Le nombre d’accidents de la route ne cesse de croître en Côte d’Ivoire et singulièrement en ce début d’année 2018. Certes le nombre de voitures augmente, mais est-ce la seule raison ?
Dans son article, Fangnariga YEO, dépeint un tableau affligeant de la situation : corruption des policiers sur les routes ; faux permis de conduire délivrés par des auto-écoles peu scrupuleuses ; taxes légales ; taxes illégales ; mafia dans les transports ; etc. L’auteur termine sur une note d’espoir en faisant une série de propositions ciblées.
Du 1er au 15 janvier 2018, le pays a enregistré 1458 accidents de la circulation avec un bilan de 3225 blessés et 81 décès, selon les chiffres livrés par le ministère de la Santé et de l’Hygiène publique. La capitale économique, Abidjan, totalise 47,04% de ces accidents. En 15 jours, la route a déjà fait 10% des décès de l’ensemble de l’année 2017. A ce rythme, elle ferait trois fois plus de victimes en 2018 qu’en 2017. La cause humaine est à 95% à l’origine des accidents selon le ministère. Est-ce un problème de trait de caractère ? Est-ce la réaction à un environnement défavorable au civisme routier ?
Un environnement favorisant l’incivisme au volant
Depuis belle lurette, on assiste à la perte de vitesse de l’éducation traditionnelle et citoyenne dans la société ivoirienne. Une tendance au gain facile s’est aussi incrustée dans la culture ivoirienne. Ce qui engendre l’effritement du respect des normes et des valeurs. D’où l’incivisme qui gangrène la société ivoirienne. Cela dit, au-delà des prédispositions des uns et des autres, il existe également un environnement (règles de jeu encadrant la conduite) qui facilite/incite les conducteurs à violer l’esprit de la loi.
En effet, pendant longtemps les agents de police chargés de veiller au respect du code de la route, jouissaient d’un pouvoir discrétionnaire donné dans l’interprétation des lois conjugué à l’absence de contrôle de ces mêmes policiers. De ce fait, les conducteurs de véhicules transportant des marchandises ou servant au transport en commun devenaient assujettis au racket tant bien même qu’ils avaient tous les documents requis et respectaient le code de la route. Les différentes campagnes de lutte contre le racket ont permis une petite réduction, mais la pratique n’a pas disparu. Face à cette norme parallèle, les conducteurs proposent régulièrement de l’argent aux agents de police pour leur permettre de circuler lorsque les papiers des véhicules ne sont pas au complet ou eux-mêmes ne remplissent pas toutes les conditions pour conduire. Le nombre croissant de conducteurs mineurs et inconscients dans le transport en commun en est une illustration.
Aussi, le système rentier d’agréments, basé sur le clientélisme et le favoritisme, rendent le coût des dépenses d’investissement et d’exploitation élevé, notamment les taxes étatiques (dédouanement des véhicules, patente, visite technique, péage, etc.), communales et l’assurance constitue un réel poids financier pour les propriétaires de véhicules. Plumés par ces coûts, ces propriétaires exploitent les conducteurs en fixant des recettes journalières surréalistes. Ces conducteurs sont aussi exploités par les « Gnambros » (groupe mafieux) qui les harcèlent et leur exigent des taxes illégales en usant de violences. Tout cela pousse les conducteurs à l’incivisme routier pour obtenir la recette journalière. Cela s’illustre surtout lors des heures de pointes où ces derniers roulent sur le trottoir.
Par ailleurs, la défaillance de la régulation des auto-écoles par les services de tutelle du ministère du Transport favorise la corruption de certains moniteurs d’auto-écoles qui exigent des pots de vin lors des évaluations. Cette pratique est presque devenue une norme informelle. Les personnes qui refusent de payer ses pots de vin échouent maintes fois à l’évaluation. Leurs échecs finissent par les contraindre à payer les pots de vin afin d’être admis pour avoir le permis de conduire. C’est pourquoi certaines personnes obtiennent le permis sans avoir réellement suivi la formation.
Des incitations positives pour responsabiliser les automobilistes
Pour amener les automobilistes à être plus responsables au volant, il convient de changer le contrat et les règles encadrant la relation entre les propriétaires de véhicules et les conducteurs, les conducteurs et les agents de police, les conducteurs et les auto-écoles. Le but étant d’inciter les chauffeurs à la bonne conduite. Ainsi, il convient de réduire en amont les coûts connexes au transport. Pour ce faire, le gouvernement ivoirien pourrait revoir à la baisse les taxes payées par les transporteurs et propriétaires de véhicules. Cet allègement pourrait se faire contre la mise en place d’une fourchette raisonnable des recettes journalières issues de discussions décentralisées entre les représentants des propriétaires et ceux des conducteurs. Par ailleurs, ces discussions pourraient faciliter la définition d’un statut de ces conducteurs pour leur permettre de mieux jouir des fruits de leur travail. Dans cet élan, le gouvernement ivoirien pourra prendre les mesures nécessaires pour mettre fin au règne des « Gnambros » et de toutes les taxes illégales. L’assouplissement du système rigide actuel des agréments, pour son abolition à terme, permettra de supprimer les rentes des propriétaires et réduira l’incitation à exploiter les conducteurs. Ces derniers pourraient bénéficier du statut d’auto-entrepreneur avec des facilités réglementaires, fiscales, financières pour acquérir des voitures (via microcrédit) pour assainir le marché des pratiques d’un autre âge.
En outre, pour mettre fin à la tentation de corruption entre agents de la police et conducteurs, la gouvernance électronique pourrait être une alternative pour limiter tout contact entre les agents de l’Etat et les usagers. La politique de vidéo surveillance initiée par le gouvernement devrait s’étendre à d’autres grandes villes et pourrait être utilisée pour le suivi des agents. Ce suivi pourra être renforcé par des contrôles inopinés de la police anti-racket. Le paiement des frais de contraventions aux services du trésor devrait être facilité par des guichets dédiés fonctionnant 24H/24.
Quant aux moniteurs d’auto-écoles corrompus, des moyens techniques devront être introduits lors des évaluations pour renforcer la transparence. A cet effet, l’instauration de caméras lors des tests de réussite pour donner la possibilité de contestation aux candidats qui s’estiment lésés ou rackettés serait une bonne avancée. Un répertoire des auto-écoles pourrait être dressé par le ministère et mis à la disposition des usagers. Une mise à jour annuelle de ce répertoire appuyée par une notation serait une bonne innovation. Cela permettrait à tous d’avoir l’information sur les meilleures auto-écoles.
Enfin, il faudrait relancer la réforme du permis de conduire à points suspendue depuis 2016, par le Président Alassane Ouattara, suite à une grogne sociale contre la vie chère et au danger que peut représenter la mesure dans un environnement corrompu où les points seraient à la merci d’agents de police tout puissant. Pour y arriver, le gouvernement pourrait nouer le dialogue avec les professionnels du transport et les syndicats pour aboutir à un coût consensuel du nouveau permis. L’application de la règle du permis de conduire à points devrait renforcer la responsabilisation des conducteurs. Dans cette réforme, la carotte et le bâton devront être maniés avec dextérité.
Fangnariga Yeo, activiste des droits de l’Homme et blogueur.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.