Le krump, c’est « un coup de poing dans la danse ». Une alternative au hip hop, inspirée des danses africaines et inventée par les jeunes des ghettos de Los Angeles, pour échapper à la violence et aux gangs. David LaChapelle revient, avec Rize, sur la genèse du mouvement et plonge le spectateur dans un univers fascinant qui dégage une énergie folle.
Rize débute sur un avertissement : « Aucune image de ce film n’a été accélérée ». La précision est de taille car tout au long du documentaire de David La Chapelle sur le krump, la virtuosité et la vitesse avec lesquelles les danseurs s’exécutent laissent pantois. Certaines scènes ont même été ralenties (!) pour mieux apprécier la beauté des gestes qui composent le krump. A première vue, l’enchaînement frénétique de mouvements saccadés, qui fait bouger l’ensemble du corps, paraît incongru. Comme une crise d’épilepsie en musique… certains en arrachent mêmes leurs vêtements ou terminent en transe.
Le photographe David LaChapelle a suivi les acteurs de ce phénomène urbain, né dans les quartiers pauvres et noirs, et en pleine explosion à Los Angeles. Il a su instaurer une relation de confiance qui lui permet de suivre les jeunes dans leur quotidien. Il avait commencé par un court-métrage sur le sujet, Krumped, en 2004. Rize en est la continuité. C’est aussi le premier long métrage de cet Américain né dans le Connecticut en 1969 et qui a photographié tous les grands noms du hip hop. « Le krump, c’est tellement différent de toutes les autres danses hip hop que l’on a connues jusqu’à présent. En voyant des danseurs krumper, j’ai eu le même choc que lorsque enfant à New-York, j’ai vu du breaking pour la première fois », explique-t-il.
Tommy, le clown qui danse le hip hop
Le père du krumping, c’est lui : Thomas Johnson. Venu à L.A. pour dealer, il se retrouve en prison. A sa sortie, il est métamorphosé et devient éducateur à South Central, « le quartier où sifflent les balles ». Déguisé en clown, portant une énorme perruque afro arc-en-ciel, il devient Tommy le Clown, « le clown qui danse le hip hop », pour animer les anniversaires et apporter un peu de divertissement aux laissés-pour-compte des quartiers. En 1992, suite aux émeutes raciales générées par l’affaire Rodney King, il développe un genre nouveau d’expression artistique, une danse déjantée qui fait de lui une star du ghetto.
Les enfants et les ados adorent ce modèle positif. « Sans lui j’aurais mal tourné », explique l’une de ses protégées, La Nina. Le message de Tommy est clair : « Si vous voulez sauver votre peau, ne portez pas les couleurs d’un gang ! » Larry, un de ses plus anciens disciples, confirme : « Le Watts (quartier chaud de L.A., ndlr), c’est la fosse aux lions. Si t’es un clown, on te fiche la paix ». Les jeunes qui suivent Tommy vivent à Inglewood ou South Central, les pires quartiers de la Cité des anges. Pour eux, c’est un moyen d’évasion. « C’est cool de faire le clown mais le plus dur, c’est la vie au-dehors, la violence, les meurtres en pleine rue. Tu peux te faire buter pour rien », précise l’un d’eux. « Faites les clowns mais pas les marioles, sinon, vous savez où vous allez finir ! » lance Austin Harris, le vendeur de cercueils du coin, en jetant un œil sur ses modèles…
« Le ballet du ghetto »
L’expérience de Tommy a inspiré la formation de nombreux groupes de clowns et il en existerait aujourd’hui une cinquantaine dans tout le Sud de la Californie. Les groupes de clown fonctionnent comme des familles en récupérant les mômes en perdition. La mère de Baby Tight Eyes était en prison et se droguait quand il était petit. Le père de Lil C s’est suicidé d’une balle dans la tête. La mère de Dragon a été dans la drogue pendant 15 ans. Aujourd’hui, elle croit en Dieu et est fière de son fils. « La première fois que je l’ai vu danser, j’ai cru qu’il était drogué ! Puis j’ai compris qu’il retrouvait ses racines dans cette danse… et je m’y suis mise mais moi, je danse pour Jésus Christ ! »
C’est le clowning qui a engendré le krump, forme de danse plus agressive mais issue de la même frustration et de cette volonté de positivisme. « Le style évolue en permanence. Si t’as pas dansé pendant deux jours, ça se voit ! » explique un krumper. Celui-ci revendique une vision plus moderne de cette danse et précise : « On ne copie pas le hip hop commercial. Nous sommes une nouvelle génération avec des valeurs et une morale. On ne peut pas nous acheter. » Dragon, lui, dit : « On danse par conviction, pas par effet de mode ». A travers les paroles de ce jeune homme bourré d’énergie, le krump devient une expression de la lutte des classes. « On est des opprimés. Dans les quartiers riches, il y a des académies de danse. Chez nous, il n’y en a que pour le foot. Le krump, c’est le ballet du ghetto ! »
Racines africaines
Le krump est un véritable mode de vie et évite de faire des bêtises dans la rue. Les battle (duels, défis) remplacent les combats entre gangs et sont ouverts à tous et à toutes les morphologies. Il y a des battle de filles, de « gros », d’enfants… Une des filles dit : « On n’est pas toutes canon mais on krumpe et on kiffe ! » Même si le krump est surtout porté par la communauté noire, David LaChapelle fait plusieurs clins d’œil à la fin du documentaire en filmant le premier Blanc entré dans le cercle et un groupe de clowns d’origine asiatique ! Les battle sont comme des « bals des rues ». « On se cache derrière le masque, on est libre de danser comme on veut. On ne prend pas de cours, on a ça en nous dès la naissance », explique l’un des aficionados du genre.
Les krumpers aiment se grimer, se peindre le visage. Un mélange d’auto-dérision et de tribalisme. D’ailleurs, le réalisateur ose la franche comparaison avec les danses africaines traditionnelles. Il insère des images d’archives, qui ont l’air un peu vieillottes à côté de l’esthétisme de son film, mais qui sont troublantes de ressemblance avec ce qui se passe à L.A.. Le parallèle est étonnant mais plein de sens : visages peint, corps dénudés qui se frôlent ou s’entrechoquent, affrontements mis en scène, codes à connaître et respecter. « Le krump, c’est la face cachée de nos vies, de nos peurs et de nos angoisses », résume Miss Prissy, superbe fille longue et athlétique, à la volonté de fer et au bel optimisme. C’est aussi le chemin vers plus d’estime de soi. Et vers la liberté. Dragon affirme : « Quand on danse le krump, tout est possible, il n’y a pas de limites ».
Rize, de David LaChapelle, sortie française le 21 septembre 2001 (USA, 84 minutes), sélection officielle au Sundance Film Festival 2005 et au Tribeca Film Festival 2005.