Rudy Nzimo, étudiant camerounais, a été privé de liberté, le 6 avril, à son arrivée à l’aéroport de Bruxelles. De retour en Belgique, après des vacances dans son pays d’origine, les autorités ont estimé que la photo de sa carte d’identité camerounaise ne correspondait pas à son apparence actuelle, et décidé de l’expulser. Mais son rapatriement, organisé ce jeudi, a échoué, le commandant de bord refusant d’embarquer le jeune homme. Il a donc été reconduit au centre fermé de Merksplas. L’écrivain camerounais Marcel-Duclos Efoudebe dissèque l’enchaînement absurde des événements et stigmatise la politique du tout répressif. Tribune.
Par Marcel-Duclos Efoudebe
La situation est kafkaïenne. Un jeune homme de 27 ans est interpellé à l’Aéroport international de Bruxelles. Il rentre d’un séjour d’un mois chez lui, au Cameroun. Un contrôle de routine, se dit-il. Il ne sait pas encore qu’il va être le témoin et l’acteur principal d’un film noir. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, il est reconnu être en possession de faux papiers. Il ne comprend pas. Comment ça, faux papiers ? Les choses se corsent. Le visage de l’homme est peu ressemblant à celle qui figure sur son passeport. L’Office des étrangers effectue des « vérifications », en fait des mesures dignes de la police scientifique : la boite crânienne, les oreilles, la distance entre le nez et les oreilles, tout y passe. Les fins limiers de la Police en concluent que l’individu devant eux n’est pas celui du passeport. Rudy Nzimo – c’est le nom de l’infortuné – n’en revient pas. Il n’est pas lui ! D’accord, la photo est vieille de 8 ans. Entretemps, l’homme a grandi, muri, pris quelques kilos, et porte désormais des lunettes.
Son avocat demande qu’il soit procédé à une comparaison d’empreintes. Refus net de l’Office des étrangers. L’affaire commence à être médiatisée. L’avocat exprime ses craintes et les vices de forme devant les médias. L’Office des étrangers revient sur sa décision, et accède à la volonté de l’avocat. Ses empreintes sont comparées, non pas avec celles de son passeport, mais avec celles de sa carte d’identité… camerounaise. Et là, surprise : les empreintes ne correspondent pas ! La conclusion de l’Office des étrangers est faite : Rudy Nzimo est « en possession de faux papiers » !
Le Chemin de croix du camerounais ne fait que commencer. De la zone « Inad » – « Inad » pour « inadmissibles » sur le territoire belge – de l’aéroport, où il passe quelques jours, il est conduit au « centre fermé pour étrangers en situation irrégulière » de Merksplas. Il glisse peu à peu vers l’expulsion.
Peu importe que Rudy Nzimo soit inscrit depuis 8 ans à l’Université Libre de Bruxelles. Peu importe qu’il soit en cinquième année de polytechnique. Peu importe qu’il soit à 3 semaines des Examens Officiels. Peu importe qu’il soit tenu de remettre son mémoire de fin d’études sous peu. Peu importe qu’il risque de ne pas terminer ses études. Peu importe que le Bureau des Etudiants Administrateurs de l’ULB lui témoigne son soutien. Peu importe que l’Ambassade du Cameroun en Belgique ait certifié la validité et l’authenticité du passeport de Rudy. Les sbires de l’Office des étrangers restent droits dans leurs bottes.
Un acharnement révélateur
Les interrogations se bousculent. Je ne pourrais pas les aborder toutes ici. Quelques-unes devraient suffire. A supposer que la Carte d’identité camerounaise de Rudy Nzimo soit fausse – ce qui est vraisemblable, depuis la « preuve » des empreintes –, pourquoi ne pas permettre à l’Etat camerounais de s’occuper de ces « faux papiers » qui relèvent, en principe, de son ressort ? Je ne sache pas que l’étranger en situation régulière dans un pays soit tenu de présenter la carte d’identité nationale de son pays d’origine… Pourquoi avoir conduit Rudy Nzimo dans le centre fermé pour étrangers en situation irrégulière, quand on sait qu’il est bel et bien en possession de tous les documents légaux pour séjourner en Belgique, et cela depuis au moins 8 ans ? L’Etat belge ne devrait-il pas se contenter de vérifier, comme il le fait souvent, avec le zèle qu’on lui connaît, que l’étranger est en situation régulière sur le territoire belge ?
Difficile de ne pas voir, dans cet acharnement – pour ne pas parler d’autisme – de l’Office des Etrangers, une cohérence dans sa politique du tout répressif. Difficile de ne pas y voir la résurgence des préjugés sur les étrangers, tous coupables à priori. Difficile de ne pas s’interroger sur cet entêtement, qui contraste – au bas mot – avec le traitement réservé aux truands en cols blancs qui mettent en danger la vie des millions de personnes, de Bruxelles à Liège, en passant par Charleroi et Huy, pour ne prendre que quelques exemples, au hasard. Difficile de ne pas s’interroger sur le soutien du bout des lèvres des autorités de l’Université. Difficile, aussi, de ne pas constater le silence – désormais légendaire – des politiques camerounais, depuis le ministre des relations extérieurs, jusqu’au Président de la République, dont on connaît le souci constant pour la défense et le respect des droits des Camerounais, au Cameroun comme à l’étranger. Et que dire, enfin, du silence assourdissant de la classe politique belge sur une affaire qui ne passe pas inaperçue, une classe politique qui ne redoute même pas une éventuelle sanction de la part de la population belge, à la veille des consultations électorales. Tu parles d’un mépris ! Seuls quelques étudiants camerounais et belges continuent de se mobiliser, pour faire entendre les droits de Rudy Nzimo. Après un démarrage en trombe, les médias dominants ont subitement cessé de parler de l’affaire. Ce n’est qu’un étranger. Et puis, il y avait le week-end pascal et ses agapes…
« Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir », disait La Fontaine. Noir, comme le mal. Noir, comme Rudy…