Portée par son bras armé, Wagner, l’offensive russe en Afrique se déploie sur la quasi-totalité du continent, où les miliciens d’Evguéni Prigojine assurent la sécurité des dictateurs locaux tout en faisant main basse sur les ressources naturelles et en inondant les réseaux sociaux de propagande anti-occidentale. Cette guerre hybride gagne jusqu’aux plus hautes instances internationales, comme le Conseil de sécurité de l’ONU, dont la Biélorussie ambitionne d’obtenir un siège. Une candidature qui, si elle devait aboutir, renforcerait encore l’influence de Moscou et de ses alliés sur le continent africain.
« Les exactions du groupe Wagner doivent être qualifiées pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire des actes terroristes » : mardi 9 mai, les députés français ont adopté, à l’unanimité, une proposition de résolution visant à faire inscrire le groupe paramilitaire russe sur la liste européenne des organisations terroristes. Plus tôt dans l’année, l’Union européenne (UE) avait annoncé un nouveau train de sanctions à l’encontre de plusieurs dirigeants de Wagner en Afrique, un continent où l’organisation mafieuse fondée par Evguéni Prigojine se rendrait coupable de graves « violations des droits humains ». « Les activités du groupe Wagner sont une menace pour les populations des pays où ils opèrent et pour l’UE », avait commenté, à cette occasion, le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrel.
Wagner déjà présent dans une vingtaine d’États africains
Sur le devant de la scène médiatique depuis son entrée en guerre aux côtés de l’armée russe en Ukraine, la milice, créée en 2014 par l’oligarque surnommé le « cuisinier de Poutine », est en réalité active aux quatre coins du monde. Avec une prédilection pour les pays en crise, où des régimes autoritaires en difficulté se voient offrir les services de ses mercenaires contre le droit de piller leurs ressources naturelles. Après la Syrie et la Libye, c’est donc en Afrique que Wagner a trouvé un terrain d’opération idéal : le groupe paramilitaire serait ainsi déployé dans pas moins de 24 États du continent, principalement en Afrique centrale (République centrafricaine) et de l’Ouest (Mali, Burkina Faso), mais aussi au Soudan ou à Madagascar.
Parfois anciennes colonies françaises, un certain nombre de ces pays africains ont bruyamment quitté le giron de la « Françafrique » pour mieux se jeter dans les bras du Kremlin. Wagner apparaissant, à ce titre, à la fois comme l’organisation comblant le vide sécuritaire créé par le départ des militaires français, et comme la liquidatrice, à grand renfort d’intox et de propagande, des derniers ersatz d’influence que Paris exerce encore sur le continent. Emmanuel Macron, lors d’une récente tournée africaine, ne s’y est pas trompé, lui qui a fustigé « un groupe de mercenaires criminels, qui est l’assurance-vie des régimes défaillants ou des putschistes, dont le rôle et la finalité est de protéger les régimes défaillants (et) de n’apporter qu’une réponse sécuritaire (…) et d’avoir des comportements de prédation sur les mines, les ressources premières, voire de violences sur les populations ».
Du hard au soft power, la galaxie Prigojine à l’assaut de l’Afrique
Circonscrire les activités de Wagner en Afrique à sa seule présence militaire et aux exactions de ses mercenaires serait très insuffisant. Grandissante, la présence de la milice russe sur le continent participe, au-delà des seuls aspects sécuritaires et militaires, d’une vaste opération de soft power directement orchestrée par Moscou pour étendre son pouvoir loin de sa zone historique d’influence. Tentaculaire, l’empire de Prigojine, dont les hommes arrivent en Afrique dans les pas des diplomates russes, s’étend en effet jusqu’à une myriade de sociétés médiatiques assurant, en quelque sorte, le service après-vente du remplacement des Occidentaux par les affidés du Kremlin. D’une main, les miliciens de Wagner assurent la sécurité de tel ou tel dictateur africain, en réprimant son opposition dans le sang ; de l’autre, les communicants de Prigojine s’attachent à vanter, auprès des populations locales, les attraits supposés du nouvel allié russe, tout en démolissant ce qui reste de la réputation des anciens colons occidentaux.
Au-delà des répliques africaines de médias comme RT ou Sputnik, interdits en Europe depuis les premiers jours de l’invasion russe en Ukraine, les communicants de Wagner conçoivent et diffusent de véritables contenus de propagande spécifiquement produits à destination des audiences locales. C’est ainsi que les internautes maliens ont été abreuvés, en ce début d’année, de plusieurs productions audiovisuelles présentant les militaires français de l’opération Barkhane sous les traits de rats rebaptisés « les démons de Macron », les personnages incarnant les paramilitaires de Wagner étant, quant à eux, mis en scène comme des sauveurs envoyés par la providence. De manière plus traditionnelle, le soft power russe en Afrique passe aussi par l’invitation de chefs d’État du continent à des grands raouts diplomatiques en présence de Vladimir Poutine lui-même, à l’image du forum économique Russie-Afrique organisé à Sotchi en 2019.
Depuis Minsk et New York, le piège russe se referme sur l’Afrique
Dans cette guerre hybride et tous azimuts de la Russie contre le bloc occidental, le Kremlin peut aussi compter sur l’appui d’un certain nombre d’États vassaux, principalement issus de l’ex-URSS. Ainsi de la Biélorussie d’Alexandre Loukachenko qui, non content d’avoir fait de son pays une base arrière facilitant l’agression russe en Ukraine, candidate très officiellement à un siège non-permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies. S’il est peu probable que Minsk obtienne gain de cause lors du vote qui se tiendra le 8 juin prochain, le seul fait qu’une telle candidature soit présentée et maintenue témoigne de la volonté de Moscou et de ses alliés d’étendre encore, en noyautant les plus hautes instances diplomatiques internationales, leur influence sur les affaires du monde.
Officiellement indépendante depuis 1991, la Biélorussie n’a, en réalité, jamais quitté le giron de son puissant voisin, dont elle dépend politiquement, stratégiquement et économiquement. Alors que 50% du PIB biélorusse dépend des échanges avec Moscou et que seule l’intervention de militaires russes a permis, en 2020, à Loukachenko de maintenir son pouvoir après des manifestations violemment réprimées, une hypothétique entrée de Minsk au Conseil de sécurité de l’ONU enverrait un très inquiétant signal – y compris en Afrique. Déjà mis en coupe réglée par les miliciens de Wagner, les pays du continent et leurs habitants auraient beaucoup à perdre d’un regain d’influence de la Russie au sein des Nations unies, où de nombreux pays s’abstiennent d’ores et déjà de condamner officiellement la fuite en avant guerrière de Vladimir Poutine. Plus de Russie à l’ONU, c’est plus de chaos au niveau mondial : qu’ont, à long terme, à gagner les Africains de ce nouvel et si agressif impérialisme russe ?
Par Maceo Ouitona et Aaron Akinocho