La Royal Air Maroc aurait émis une note de service qui interdit notamment à son personnel de prier pendant ses heures de service. La nouvelle a, entre autres, provoqué une levée de boucliers du Parti pour la Justice et le Développement et du Centre marocain des droits de l’Homme. Au ministère des Habous et des Affaires Islamiques, on parle d’un « rappel à l’ordre » mal interprété.
La gestion de la compagnie aérienne nationale Royal Air Maroc (Ram) remise en cause. Il ne s’agit pas ici d’une affectation de fonds jugée hasardeuse, mais d’une note de service qui aurait été transmise le 22 septembre aux employés de la compagnie aérienne. Le document, que nous n’avons pu nous procurer, remettrait en cause la pratique de l’Islam pendant les heures de travail. Citant le quotidien arabophone Assabah, le président du Centre marocain des droits de l’Homme (CMDH), Khalid Cherkaoui Semmouni, rapporte que le texte, de façon non officielle, « interdit aux gens de prier et aux pilotes, co-pilotes et hôtesses de faire le Ramadan ». Les salles de prière de la Ram auraient par ailleurs été fermées et quitter son poste pour aller prier serait désormais prohibé. Tout comme le port du voile.
« Depuis qu’on a découvert un CD faisant l’apologie de l’islamisme, circulant au sein de la compagnie, la direction de la Ram a effectivement pris quelques mesures tout à fait banales pour éviter toute dérive islamiste. Mais ces décisions internes ont été montées en épingle par des employés proches de l’association considérée comme islamiste] Al Adl Wal Ihssane », confiait un cadre de la Ram à la rédaction de Meknes-net. L’islamisme fait peur. Surtout depuis les [attentats de Casablanca du 16 mai 2003 qui avaient fait une quarantaine de morts et quelque 100 blessés. Le démantèlement d’une cellule à laquelle appartenaient deux femmes mariées à des pilotes de la société étatique, explique peut-être aussi la méfiance de la Ram.
La prière, un prétexte ?
La note de service aurait également pour objectif d’empêcher les absences prolongées. Si c’est le cas, elle se justifie, selon Ahmed Abaddi, directeur des affaires islamiques au ministère marocain des Habous et des Affaires Islamiques. « Je pense que la mesure est administrative, pédagogique et didactique, souligne-t-il, tout en précisant qu’il n’a pas eu connaissance du texte de la note. C’est un rappel à l’ordre. Elle est destinée à éviter les exagérations qui se font sous couvert de la prière. Si une personne s’éloigne une heure pour prier, ce n’est pas normal. Je pourrais appeler cela une paresse sacralisée. On se sert de quelque chose de sacré, de divin, comme d’une extra-excuse pour échapper à l’autorité. »
Dans les textes, bien que l’Islam soit une religion d’Etat au Maroc, la pratique religieuse ne doit pas influer sur le travail, selon une source du ministère du Travail dont les propos ont été rapportés par Meknes-net. « Le Code du travail interdit l’introduction dans le règlement intérieur de clauses discriminatoires, explique-t-elle. Seules les conséquences du comportement du salarié sur l’exécution du contrat de travail peuvent légitimer la restriction religieuse. Et pour cela, il faut démontrer clairement que le salarié trouble, de manière volontaire ou non, la bonne marche de l’entreprise. »
« Interdire aux gens de prier, c’est la culture de l’inquisition »
Certaines organisations et politiciens ont dénoncé la note de service, la jugeant contraire à l’article 6 de la Constitution qui garantit la liberté d’exercer sa religion. « Interdire la prière, même dans les bureaux, est grave. C’est la première fois qu’une administration publique marocaine fait une telle chose. Par ailleurs, les gens sont libres de jeûner ou pas pendant le Ramadan. Les Marocains sont habitués, cela n’a aucun impact sur le rendement de l’entreprise ou le travail de l’employé. Toute interdiction liée à la pratique du culte est un abus de pouvoir », s’emporte Khalid Cherkaoui Semmouni, du CMDH, une association qui se défend d’être proche des islamistes.
Le Parti pour la Justice et le Développement (opposition) est également monté au créneau. Le 1er novembre déjà, il faisait part de sa vive préoccupation devant le parlement. Il a récidivé, mardi dernier, cette fois-ci au ministre de l’Equipement et du Transport. « Nous avons saisi cette opportunité parce que cela ne sert à rien de s’attarder sur des chiffres si le gouvernement, qui se dit moderniste, ne respecte pas les lois fondamentales, comme celle de prier ou de porter le voile. Si on commence à obliger ou à interdire aux gens de prier, c’est la culture de l’inquisition », lance Lahcen Daoudi, troisième vice-président de la Chambre des représentants et député du PJD. D’après ce responsable, certains partis de la coalition au pouvoir n’osent pas contester en public le texte, mais ils n’en pensent pas moins.