L’essayiste français Pierre Jacquemot est d’avis que si «la France a parfois de bons comportements», Paris émet «trop souvent» des «déclarations tout à fait malencontreuses». Ce qui, selon cet ancien diplomate français, témoigne «peut-être d’une incapacité à pouvoir analyser les dynamiques en cours» dans certains pays d’Afrique. Il a en outre dit son inquiétude après la suspension de RFI au Mali.
Invité de RFI, jeudi 28 avril 2022, celui qui fut ambassadeur au Ghana, au Kenya et en RDC et qui vient de publier l’ouvrage Afrique, la démocratie à l’épreuve, Pierre Jacquemot est revenu avec Christophe Boisbouvier sur de brûlantes actualités sur le continent. Evoquant la cascade de putschs en Afrique, le professeur à Science po Paris dit constater que «ces coups d’État, fomentés par de jeunes officiers, rencontrent une certaine audience auprès de la population, et notamment auprès des jeunes».
Selon l’ancien diplomate français, «cela signifie probablement que ces coups d’État sont assis sur un essoufflement de la démocratie représentative dans ces trois États», que sont la Guinée, le Mali et le Burkina Faso. «La démocratie représentative a été incarnée par exemple par le Président de la Guinée Alpha Condé, qui avait outrepassé les règles constitutionnelles en s’accordant un troisième mandat. Elle a été incarnée aussi par l’impuissance des chefs d’État en place, normalement élus -au Mali, au Burkina Faso-, à faire face à la crise sécuritaire qui sévit dans leur pays», ajoute-t-il.
«Globalement, entre les hommes politiques africains et l’âge moyen de la population, il y a un écart de 43 ans»
Revenant sur la tension entre Paris et Bamako, Pierre Jacquemot estime que «dans sa relation avec les pays africains, la France a parfois de bons comportements, mais trop souvent émet des déclarations tout à fait malencontreuses, qui témoignent peut-être d’une incapacité à pouvoir analyser les dynamiques en cours dans ces pays. Il y a une espèce de rigidité sur les critères démocratie formelle, élections, institutions, règles du jeu… une espèce de rigidité française envers l’Afrique».
L’ancien diplomate français constate qu’il y a «des pays qui s’en tirent beaucoup mieux que d’autres au regard des critères d’une part de démocratie, d’efficacité des institutions, et d’autre part du respect des droits fondamentaux des personnes…». Selon l’essayiste, la moitié des élections en Afrique sont «viciées avant le scrutin, au niveau de l’enregistrement des électeurs, incomplet. Pendant le scrutin : bourrage d’urnes. Et après le scrutin, lors du calcul des résultats, et ceci malgré les observations».
«L’autre constat qu’on peut faire, c’est que les possibilités d’alternance sont réservées à quelques pays. On sait que c’est le cas du Ghana ou du Sénégal, dans le passé. Récemment, on a eu le cas aux Seychelles et au Malawi, mais c’est très rare dans les autres pays. Puis, peut-être faut-il ajouter que les chefs d’État ont obtenu d’avoir un troisième mandat. La plupart des Constitutions africaines prévoient qu’un chef d’État ne peut assurer que deux mandats. Or là, cette règle n’a pas été respectée en Guinée, ni en Côte d’Ivoire, ni en Ouganda…», a-t-il poursuivi.
RFI, dans tous les pays où j’ai été amené à travailler, est le média privilégié par les populations
Selon lui, le mal de l’Afrique s’explique par le fait qu’on élise des Présidents comme Paul Biya, Alassane Ouattara, Alpha Condé, Nana Akufo-Addo, Yoweri Museveni, Denis Sassou-N’Guesso, Ismaël Omar Guelleh, alors qu’ils ont «un écart d’âge avec le reste de la population très important. Et donc, probablement une capacité d’écoute et de préoccupation de la jeunesse qui est beaucoup plus faible. Globalement, entre les hommes politiques africains et l’âge moyen de la population, il y a un écart de 43 ans».
Sur un autre registre, il insiste que la bonne question «de l’information des populations et l’impact des intox propagées par ces groupes et envoyées directement par Moscou», parlant des éléments russes en Afrique, se pose. Selon lui, il ne fait aucun doute : «il y a une guerre là». Abordant la récente décision de Bamako de suspendre des médias français, la position de Pierre Jacquemot est sans appel : «évidemment, quand on constate que RFI est interdite au Mali, on peut être inquiet, alors que ce média, dans tous les pays où j’ai été amené à travailler, est le média privilégié par les populations».
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