Révision de la Constitution au Bénin : l’opposition véhémente de Boni Yayi


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Boni Yayi, ancien Président béninois
Boni Yayi, ancien Président béninois

L’actualité politique béninoise est agitée par la question de la révision de la Constitution. Surtout que le 26 janvier 2024, le député Assan Séibou du Bloc républicain, un des partis de la mouvance présidentielle, a déposé une proposition de révision de l’actuelle Constitution d’ailleurs déjà transmise à la Commission des lois de l’Assemblée nationale.

Vendredi 26 janvier 2024. Quelques jours après des propos ambigus tenus par le président de l’Assemblée nationale béninoise, Louis Vlavonou, au sujet de la révision de la Constitution, c’est le président du groupe parlementaire Bloc républicain, le député Assan Séibou, qui introduit un projet de révision de la Constitution. Lequel projet prévoit notamment une modification des dates des élections pour faire passer la Présidentielle avant les législatives et municipales. Ce projet de révision constitutionnelle déjà introduite à la Commission des lois a soulevé la vive opposition de toute l’opposition béninoise. À la suite de son parti, Les démocrates, qui a clairement affiché sa position, Boni Yayi, est revenu à la charge à travers une tribune publiée sur sa page Facebook. Comme il en a l’habitude.

Boni Yayi s’interroge

Dans son message dont le but est de sensibiliser l’ensemble du peuple béninois sur la nécessité d’éviter à tout prix une quelconque retouche à la Constitution, Boni Yayi pose quelques questions essentielles, arguments à l’appui. « À 2 ans de la fin de son mandat, et alors que rien ne presse, pourquoi le Président Talon entreprend-il de réviser une seconde fois la constitution du 11 décembre 1990 ? », commence l’ancien Président.

Avant d’enchaîner : « En 2019, à son initiative, lui et ses partisans ont eu le loisir de réécrire la Constitution, de désorganiser les institutions, d’imposer un calendrier électoral, tout ceci comme bon leur semble. La Constitution du Bénin est ainsi devenue depuis le 7 novembre 2019 la Constitution du Président Talon ». Pour Boni Yayi, la Constitution de 2019 est une Constitution « bavarde, réécrite avec légèreté, avec amateurisme par des mains suspectes » par le « le chef de l’État et son parlement, monocolore à l’époque ».

C’est pourquoi aujourd’hui, l’ancien chef d’État estime qu’il faut se poser les « bonnes questions » sur les intentions réelles de Patrice Talon. D’où la deuxième question qui est en fait une série de questions : que se passerait-il « si la Constitution n’est pas révisée avant les élections générales de 2026 ? Le pays organiserait-il de mauvaises élections ? Risquons-nous d’avoir des élections aussi opaques, aussi violentes et ensanglantées comme nous en connaissons depuis 2019 ? Que se passerait-il de grave dans le fonctionnement des institutions et dans les opérations de préparation et de déroulement des trois élections si nous maintenons la Constitution en l’état jusqu’en 2026 ? » Là-dessus, la réponse de Boni Yayi ne souffre d’aucune ambiguïté : « aucun problème, aucune difficulté ne se poserait ».

Mais alors, « si ne pas réviser la Constitution ne générera(it) aucun problème au système politique et à l’organisation des élections, la réviser aiderait-elle à résoudre quand même un problème donné ? Un problème flagrant et manifeste ? C’est-à-dire, résout-on un problème politique, un dysfonctionnement institutionnel, une imprécision normative que tout le monde voit et sur laquelle s’est dégagé un consensus ? » Là encore, la réponse de Boni Yayi est négative. L’ancien Président fait remarquer qu’à la date du dépôt du projet de révision, aucun diagnostic n’a été fait pour démontrer la nécessité d’une telle action.

Seul le pouvoir voit en l’organisation des élections législatives et municipales avant la Présidentielle en 2026 un problème. Rien ne justifie donc une révision constitutionnelle à l’heure actuelle, selon la perception de Boni Yayi. Enfin, le prédécesseur de Patrice Talon se demande pourquoi ce dernier veut réviser la Constitution à deux ans de la fin de son mandat alors qu’en 2019, il a eu la liberté d’y introduire tout ce qui lui tenait à cœur ? Pourquoi veut-il la réviser de nouveau ?

L’ancien chef d’État met en garde contre un piège potentiel

« Il faut avoir à l’esprit que cette révision n’est ni technique, ni nécessaire, mais risquée », souligne Boni Yayi. Puisqu’elle ne vient régler aucun problème, corriger aucun dysfonctionnement, aucune « malformation normative dont la non-résolution créerait des difficultés au processus électoral ». Il s’agit juste d’un « projet politique » visant à atteindre les objectifs du Président Patrice Talon pour l’année électorale 2026. Boni Yayi n’y voit rien d’autre qu’un « piège potentiel dans lequel il convient de ne pas tomber pour ne pas replonger le Bénin dans l’incertitude et la crise ». Ceci, d’autant plus qu’on n’a pas besoin de réviser la Constitution pour se conformer à la décision DCC 24-001 du 4 janvier 2024 par laquelle la Cour constitutionnelle demandait au Parlement de corriger les incohérences qui se trouvent dans le Code électoral voté en 2019 par le même Parlement qui a révisé la Constitution.

Pour Boni Yayi, il suffira d’agir sur les délais prévus par le Code électoral pour régler le problème posé par le juge constitutionnel. Et le président du parti Les Démocrates d’insister : « Que ce soit bien clair, si on ne révise pas la Constitution, on est sûr qu’en 2026, le mandat du Président prendra bien fin et qu’il quittera le pouvoir. Si on ne révise pas la Constitution, on est également en sécurité par rapport à la Cour qui ne pourra pas prétexter de la révision pour relancer la polémique sur la création d’une nouvelle République ou sur une éventuelle candidature du Président Talon. Ne pas réviser, c’est ne prendre aucun risque avec Patrice Talon ».

Là est tout le problème de Boni Yayi et de toute l’opposition : une révision de la Constitution maintenant ouvrirait la voie à un troisième mandat pour Patrice Talon. Visiblement, les professions de foi de l’actuel locataire du palais de la Marina ont du mal à trouver un écho favorable auprès de l’opposition. Cette dernière n’a, en effet, rien oublié de la promesse ferme du mandat unique faite par le même Patrice Talon en 2016. Une promesse qui s’est effritée en quelques mois seulement. « Chat échaudé craint l’eau froide », dit le proverbe.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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