Entre Gambie et Israël. La championne d’athlétisme française Rachel Khan, désormais comédienne sous le nom de Nina Gary, a signé en février 2016 un livre étonnant, « Les grandes et les petites choses », aux éditions Anne Carrière. Une manière élégante et pudique de raconter comment, de sa naissance à aujourd’hui, sa vie a été un dialogue entre les religions, les patrimoines, les communautés. Comment tout cela est simple, au fond, et compliqué pourtant.
S’il est une chose que la vie a apprise à Rachel Khan, c’est qu’il n’est pas possible d’être manichéen. Il n’y a pas d’une part le bien, d’autre part le mal, il n’y a pas le camp des élus et celui des damnés, il n’y a pas de vérité qui préexiste à la vie, et cette vie, fragile, bourrée de secrets successifs, est toujours ce qui doit l’emporter.
On ne résume pas une vie, on ne la parcourt pas : le roman est cette forme littéraire libre qui sert de masque et facilite les aveux, mais qui aussi permet d’organiser et de comprendre ce qui dans le surgissement des jours reste caché, inattendu ou illogique. Le roman de Rachel Khan, « Les grandes et les petites choses » joue pleinement de cette intelligence magique du monde ou nous vivons.
Si complexe soit-elle, quand elle se construit au carrefour de la Gambie et de l’héritage juif d’Europe centrale, l’identité est une affaire personnelle. Elle passe par des découvertes ponctuelles, elle se nourrit de souvenirs d’affection, elle est traversée de douleurs violentes et d’humiliations successives. On ne sait pas pourquoi soudain l’on craque. Ni tout à fait pourquoi on se relève. Mais il y cette flamme de fierté et de vie qui toujours se redresse et s’allonge.
L’histoire de Rachel Khan n’est pas un témoignage de la difficulté d’être soi dans une France secrètement (ou plus ouvertement) raciste. Cette lecture existe, mais elle n’est pas unique. C’est aussi la peinture miroitante des intolérances, dont elle est à la fois la victime et la réponse.
Le métissage, solution des contradictions?
Comment peut-on être à la fois juive et musulmane, noire de peau et blanche de religion, confrontée au racisme à l’université de droit d’Assas, exclue par un esprit de caste qui est aussi esprit de classe, sauvée par une foi dans le sport qui est aussi un exutoire, portée par l’amour et blessée par lui. La vie déroule son cours contradictoire, et l’on apprend à ses dépens ce que l’on croyait pouvoir ignorer.
La force du roman de Rachel Khan est de ne pas tirer de leçon, même si chaque chapitre pourrait se terminer avec une morale, comme les fables de La Fontaine. Mais ce serait trop simple, ou trop définitif. Le prof raciste finit sur les gradins du stade, le beau Guyanais s’égare en chemin, le conflit israélo-arabe ne peut rien contre l’amour d’un homme et d’une femme : nous vivons un temps ou Roméo et Juliette peuvent convoler.
C’est cela la force de ce roman, et la puissance de cette expérience humaine : les sociétés contemporaines n’ont pas d’autre choix que la tolérance et l’ouverture. Bien sûr, à l’heure du Brexit et des replis nationalistes, cela peut sembler inactuel, ou inconscient des forces sombres qui agitent les intolérances. Et c’est pourtant très simplement la seule solution historique et moderne, parce que nous n’avons pas d’alternative à une compréhension mutuelle, tous compagnons d’un même projet, impératif et, au fond, joyeux : vivre ensemble.