’est le coltan congolais alors acheté à la Belgique, qui est déclaré, dès la deuxième Guerre mondiale, « matière stratégique pour le système de défense des États-Unis ». Il est aujourd’hui plus « stratégique » encore pour tout le système de l’économie numérique mondialisée organisé autour de la Silicon Valley. Et 60 à 80% des ressources connues de coltan se trouvent enterrées au Kivu, à l’Est de la RDC.
Expropriation de millions de Congolais
10 millions de morts, qu’est-ce par rapport aux capitalisations boursières des plus grands groupes économiques mondiaux? Et cela ne justifie-t-il pas qu’on les enterre dans le silence ? Téléphones cellulaires, ordinateurs portables, cameras numériques, consoles vidéo, circuits intégrés… La prospérité, au vingt-et-unième siècle, cela vaut bien un massacre organisé et l’expropriation de millions de Congolais, pour exploiter en paix, via le Rwanda, les richesses fabuleuses de leur sous-sol.
En fait, même si ce sont des entreprises souvent directement contrôlées par l’armée rwandaise ou le gouvernement rwandais qui vendent ces tonnes de minerais congolais aux multinationales minières qui les raffinent et les commercialisent, chacun ferme les yeux sur l’origine première. C’est plus simple. Et personne ne s’étonne qu’un pays dépourvu de coltan et de cobalt en soit le premier fournisseur mondial. Circulez, il n’y a rien à voir.
L’argent du cobalt et du coltan tâché de sang
Et pourtant il aurait été si simple d’exploiter ces richesses au profit des citoyens de la République Démocratique du Congo, qui en étaient les légitimes détenteurs, sans passer par la guerre, l’extermination, la « profanation des vagins » dénoncée dès 2005 par le talentueux écrivain congolais Désiré Bolya Baenga, mort trop tôt, rongé par le silence qui, déjà, enveloppait l’horreur.
Il faudra un jour, malgré tous les obstacles accumulés, que les criminels s’en expliquent, qu’ils soient américains, rwandais, européens, militaires, politiciens, hommes d’affaires. L’argent du cobalt, dont 90% de la production mondiale vient de RDC, et du coltan est tâché de tellement de sang qu’il finira pas brûler les mains qui l’ont mal gagné…
Charles Onana, Holocauste au Congo, Paris, L’Artilleur, 2023, préface de Charles Millon, ancien ministre de la Défense français.