Rhode Bath-Schéba Makoumbou proclame son africanité dans l’art


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Rhode Bath-Schéba Makoumbou est une artiste plasticienne connue mondialement. Née le 29 août 1976 à Brazzaville en République du Congo, elle connaît depuis 2003, une brillante carrière internationale grâce à ses multiples expositions à travers le monde. Entretien.

Par Franklin Nkangou Mikangou

Rhode Bath-Schéba Makoumbou est née d’un père artiste, le peintre David Makoumbou, dont elle fréquente l’atelier très tôt, alors qu’elle a à peine 8 ans, après l’école. Au début, dit-elle, « c’était un peu comme une salle de jeux ». « Mon père n’était pas toujours content parce que je jouais trop avec les couleurs », ajoute l’artiste. Cependant, il commence à former sa fille pour qui la peinture devient « une passion vers la fin des années 80 ». Rhode Bath-Schéba Makoumbou doit néanmoins poursuivre des études que ses parents jugent indispensables. Le bac en poche, elle commence des études de journalisme qui seront interrompues par la guerre civile (1997-1999). En 2000, la plasticienne finit par renouer avec l’art. Trois ans plus tard, explique-t-elle, « je suis rendue compte que je devais absolument partir à l’étranger pour me faire un nom ». Elle ira au Gabon, en France puis en Belgique où elle finit par poser ses valises. En dépit des difficultés, elle « s’accroche » pour vivre conduire une carrière artistique qui la fait naviguer entre peinture et sculpture.

Vous êtes une femme africaine attachée aux valeurs traditionnelles, un artiste ayant un style africain teinté partiellement de réalisme, de cubisme et expressionnisme. La femme africaine et ses activités sociales vous inspirent beaucoup. Quel est votre point de vue sur le rôle et la situation de la femme africaine dans la société africaine ?

Rhode Bath-Schéba Makoumbou : La femme africaine est à la source de mon inspiration, en premier lieu ma mère.

J’aime représenter ce que je vois tous les jours en essayant, sur le plan pictural, d’avoir une esthétique qui lie la tradition à un certain modernisme. C’est-à-dire tenter une synthèse entre les arts traditionnels africains et les courants artistiques européens modernes que je trouve intéressant. Pour ce qui est de la femme africaine, je dirais qu’elle joue un rôle essentiel dans nos sociétés. Pour moi, elle représente la vie, et la vie c’est le poids des responsabilités. Elle a depuis toujours cette habitude à se battre tous les jours pour assurer un avenir à ses enfants. Elle est vraiment un atout primordial pour le développement en Afrique. Cela dit, le combat sera encore long pour qu’elle accède soit l’égale des hommes et par conséquent accéder à des postes clés. Il faut qu’il y ait une plus grande parité entre les femmes et les hommes à tous les échelons de la vie sociale, économique, politique et culturelle.

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Comment êtes-vous arrivée à maîtriser aussi bien la sculpture que la peinture comme s’il ne s’agissait que d’une seule et même discipline ? Toutes vos œuvres sont traversées de couleurs à la fois vives et claires qui ne laissent pas indifférent. D’où vient cette énergie créatrice ?

Rhode Bath-Schéba Makoumbou : La maîtrise vient avec le travail, même si au départ on possède un certain don. Je suis tout le temps en recherche. Mes couleurs proviennent essentiellement de mon observation de la nature et de la lumière particulière de l’Afrique, également des différents coloris des vêtements, surtout les pagnes. Je dirais aussi que les odeurs et les sons singuliers du pays m’inspirent pour obtenir une certaine harmonie dans le choix de mes tons.

Quels sont les matériaux que vous utilisez?

Rhode Bath-Schéba Makoumbou : En peinture, j’utilise la couleur à l’huile. Je peins au couteau parce que cela me permet d’avoir un certain volume dans l’épaisseur des couleurs.
En sculpture, la matière principale est un mélange de sciure et de colle à bois que j’applique sur une structure métallique – fer à béton et grillage – recouverte de tissu.

sculpture.jpgVos grandes œuvres dans les galeries d’art soulèvent partout, presque tant d’enthousiasme que les concerts des tambours de Brazza, des Bantous de la capitale ou d’Oumou Sangaré, Angélique Kidjo, de Youssou Ndour. Comment devient-on une artiste africaine qui plaît et force le respect à travers le monde ?

Rhode Bath-Schéba Makoumbou : Il faut avant tout rester soi-même et surtout ne pas courir après les modes dictées par le marché occidental. J’essaye de créer une œuvre forte et de parfois surmonter les difficultés techniques pour créer l’événement, comme ce fut le cas avec mes sculptures monumentales. J’essaye de concevoir des œuvres qui parlent d’elles-mêmes, qui impressionnent, qui sont très visuelles et ne demandent pas de longs discours souvent hermétiques et fastidieux comme c’est souvent le cas en Occident. J’ai toujours voulu affirmer mon authenticité africaine en ne rejetant pas pour autant des influences de courants artistiques d’autres continents qui conservent à l’esprit la question du sens dans l’art. Je dis cela par une certaine opposition à l’uniformisation « mondialiste » de certains codes esthétiques imposés par le marché commercial et officiel actuel. Si j’ai un certain succès, comme pour les célèbres groupes musicaux que vous citez, c’est parce que je crois que j’ai réussi en partie à communiquer et à faire partager mes valeurs aux autres.

Quels sont les souvenirs qui vous ont le plus marqué tout au long de vos longues années de tournées intensives d’expositions à travers les continents et pays divers ? Et quel bilan tirez vous de tout ce travail qui fait de vous une artiste plasticienne africaine un peu à part ?

Rhode Bath-Schéba Makoumbou : J’ai beaucoup de souvenirs dont un particulier. C’est celui d’un enfant de huit ans qui, un jour, s’est approché de moi pour me dire qu’il avait bien compris mon art et qu’il était impressionné par l’Afrique. Ce jour-là, cette rencontre m’a fait réfléchir. Créer est une chose, mais être compris en est une autre !
Je ne sais pas si je suis un peu à part parce qu’il y a quand même beaucoup de nouveaux créateurs qui commencent à émerger sur la scène internationale. Je sais que cela reste encore difficile parce que le grand marché d’art occidental est quand même très fermé et élitiste. Dans les mentalités, il reste encore une certaine quantité d’a priori par rapport à l’Afrique chez nombre de critiques d’art et de commissaires d’expositions. Cela dit, mon bilan est assez positif dans la mesure où je reçois maintenant, de nombreuses demandes d’exposition, voire trop. .

Quelles sont vos relations avec les autres artistes congolais et africains en général ?

Rhode Bath-Schéba Makoumbou : Mes relations sont bonnes, même avec ceux qui ont un point de vue différent au niveau de leur démarche artistique. Certains trouvent qu’il faut mettre les traditions à la poubelle et même qu’il faut parfois avoir honte d’être africain. Je m’oppose à cela en affirmant que pour moi, les traditions sont des repères importants. J’ai besoin de savoir d’où je viens pour mieux appréhender l’avenir. En plus, moi je suis fière de proclamer mon africanité et de défendre notre propre identité culturelle tout en restant très ouverte à la connaissance des autres cultures. Je suis en même temps imprégnée de valeurs ancestrales et modernes, La diversité dans le monde est une immense richesse à l’encontre d’une homogénéisation froide et monotone.

Quels sont vos projets ?

Rhode Bath-Schéba Makoumbou : Cela concerne surtout mon pays. A la suite de ma première exposition itinérante dans les rues de Brazzaville en mars 2010, je me suis encore plus rendue compte qu’il fallait renforcer le contact entre le créateur, l’art et le public, surtout celui qui n’a pas l’habitude de participer à des expositions. Je viens d’un pays qui a encore une faible connaissance de la valeur de l’art comme meilleur trait d’union entre les hommes. Par mon action – « Si vous ne venez pas à l’art, l’art ira à vous » – je voudrais poursuivre cette action, même dans les zones les plus reculées pour dialoguer avec les populations, et ainsi participer à une meilleure conscientisation du rôle de la création artistique comme une des valeurs intellectuelles et sociales capitales pour une nation.

Quel message pouvez-vous faire passer à la femme africaine, à la jeunesse africaine et aux Africains en général ?

Rhode Bath-Schéba Makoumbou : A la femme africaine, c’est de se battre encore plus fort pour occuper des positions clés dans la société tout en poursuivant son rôle éducatif et en contribuant au dynamisme social. Pour les jeunes et tous les Africains, de continuer à se former avec énergie et de réaliser des projets innovants à tous les niveaux et en ayant toujours l’esprit créatif. Le chemin pour une nouvelle Afrique prospère est encore long, mais étant de nature optimiste, je vois des signes positifs qui peuvent nous faire espérer, à moyen terme, un nouveau développement pour mon pays et tout le continent.

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