D’origine sénégalaise, Rougui Dia est l’une des rares femmes chef cuisinier de France qui officie dans un restaurant de gastronomie française et de tradition arménienne. Parcours d’une jeune femme moderne et déterminée. Interview.
Afrik.com : Comment êtes-vous devenue Chef du Petrossian ?
Rougui Dia : C’est un restaurant arménien mais les patrons ont fait une partie de leur vie en Russie. Les patrons actuels sont français. Je suis rentrée chez eux depuis longtemps. Au bout de six années, on m’a proposé le poste, et j’ai accepté. j’ai eu le temps de prendre mes repères et j’ai été soutenue par Monsieur Petrossian. Le premier chef nous a débauchés de notre ancien restaurant, je suis passée par tous les postes : la pâtisserie, le garde-manger, le poisson, tous les postes qu’on peut occuper dans un restaurant. Quand le second de cuisine est partie, je l’ai remplacé. Quand on arrive tous les jours à l’heure, on ne compte pas ses heures, on nous voit travailler, on ne paye pas pour devenir chef, moi je n’ai pas payé.
Afrik.com : Est-ce que M. Petrossian vous a proposé ce poste pour montrer l’exemple en matière d’intégration ?
Rougui Dia : Très certainement. Certains de mes collègues voulaient que je me trompe, que je craque. Je me suis dit que c’était une opportunité pour moi, à ce moment-là je ne me posais pas ce genre de questions. J’ai fait mon travail, je n’ai pas fait de coups bas, donc je mérite mon poste. Un exemple, pour attirer une autre population, c’est fort possible. Je ne me posais pas la question, les gens disaient à M. Petrossian que je ne tiendrais pas le coup, que je partirais, je me suis battue et j’ai prouvé que je pouvais remplir mon contrat.
Afrik.com : Qu’est ce qui vous a permis de vous imposer au poste de chef ?
Rougui Dia : J’avais annoncé à tout le monde que, de mon côté, j’avais envie de remplir ma part du contrat, pour redonner à Monsieur Petrossian ce qu’il m’a donné. Je pense que si on abandonne une fois, on abandonne toujours. Pour des questions de loyauté envers moi et envers la personne qui m’a embauchée, on ne peut pas tout laisser tomber à la première difficulté.
« Parfois, on se fait du yassa, on se préparait aussi du mafé, et le riz au poisson.»
Afrik.com : Maintenant que vous êtes Chef, quelles sont vos tâches au quotidien ?
Rougui Dia : Je fais les recrutements, je fais la carte avec Monsieur Petrossian. En revanche, je n’annonce plus les plats comme je le faisais avant, et je ne dresse plus les tables. Par ailleurs, je passe en revue tout ce qu’il y a à faire. Mais je travaille toujours en cuisine.
Afrik.com : Pouvez-vous nous donner deux ou trois recettes mélangeant les cultures française et sénégalaise ?
Rougui Dia : On fait de la cuisine française à base de poisson, dorade, bar, etc. Dans la dernière recette de l’ancienne carte, pour envoyer un clin d’œil à l’Afrique, j’avais mis une purée de patates douces accompagnée de pigeon. Le but c’est de faire découvrir les saveurs africaines aux clients français. J’accepte qu’on me dise qu’on n’aime pas, mais qu’on ne me dise jamais que cette cuisine est dégueulasse sans la goûter, surtout que les gens ont plutôt aimé.
Un jour, j’ai fait des feuilles de vignes. Lorsqu’on prépare le caviar d’aubergine, on ne le cuisine pas à la française avec des poivrons. Le produit classique du restaurant Petrossian, c’est le cœur de saumons fumés servi avec du vinaigre au curry, accompagné d’artichauts curcumas, et émulation de pommes de terre fumées.
Quand j’ai débuté, j’ai fait un foie gras avec une vinaigrette de biscuits servi avec des figues. On a fait aussi une vinaigrette de Tamara accompagnée de pieds de veau. Ça a fait sensation. Parfois, entre personnel, on se fait du yassa (plat sénégalais à base de riz accompagné de morceaux de poulet, ndlr). Pour l’anecdote, c’est le second de cuisine, un Franco-Italien, qui le fait. Entre collègues, on se préparait aussi du mafé (plat sénégalais composé de riz arrosé de sauce d’arachide avec des morceaux de viandes, ndlr). Mais certains en redemandaient. Et, le riz au poisson, on le fait une fois par an car ça prend trop de temps.
Afrik.com : Il n’y a aucune difficulté à rapprocher les deux influences, française et sénégalaise ?
Rougui Dia : Non. Dans toutes les cuisines, il y a toujours une technique qui se rapproche des autres. En ce qui me concerne, je mets les épices en toutes petites quantités. J’adapte, en le faisant plus subtilement. On essaye de faire attention, de ne pas non plus dénaturer le goût de la nourriture.
Afrik.com : Avez-vous des recettes spéciales Ramadan à proposer à nos lecteurs ?
Rougui Dia : Ça dépend. Je ne m’arrête pas à un truc type. Par exemple, je peux aussi bien manger un plat de riz ou le mil avec le lait. J’essaye de manger beaucoup de légumes au restaurant, et des féculents chez moi. Si j’ai de la viande et du poisson, je prends. Le mil c’est très chargé en fibres, ça aide à bien commencer la journée.
Afrik. com : Maintenant que vous êtes Chef, quelles sont les ambitions qui vous restent ?
Rougui Dia : Ce qui est bien chez Petrossian, c’est qu’on ne cesse d’apprendre. Cela tombe bien, j’ai encore beaucoup à apprendre. Je dois découvrir certains produits, un certain nombre de cuissons, et ensuite, pourquoi pas ouvrir quelque chose à moi.
Petrossian – Tél : 01 44 11 32 32
18 rue de la Tour Maubourg, 75007 Paris (Métro Invalides)
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